Les pesticides ne contaminent pas
seulement les fruits et légumes que mangent les Français ou l’eau (et le
vin) qu’ils boivent, ils polluent aussi l’air qu’ils respirent. Et
parmi les herbicides, fongicides et autres insecticides présents dans
l’atmosphère, une majorité de ces substances particulièrement
dangereuses pour la santé sont suspectés d’être des perturbateurs
endocriniens (PE) ou cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR). Tel
est le constat alarmant dressé par l’association Générations futures
dans un rapport publié mardi 18 février.
Pour
parvenir à ces conclusions, l’ONG a analysé les données contenues dans
la base PhytAtmo. Publiée le 18 décembre 2019 par Atmo France, qui
fédère des associations agréées de surveillance de la qualité de l’air
(Aasqa), PhytAtmo compile les résultats de quinze ans de mesures de
pesticides dans l’air réalisées par l’ensemble de ces associations, des
Hauts-de-France à la Corse.
Générations futures a cherché à classifier ces résidus de produits
phytopharmaceutiques identifiés dans l’air en fonction de leur
dangerosité. A partir de la base de données Phytatmo, l’association a
évalué la proportion de pesticides considérés comme PE suspectés ou CMR,
ces deux catégories de polluants ayant des effets toxiques sans seuil,
c’est-à-dire même à très faible dose. Les résidus de pesticides
retrouvés dans l’air sont généralement mesurés à de faibles
concentrations, de l’ordre du nanogramme par mètre cube.
PhytAtmo comprend plusieurs limites : les
Aasqa ne recherchent pas toutes les mêmes molécules, ni avec la même
assiduité, ni avec les mêmes méthodes de détection. Aussi, pour éviter
les biais et composer avec l’hétérogénéité des informations, l’ONG a
pratiqué deux analyses complémentaires. La première prend en compte les
données les plus récentes (l’année 2017) mais disponibles dans un nombre
de régions limitées (Corse, Hauts-de-France, Grand-Est,
Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Centre-Val de Loire). La seconde concerne
l’ensemble du territoire (à l’exception notable de la région
Bourgogne-Franche-Comté, qui ne fournit pas de données), mais certaines
mesures peuvent être relativement anciennes.
Près de la moitié sont interdits en Europe
Selon
les bilans effectués en 2017 par les Aasqa, 52 substances actives
différentes (pour un total de 1 633 molécules identifiées et
quantifiées) ont été retrouvées au moins une fois dans l’air des huit
régions où ces mesures ont été effectuées. Les trois quarts environ
(76,92 %) sont des PE (61,53 %) et/ou des CMR (28,84 %), d’après les
calculs de Générations futures. Et près d’un tiers (28,84 %) sont des
pesticides interdits en Europe.
Les
proportions mises en évidence au niveau national dans la seconde
analyse sont à peu près équivalentes. Cent quatre substances actives
différentes (pour un total de 4 622 molécules) ont été retrouvées dans
douze régions différentes. Les trois quarts (75,96 %) sont des PE
(66,34 %) et/ou des CMR (33,65 %). Et cette fois, près de la moitié
(45,19 %) sont des pesticides interdits au sein de l’Union européenne
(UE).
Parmi les pesticides
les plus récurrents dans l’air, on retrouve le chlorpyriphos, utilisé
massivement en pulvérisation sur les cultures pour éliminer les pucerons
ou les chenilles. L’UE vient seulement d’en bannir l’usage, depuis le
31 janvier, malgré une accumulation d’études scientifiques démontrant
ses effets toxiques sur le développement du cerveau des enfants.
Egalement omniprésent, le lindane, insecticide classé cancérogène pour
l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer, est,
lui, interdit en agriculture depuis… 1998. Des substances comme le
lindane sont persistantes dans l’environnement : elles imprègnent les
sols durablement et peuvent être remises en suspension dans l’air,
notamment en période de sécheresse.
En termes de concentration, le record revient au folpel, détecté à un niveau supérieur à 2 000 ng/m3
dans la région Grand-Est en 2004. Utilisé contre le mildiou, « le
fongicide de la vigne » est classé CMR probable par l’Organisation
mondiale de la santé. Lors de son dernier bilan annuel, l’organisme de
surveillance de la qualité de l’air en Nouvelle-Aquitaine a constaté que
son usage était en augmentation en 2018 et en a même retrouvé des
traces à Bordeaux. Preuve, selon l’observatoire, d’un « transfert des molécules par l’air depuis les surfaces agricoles vers les zones urbaines ».
« Un droit à empoisonner »
« L’air est une voie d’exposition réelle des populations à des pesticides PE et/ou CMR, commente François Veillerette, le directeur de Générations futures. Ceci est particulièrement préoccupant pour les riverains des zones cultivées, les plus exposés. » Aussi l’ONG demande aux pouvoirs publics d’« accélérer le retrait des substances CMR et PE reconnues ou suspectées » et d’engager à terme « la sortie des pesticides ». D’ici
là, elle s’apprête avec d’autres organisations à déposer, le
25 février, un nouveau recours devant le Conseil d’Etat contre l’arrêté
du gouvernement fixant à trois mètres, cinq mètres, dix mètres, voire
très exceptionnellement vingt mètres les distances minimales entre les
zones d’épandage de pesticides et les habitations. Des distances jugées
très insuffisantes par les associations de défense de l’environnement et
les maires à l’origine de multiples arrêtés antipesticides.
Le
14 février, le juge des référés du Conseil d’Etat vient de rejeter le
recours en urgence du collectif des maires antipesticides, mais il
statuera sur le fond dans les prochains mois. Pour l’avocate du
collectif, Corinne Lepage, le rapport de Générations futures est « accablant ». L’ancienne ministre de l’environnement dénonce « un droit à empoisonner ».
A
la différence des particules fines ou du dioxyde d’azote émis par les
véhicules diesel, les pesticides ne font pas l’objet d’une surveillance
réglementaire dans l’air. Il existe seulement des limites à ne pas
dépasser dans l’eau et l’alimentation.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire