On les appelle les tueurs d’abeilles : une étude révèle la présence de trois néonicotinoïdes
sur des champs de colza en France alors qu’un moratoire de Union
Européenne interdit leur utilisation depuis 2013 sur toutes les cultures
mellifères, c’est à dire celles produisant du nectar et du pollen. Ces insecticides -la
clothianidine, l’imidaclopride et le thiaméthoxame-, ont pour effet
d’attaquer le système nerveux central des pollinisateurs et provoquer
leur paralysie mortelle.
De 2014 à 2018,
des chercheurs du CNRS, de l’INRA et l’Institut de l’abeille (ITSAP) ont
étudié le nectar de 291 parcelles de colza d’hiver et analysé 536
échantillons. «Les trois néonicotinoïdes étaient présents mais c’est surtout l’imidaclopride qui a été détecté chaque année» souligne Vincent Bretagnolle, chercheur au CNRS. «Au total, 43 % des prélèvements analysés contenaient cette molécule, ce qui représente 48% des parcelles».
Aucune tendance à
la baisse au cours des années n’a été observée mais une importante
variation interannuelle l’a été. Ainsi en 2016, plus de 90 % des
parcelles étaient positives, contre seulement 5 % en 2015.
L’eau diffuserait les molécules
L’hypothèse la
plus probable serait que l’eau diffuserait ces insecticides dans
l’environnement. L’étude a démontré que ces résidus augmentaient
lorsqu’il avait plu les jours précédents les prélèvements. «Nous
pensons que l’eau, par ruissellement, contamine les sols. Pour fabriquer
son nectar, la plante absorbe l’eau du sol grâce à ses racines qui est
ensuite transportée par la sève pour produire le nectar, un mélange de
sucre et d’eau» poursuit Vincent Bretagnolle.
Une variation
des niveaux de néonicotinoïdes en fonction de la composition de la terre
vient conforter cette supposition. Les travaux montrent que les sols
rouges (argilo-calcaire) sont les plus susceptibles de retenir ces
molécules. Or l’argile a une bonne capacité de rétention en eau.
La proximité
avec d’autres cultures traitées ne semble pas être un facteur
explicatif. Ni même l’utilisation de ces insecticides sur les parcelles
avant l’implantation des colzas étudiés. Ainsi, l’imidaclopride a été
retrouvé dans des champs qui n’avaient jusque-là jamais reçu ces
néonicotinoïdes, y compris dans certains cas cultivés en agriculture
biologique. «Cette molécule n’est pas pulvérisée mais enrobée dans
la graine de blé avant le semis. Nous savons que 80 à 90% de l’enrobage
reste dans le sol et n’est pas capté par la plante» précise Vincent Bretagnolle. «Un autre facteur de diffusion pourrait aussi être la poussière».
Si 92 % des échantillons positifs ne contenaient qu’entre 0,1 et 1
ng/mL d’imidaclopride, les concentrations maximales dépassaient dans
quelques cas celles rapportées dans les parcelles traitées, allant
jusqu’à 70 ng/mL.
En s’appuyant
sur ces données, l’évaluation de la mortalité sur les abeilles a été
réalisée à partir de modèles et paramètres conçus par l’EFSA, l’European
Food Safety Authority. «Ce sont des simulations assez prudentes»
analyse Vincent Bretagnolle. Résultat, le risque est loin d’être
négligeable puisqu’en 2014 et 2016, environ 50 % des abeilles
domestiques étaient susceptibles de mourir de l’imidaclopride dans 12 %
des parcelles étudiées. Ces mêmes années, entre 10 et 20 % des parcelles
présentaient un niveau de contamination associé à un risque de
mortalité équivalent pour les bourdons et abeilles solitaires.
Une persistance de plusieurs années
Ces résultats
apportent un soutien à la décision de l’Union Européenne en 2018
d’interdire ces néonicotinoïdes sur toutes les cultures extérieures. La
France est allée plus loin en interdisant deux molécules
supplémentaires : l’acétamipride et le thiaclopride. «Lorsque l’industrie agrochimique
a commercialisé ces insecticides dans les années 90, elle s’est montrée
très rassurante en déclarant qu’ils avaient une persistance dans le sol
et les plantes de quelques semaines seulement», affirme Vincent Bretagnolle. «Nous démontrons qu’ils sont encore présents plusieurs années après leur usage.»
Malgré ces mesures, des dérogations peuvent être accordées. Et partout
dans le monde, ces néonicotinoïdes sont très largement employés, que ce
soit sur le maïs, les céréales ou encore sur une culture que l’on
soupçonne moins comme le thé. «Alors qu’ils sont censés être très
sélectifs et agir seulement sur les invertébrés, des chercheurs
commencent à démontrer qu’ils agissent aussi sur les oiseaux et les
mammifères. Et donc potentiellement sur l’homme…» alerte Vincent
Bretagnolle. L’étude va se poursuivre avec un observatoire, appelé
Néonet, en France et en Suisse, sur les cultures mellifères de plein
champ.
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