jeudi 9 décembre 2021

Pollution, érosion, raréfaction : la FAO s’alarme de la dégradation des terres et des eaux

 Un rapport de l’agence de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture dresse un constat accablant de l’état des sols et des eaux, soumis à un niveau de pression inédit pour nourrir la population.

Comment nourrir une population mondiale croissante sans épuiser les ressources de la planète ? Pour nourrir la réflexion face à ce défi inextricable, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) publie, jeudi 9 décembre, un rapport sur l’état des ressources en terres et en eau. Son sous-titre, « Des systèmes au bord de la rupture », ne laisse pas de place au doute : il y a « urgence à agir », écrit l’agence, car « une pression sans précédent » s’exerce sur les ressources naturelles, « poussées à la limite de leurs capacités de production ».

Le constat que dresse la FAO est alarmant. « Surexploitation, mauvais usage, dégradation, pollution et raréfaction croissante » : un tiers de nos sols est modérément à fortement dégradé, selon l’agence onusienne, dont la publication vient compléter un corpus déjà lourd de travaux et expertises sur l’état des terres et de l’eau. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) avait notamment alerté en 2019 sur l’exploitation intensive des ressources, qui compromet notre capacité à faire face au réchauffement climatique, mais aussi à assurer nos conditions de vie et de subsistance.

Désertification de la mer d’Aral

Selon cette nouvelle étude de la FAO, l’Asie du Sud est la région la plus touchée par la dégradation des terres liées aux activités humaines, avec un peu plus de 41 % de sa superficie concernée (hors zones désertiques). Mais en regardant la répartition géographique en valeur absolue, l’Afrique subsaharienne abrite, à elle seule, un cinquième des terres dégradées, suivie par l’Amérique du Sud (17 % de ces terres).

Les ressources en eau ne se portent pas mieux : 10 % des capacités provenant des cours d’eau et des aquifères sont prélevées, dont plus des deux tiers le sont pour l’agriculture, principalement pour l’irrigation. « Les schémas actuels d’intensification de l’agriculture s’avèrent non durables », écrit la FAO. Li Lifeng, directeur de la division des terres et des eaux de l’agence, détaille au Monde ces pressions : « Certaines pratiques agricoles, comme l’irrigation, provoquent de l’érosion et favorisent la salinisation des terres. Aujourd’hui, 10 % des terres arables sont menacées par l’accumulation des sels. L’usage intensif de plastiques, d’intrants chimiques et d’engrais entraîne aussi des effets pervers sur la qualité des sols », poursuit M. Li. Des effets qui se cumulent, et auxquels s’ajoute le réchauffement climatique.

Comme rappel de la sévérité de la menace, la FAO cite, entre autres exemples, l’assèchement de la mer d’Aral : jadis l’un des plus grands lacs du monde, situé entre six pays d’Asie centrale, notamment l’Ouzbékistan et le Kazakhstan, cette étendue a été victime de plans massifs de détournement d’eau dans les années 1960 pour irriguer des cultures de coton, jusqu’à devenir un quasi-désert. Salinisation et pollution par les pesticides ont achevé de décimer les espèces de poissons présentes dans les cours d’eau en amont, mettant fin aux activités de pêche dont dépendait une partie de la population, contrainte à l’exil.

Inégalités planétaires

« Par rapport à notre précédente évaluation d’il y a dix ans, les défis auxquels nous faisons face se sont aggravés », souligne Li Lifeng. Et les populations les plus vulnérables économiquement se retrouvent les plus affectées. La FAO insiste sur les inégalités planétaires dans l’accès aux ressources : dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, 77 % des petites exploitations se trouvent dans des régions où l’eau est rare, et moins d’un tiers d’entre elles a accès à l’irrigation. Si l’Europe connaît un faible niveau de stress hydrique, de 8,3 %, celui-ci oscille entre 45 et 70 % en Asie de l’Est et en Asie de l’Ouest. Et l’évolution dans le temps n’incite pas à l’optimisme : en Afrique subsaharienne par exemple, les disponibilités en eau par habitant ont diminué de 40 % au cours de la dernière décennie et la superficie agricole est passée de 0,80 à 0,64 hectare par habitant entre 2000 et 2017.

Un sombre bilan, alors que la FAO estime que le niveau de production alimentaire devra progresser de près de 50 % d’ici à 2050 pour répondre à la demande mondiale d’une population estimée à 9,7 milliards d’habitants à cet horizon. Selon l’agence, « l’Asie du Sud et l’Afrique subsaharienne devront plus que doubler leur production agricole pour répondre aux besoins estimés en calories. Le reste du monde devra augmenter sa production d’au moins 30 % ».

Or, les possibilités d’étendre les surfaces cultivées sont très limitées, voire nulles, d’autant que l’urbanisation rapide (55 % de la population vivait en milieu urbain en 2018, et cette part grimperait aux deux tiers de la population en 2050) empiète sur les terres agricoles les plus fertiles. « Il n’y a plus de nouvelles terres disponibles », met en garde Li Lifeng, qui rappelle que, depuis 2010, les surfaces agricoles ont déjà perdu 128 millions d’hectares, principalement des terres qui étaient dédiées au pâturage.

« Un chiffre retient mon attention, note Caroline Lejars, directrice de l’unité gestion de l’eau au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Depuis vingt ans, la demande en eau augmente deux fois plus vite que la population mondiale. » Une discordance qui s’explique par l’urbanisation et les changements de régime alimentaire dans une grande partie du monde, où la consommation de viande est en forte croissance. Si le Cirad n’est pas signataire du rapport de la FAO, l’institution de recherche a néanmoins envoyé des travaux contributifs à l’agence de l’ONU. « On constate que l’accès à l’eau a permis à un grand nombre de petits agriculteurs de sortir de la pauvreté, poursuit Mme Lejars. Mais les politiques d’investissement de ces dix dernières années ont non seulement renforcé la pression sur les ressources, mais aussi accru les inégalités. »

« Déséquilibres extrêmes » sur les terres agricoles

La FAO insiste ainsi sur la nécessité d’affecter de façon plus équitable les terres agricoles, constatant que celles-ci sont soumises à des « déséquilibres extrêmes » et que les grosses exploitations commerciales « se taillent la part du lion ». Plus de la moitié de la superficie agricole est en effet occupée par des exploitations de plus de 500 hectares, tandis que les petites structures (inférieures à 2 hectares) représentent 84 % des exploitations, mais seulement 12 % de la surface agricole mondiale. L’accès inéquitable au foncier pose aussi la question des inégalités de genre : les femmes constituent plus de 37 % de la main-d’œuvre agricole rurale au niveau mondial, et même 48 % dans les pays à faible revenu, mais elles sont moins de 15 % à être propriétaires de terres agricoles.

Malgré ce bilan inquiétant, les tendances peuvent être inversées et « la dégradation des sols est réversible », estime la FAO, qui juge urgent de recourir à des pratiques agricoles plus durables et mieux coordonnées, tenant compte de l’ensemble des besoins des populations (alimentation, énergie…). L’agence encourage par exemple les « infrastructures vertes », comme les plaines d’inondation, par rapport à la construction de digues, car elles permettent d’écouler l’eau lors de fortes crues, en favorisant la biodiversité et la qualité de l’eau.

Même la mer d’Aral, qui semblait condamnée à mort dans les années 1990, bénéficie depuis quelques années d’efforts de restauration qui lui ont permis de regrignoter une petite superficie, et favorisent le retour de certaines espèces aquatiques. Un équilibre fragile, mais qui ouvre la voie à une possible renaissance.



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