vendredi 10 décembre 2021

Pollution de l’eau : un plan de lutte contre les nitrates sans ambition

 Non contraignant, le septième plan de lutte contre les nitrates d’origine agricole, présenté vendredi aux membres du Conseil national de l’eau, pourrait s’avérer aussi inefficace que les six précédents.

Dangereux pour la santé humaine, en particulier celle des nourrissons, nuisible pour les plans d’eau, où il génère des cyanobactéries, et pour les eaux côtières, où il fait proliférer les marées d’algues vertes, l’excès de nitrates fait l’objet d’une lutte continue depuis des dizaines d’années. Ou, du moins, donne-t-il lieu à une succession de plans de réduction et de prévention de la pollution des eaux par cette forme oxydée de l’azote.

La France en est à son septième plan du genre depuis la directive européenne « nitrates » de 1991. Las, sans grand résultat.

Vendredi 3 décembre, les services du ministère de la transition écologique et ceux de l’agriculture ont présenté aux membres du comité national de l’eau, une instance consultative, leur prochain programme d’action national sur les nitrates d’origine agricole (ou PAN), dont les règles doivent entrer en application à l’été 2022. « Le sentiment que ce plan manque nettement d’ambition dominait l’assemblée, qui a tout de même adopté un avis favorable assorti de nombreuses réserves sous forme de recommandations », témoigne Antoine Gatet, le vice-président de France Nature Environnement, qui s’est abstenu.

Car ce nouveau plan, qui se présente sous la forme d’un dossier technique, se limite à des révisions à la marge du précédent. C’est bien ce qui lui est reproché : pourquoi ne pas changer un programme qui ne marche pas ? L’autorité environnementale, une instance indépendante relevant du ministère de la transition écologique, avance un début de réponse dans l’avis sévère qu’elle a rendu le 19 novembre :

« Les adaptations prévues du PAN visent moins à accroître son efficacité sur la réduction de la pollution par les nitrates qu’à en limiter les contraintes pour les agriculteurs au motif d’en favoriser l’appropriation. »

Autrement dit pas question de froisser un secteur à l’origine de l’essentiel du problème, puisque 88 % des nitrates sont dus à l’excès d’azote épandu dans les champs.

Vingt-cinq années d’engagements de l’Etat

Après avoir déjà été consultés en 2011 et 2016, les experts laissent poindre leur agacement au sujet de l’exercice quadriennal 2022-2026 : « L’évaluation des PAN précédents n’a pas permis de montrer leur efficacité. [Elle] ne démontre pas en quoi les nouvelles mesures amélioreront la situation, voire en quoi elles ne la dégraderont pas. »

L’autorité environnementale conclut en demandant d’informer le public « sur le coût environnemental, social et économique de la pollution par les nitrates et de l’eutrophisation [le manque d’oxygène] » des eaux.

Le conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et le conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, deux services ministériels, ont déjà établi un diagnostic similaire. En novembre 2020, ils soulignaient que malgré vingt-cinq années d’engagements de l’Etat, « les résultats en termes de teneur en nitrates des eaux superficielles et souterraines restent très loin des objectifs et semblent ne plus s’améliorer ». Cette année-là, 66 % de la superficie des territoires de France métropolitaine présentaient des eaux polluées, altérées par l’eutrophisation ou susceptibles de l’être (58,5 % en surface, 51,9 % dans les nappes souterraines).

Les superficies agricoles concernées par le trop-plein d’azote n’ont cessé de s’étendre depuis les premiers programmes nationaux, non seulement dans une grande part nord-ouest du pays, mais aussi dans les zones de grandes cultures du Bassin parisien, en Alsace, Adour-Garonne… Sur le long terme, la situation s’est améliorée dans l’Ouest, note le CGEDD, mais elle se dégrade en Picardie, dans le bassin Rhin-Meuse, et empire globalement dans les nappes souterraines. Le Réseau national de surveillance, qui compte plusieurs milliers de stations, recense presque autant de points de hausse que de baisse des concentrations en nitrates depuis les années 1990, avec de fortes disparités locales.

Un territoire dont les teneurs sont supérieures à 18 milligrammes par litre (mg/l) en surface et 40 mg/l dans les nappes souterraines est classé « zone vulnérable ». Cette appellation paradoxale signifie qu’il faut impérativement y modifier les pratiques agronomiques afin d’en réduire la contamination. Actuellement, 19 millions d’hectares de superficie agricole utile et 62 % des exploitations sont dans ce cas.

Et lorsque dans un point de prélèvement la concentration de nitrates dépasse 50 mg/l – le seuil fixé par l’Organisation mondiale de la santé pour l’eau potable –, il faut interconnecter le réseau avec des sources plus lointaines et abandonner le captage, trop contaminé. La France a dû en fermer près de mille depuis les années 2000. La saga des nitrates pèse lourd sur la facture d’abonnement des consommateurs. L’alimentation au robinet de 11,4 % de la population a tout de même dépassé par moments 40 mg/l en 2018.

« Un modèle agricole qui nous emmène dans le mur »

Comme ses prédécesseurs, le septième programme décline une série de mesures censées inciter les exploitants à équilibrer leur recours à la fertilisation – qu’elle soit organique (les excrétions des cheptels français produisent plus de 1,7 million de tonnes d’azote, selon les données de 2017) ou de synthèse.

La dose de trop que les plantes ne peuvent absorber va se transformer en concentration de nitrites et de nitrates dommageables pour la qualité de l’eau, mais aussi pour l’air. Car elle entraîne des émissions de protoxyde d’azote – un gaz doté d’un effet de serre très puissant – et produit de l’ammoniac, qui participe à la formation de particules fines.

Les mesures recommandées par le PAN portent sur les quantités maximales d’épandage (en principe pas plus de 170 kilogrammes par hectare et par an) et sur les calendriers d’interdiction, sur les modes de stockage des effluents d’élevage, sur les façons de les répartir par rapport aux cours d’eau ou sur des terrains en pente, gelés, inondés… Elles encadrent aussi la couverture des sols par des cultures intermédiaires entre deux moissons, afin de réduire les fuites d’azote et les cahiers que les agriculteurs doivent tenir sur leurs recours à l’engrais.

Le problème, selon les rapporteurs, c’est que le PAN manque d’objectifs chiffrés. Il pâtit de l’absence de suivi et de contrôle, ne prévoit pas de base de données de référence qui recenserait incidents et anomalies, n’informe pas assez. Il tient aussi à la multiplication des dérogations que la profession agricole obtient auprès des préfets : 164 depuis 2012, dont 104 depuis 2016. Et le nouveau texte introduit des possibilités supplémentaires de dépasser les plafonds d’azote sur telle ou telle culture. « Cette situation s’accompagne, pour les acteurs, d’une perte de sens manifeste de cette politique publique », concluent les experts.

« Il est quand même incroyable que le PAN ne cite à aucun moment l’agriculture biologique, alors qu’elle est la seule réponse à la dégradation de l’eau, estime Stéphane Rozé, paysan en Ille-et-Vilaine. Alors que seul un tiers des masses d’eau sont en bon état écologique, on continue de vouloir conforter un modèle agricole qui nous emmène dans le mur. On note les déjections sur un cahier, on bouge un peu le calendrier d’épandage, mais les quantités restent les mêmes. C’est incompréhensible ! »

Egalement représentant de la Fédération nationale de l’agriculture biologique au comité national de l’eau, M. Rozé déplore ce PAN qui reste « flou et s’apparente à un catalogue de simples recommandations, plutôt qu’à un plan d’actions efficaces ». Mais il estime que la situation serait pire, « dramatique » même, sans ce cadre. Pour sa part, l’assemblée permanente des chambres d’agriculture doit livrer son point de vue mi-décembre.


En Bretagne, classée tout entière en zone vulnérable, la justice aussi s’est prononcée. En juin, le tribunal administratif de Rennes a annulé la déclinaison régionale du PAN pour manque d’ambition vis-à-vis du problème récurrent des marées vertes. L’état des rivières de la région s’est certes amélioré sur le long terme, mais il ne progresse plus depuis 2014. En cette fin d’année dans les Côtes-d’Armor, des plages sont toujours fermées pour cause d’échouage de grosses couches d’algues.

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