lundi 6 janvier 2020

Risque technologique : l'accident Lubrizol révèle les carences des systèmes d'alerte

L'écart est béant entre des sirènes datant des années 1930 et les possibilités actuelles d'alerte sur portables en cas d'accident industriel. Ces carences sont pointées par l'association de collectivités Amaris et admises par le préfet de Normandie.

« Lors de l'accident AZF en 2001, les riverains faisaient part de leur sentiment de mauvaise information, c'est exactement la même chose avec Lubrizol aujourd'hui », déplore Yves Blein, président de l'Association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (Amaris). Le député LReM du Rhône pointe les carences des moyens d'alerte des populations mais aussi la mauvaise association des collectivités locales par les services de l'État.
Ce constat est presque partagé par le préfet de Normandie, en charge de la gestion de l'accident Lubrizol. Lors de son audition le 30 octobre par la mission d'information de l'Assemblée, Pierre-André Dumas a reconnu que ces deux points étaient perfectibles même s'il estime que « la crise a été bien gérée malgré une ampleur extrême ». Le même jour, lors de sa visite sur le site de la catastrophe industrielle, le Président de la République a reconnu « beaucoup de suggestions de bon sens de la part de nos concitoyens : informer plus simplement et rapidement, perfectionner nos systèmes d'alerte », même s'il a réfuté toute défaillance des services de l'État.
Un outil issu de la défense passive des années 1930
Même si le préfet a décidé de ne pas déclencher les sirènes dès l'accident connu dans la nuit du 25 au 26 septembre, car la population était alors « quasi-confinée » à domicile, ce mode d'alerte a montré ses limites. Le représentant de l'État a fait le « choix hybride » de les actionner autour du site seulement et peu avant 8 heures du matin au moment où les riverains sortaient de chez eux. Ce qu'il qualifie de « bonne décision au niveau macro » a en revanche révélé un sentiment d'incompréhension de la maire du Petit-Quevilly, aux premières loges de l'incendie qui s'était déclenchée… sept heures plus tôt.
Mais, surtout, « les citoyens ne savent pas ce qu'il faut faire », reconnaît Pierre André Dumas. « Personne ne peut décrypter les fréquences », confirme Yves Blein. Les riverains ne savent donc pas s'ils doivent évacuer ou se confiner. « Nous ne pouvons plus gérer des crises du XXIe siècle avec un outil de XXe siècle », admet le préfet, qui rappelle que les sirènes sont issues de la défense passive des années 1930.
Le président d'Amaris pointe aussi « l'écart entre la perception des habitants et le message délivré par les autorités ». Or l'écart de perception peut entraîner des comportements contraires à ce qui est souhaitable : sortir plutôt que rester confiné, aller chercher ses enfants à l'école... avec le risque de s'exposer et d'entraver les secours. Yves Blein dénonce aussi « une communication très descendante se satisfaisant d'une vérité scientifique ». À l'heure des réseaux sociaux, « la culture de la communication (…) incarnée par le communiqué de presse et le "numéro vert" est dépassée », juge Amaris. Son président se dit intéressé par la plateforme nationale de gestion de crise belge qui analyse d'abord les questions sur les réseaux sociaux avant de délivrer une communication adaptée, loin de la « raideur scientifique » pratiquée actuellement dans l'Hexagone.
Il ne faut pas oublier les gens de passage dans l'alerte, rappelle aussi le parlementaire. « Le nombre d'automobilistes pris dans les bouchons sur l'autoroute traversant la Vallée de la chimie peut être plus important que le nombre de riverains », souligne l'ancien maire de Feyzin (Rhône).

Diffusion rapide de SMS sur les portables
Alors, quelles alternatives aux sirènes et aux médias traditionnels ? Certaines collectivités, comme Petit-Quevilly, sont dotées de standards automatiques d'alerte, explique Yves Blein. La commune de Gonfreville-Lorcher (Seine-Maritime), qui accueille la raffinerie Total, a installé des dispositifs chez l'habitant permettant d'être prévenu en cas d'accident. « De tels dispositifs constituent un progrès mais restent insuffisants car ils reposent sur une inscription préalable des habitants », analysait Pierre-André Dumas devant les députés.
Tant le préfet que le président d'Amaris s'accordent à vanter le système Cell Broadcast qui permet d'adresser un message instantané sur l'ensemble des téléphones portables d'une zone concernée. « Un tel système est infiniment plus performant que les sirènes », explique Yves Blein. « Il a montré sa robustesse dans des pays comme le Japon, les États-Unis ou les Pays-Bas », ajoute Delphine Favre, déléguée générale d'Amaris. Selon une étude menée par le Centre d'information sur la prévention des risques majeurs (Cyprès) dans les Bouches-du-Rhône, l'utilisation des sirènes permettrait d'alerter 35 % de la population seulement, contre 70 % par une communication via SMS.

« Les collectivités locales oubliées »
L'articulation de l'action de l'État avec celle des collectivités locales constitue le second point perfectible mis en lumière par le préfet de Normandie. L'alerte des communes s'est faite en plusieurs phases lors de l'accident Lubrizol, a-t-il expliqué. La diffusion différée mais large d'un message d'alerte via l'outil administratif Gala a révélé un décalage dans les communes qui n'étaient pas directement touchées par le panache de fumées. La modernisation de l'outil et la fixation d'une doctrine s'imposent selon Pierre-André Dumas.
Pour Amaris, le message d'alerte ne doit pas être porté par les seuls services de l'État mais également par les collectivités locales, qui sont directement concernées par la crise. « Les élus locaux sont en effet responsables de la sécurité des citoyens, y compris pénalement, notamment à travers l'élaboration du plan communal de sauvegarde (PCS) », rappelle Yves Blein. Or, « dans le cadre du plan particulier d'intervention (PPI), le PCS de la commune n'est pas pris en compte, que ce soit lors de l'élaboration du plan ou lors de son déclenchement en cas d'accident », dénonce l'association.
« Souvent, les élus ne détiennent pas plus d'informations que celle diffusée au public », déplore Delphine Favre. Ainsi, lors de l'incendie de l'usine d'assainissement d'Achères (Yvelines), le 4 juillet dernier, les collectivités riveraines n'ont appris la survenance du sinistre que par un tweet posté 1 h 30 après le début de l'événement, pointe Amaris. « Ceci n'est pas acceptable », tance Yves Blein. Alors même que le premier réflexe des citoyens est d'appeler la mairie, rappelle la déléguée générale de l'association.
Reste aux collectivités locales à convaincre le ministère de l'Intérieur de revoir les dispositifs d'alerte. Le Premier ministre a fait part de sa volonté de transparence totale sur l'accident et devrait donc être favorable à une telle évolution. Seul souci : Lionel Jospin, à la tête du Gouvernement lors de la catastrophe AZF, avait lui-aussi promis de faire évoluer les systèmes d'alerte. Mais, apparemment, le sujet a ensuite glissé du haut de la pile des dossiers urgents.

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