mercredi 26 février 2014

Nucléaire et transition énergétique; débat à ne pas tronquer

Greenpeace publie un rapport commandé à Wise-Paris sur les enjeux du prolongement au-delà de 40 ans des réacteurs français. Avec des coûts évalués entre 400 millions et 4,4 milliards d'euros par réacteur, l'enjeu de la rentabilité est posé.

 Ce mardi 25 février, le cabinet d'étude spécialisé sur le nucléaire Wise-Paris a présenté un rapport commandé par Greenpeace et analysant les enjeux liés au vieillissement des réacteurs nucléaires français au-delà de 40 ans d'exploitation. "Le rapport envisage différents scénarios prospectifs de renforcement de ces réacteurs en fonction du degré d'exigence et de sûreté applicable et en analyse les coûts liés", explique Greenpeace.
Compte tenu des conclusions du rapport, Greenpeace formules deux recommandations qui devraient constituer, selon l'association, la base pour la future loi de transition énergétique. Tout d'abord, la loi devrait fixer à 40 ans l'âge limite des réacteurs français. Ensuite, pour assurer le renouvellement du parc national de production électrique, il conviendrait de fixer un objectif de 45% d'énergies renouvelables pour 2030.

Effet falaise
Preuve que la question du coût d'un prolongement au delà de 40 ans ne cesse d'être réévalué à la hausse. En 2008, EDF l'évaluait à 400 millions d'euros par réacteur et en janvier 2011, l'entreprise le réévaluait à 900 millions d'euros par réacteur, a indiqué Sophia Majnoni D'Intignano, responsable des campagnes de Greenpeace. En cause, notamment, le renforcement progressif des impératifs de sûreté et l'absence de règles claires validées par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), cette dernière devant se prononcer sur ce dossier d'ici à 2018. Pierre-Franck Chevet, le président de l'ASN, n'a d'ailleurs de cesse de répéter que la possibilité de faire fonctionner les réacteurs au-delà de 40 ans "n'est pas acquise". D'autant que les évaluations complémentaires de sûreté post-Fukushima et l'élaboration du noyau dur ne sont pas encore achevées.
Or, l'anniversaire des 40 ans approche pour un grand nombre de réacteur. "Il existe un effet falaise", explique Yves Marignac, directeur de Wise-Paris, qui rappelle que 80% des réacteurs français ont été mis en service entre 1977 et 1987. Les travaux de prolongement de la durée de vie des réacteurs concerneront donc une grande partie du parc sur une période très courte. Une situation inédite et qui soulève des questions de savoir-faire et de capacité. Et de rappeler les propos du président de l'ASN devant l'Assemblée : "pour l'instant [chez EDF], ils sont débordés par les travaux [de maintenance] qu'ils ont eux-mêmes décidés".

Incertitudes et transparence
Par ailleurs, trois éléments rendent le sujet très délicat. Tout d'abord, le parc français étant constitué de six "paliers" standardisés, un risque générique n'est pas à écarter. Si l'ASN relève sensiblement le niveau de sûreté d'un réacteur lorsqu'elle déclinera les règles générales du passage au-delà de 40 ans, tous les réacteurs du palier concerné seraient alors impactés. Ensuite "il n'y a pas de définition claire des 40 ans", explique Yves Marignac, précisant qu'un flou existe entre l'âge règlementaire et l'âge technique, c'est-à-dire en fonction de l'usure constatée. Ainsi, la visite décennale des 30 ans s'effectue actuellement après 34 ans de fonctionnement. Vingt-sept réacteurs ont dépassé 30 ans de fonctionnement, mais seuls cinq ont obtenu une autorisation de poursuite d'exploitation et onze n'ont pas commencé leur réexamen décennal, pointe le rapport. Enfin, il y a deux limites irréductibles au renforcement de la sûreté des réacteurs : certains gros composants irremplaçables, telles que les cuves, ont été prévus pour une durée de vie de 40 ans et le dimensionnement initial des installations, établi par rapport à un risque donné, impose des limites au renforcement de la sûreté.
Dans ce contexte, la transparence et l'accès à l'information sont essentiels pour Wise-Paris qui appelle à "une révision" du processus actuel. Yves Marignac estime notamment que les modifications à apporter aux installations s'apparentent à des "modifications notables" apportées à l'installation concernée. Dans de telles circonstances, il convient de réviser le décret d'autorisation de création (DAC) initial et, pour cela, réaliser une nouvelle enquête publique. De plus, le code de l'environnement prévoit que la Commission nationale du débat public (CNDP) soit saisie de tout projet de "nouveau site de production nucléaire correspondant à un investissement d'un coût supérieur à 300 millions d'euros".

De 400 millions à 4,4 milliards
Dans ce contexte, Wise-Paris a évalué les coûts des travaux de prolongement à partir de cinq facteurs discriminants : le référentiel de sûreté retenu, la gestion de la conformité, les orientations techniques, le processus de décision et les délais de réalisation. A partir de ces critères, trois scénarios ont été établis.
Un scénario de sûreté dégradée (S1) "correspond à une interprétation minimale des différentes exigences", un scénario de sûreté préservée (S2) vise à "limiter aussi efficacement que possible les effets reconnus du vieillissement, et [à] introduire aussi raisonnablement que possible de nouvelles dispositions issues des analyses post-Fukushima" et un scénario de sûreté renforcée (S3) "repose logiquement sur une recherche d'exigences aussi élevées que possible du point de vue de la sûreté". Selon le scénario S1, le coût moyen par réacteur serait de 400 millions d'euros, avec une marge de plus ou moins 150 millions. Le scénario S2 coûterait quelque 1,4 milliard par réacteur, avec une marge de plus ou moins 600 millions. Enfin, le scénario S3 voit le budget s'envoler à 4,4 milliards d'euros, avec une marge de plus ou moins 1,85 milliard.
Les fortes marges d'incertitudes s'expliquent, notamment, par l'absence d'informations sur le coût des travaux réalisés par EDF et par le fait que certains des travaux envisagés n'ont jamais été réalisés. Par ailleurs, certains coûts n'ont pas été inclus dans les calculs, a averti Yves Marignac. C'est en particulier le cas du manque à gagner lié à la perte de production lors des arrêts de tranches nécessaires à la réalisation des travaux. Malgré tout, "ce coût risque (…) d'être très supérieur au coût annoncé par EDF pour son plan de « grand carénage », qui correspond à moins de 1 milliard d'euros par réacteur", conclut Wise-Paris. Le rapport alerte par ailleurs sur le fait que "quelques postes clés pour le renforcement de la sûreté, liés pour l'essentiel à la bunkérisation d'éléments vitaux pour la sûreté des réacteurs [notamment les piscines de combustibles et la salle des commandes, ndlr], concentrent dans toutes les fourchettes près de la moitié du coût total".
Le rapport pointe surtout, "le risque que fait peser sur les exigences de sûreté la rentabilité d'éventuelles prolongations" et place au premier plan "la nécessité de clarifier, avant toute décision, les enjeux économiques de ces opérations".

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