dimanche 30 août 2020

Urgence contre les pesticides SDHI

Le 15 avril 2018, une tribune de chercheurs publiée par «Libération» donnait l’alerte sur les dangers des inhibiteurs de la succinate déshydrogénase qui détruisent la biodiversité et menacent notre santé. Plus de deux ans plus tard, qu’attend-on pour agir ?

Tribune. Les pesticides SDHI sont supposés tuer les champignons responsables de la pourriture des produits végétaux. Mais on sait aujourd’hui qu’ils s’attaquent également aux populations de vers de terre, de nématodes, d’insectes, à la faune aquatique, etc., créant des ruptures inévitables dans les chaines alimentaires. On sait aussi qu’ils représentent un risque pour l’homme. Il est établi que les SDHI inhibent la respiration cellulaire en bloquant une enzyme des mitochondries, la succinate déshydrogénase (SDH), cela sans spécificité d’espèce (1). Ils bloquent autant l’enzyme des vers de terre, des abeilles, des champignons que celle de l’homme. Rien d’étonnant à cela, cette enzyme a été extraordinairement conservée au cours de l’évolution, et est quasiment identique chez toutes les espèces.

Ces pesticides participent, au côté du changement climatique et des pratiques agricoles à court terme, à la perte de la biodiversité. Les chiffres de l’écocide des insectes, des oiseaux, des petits mammifères sont effrayants : l’urgence est absolue.

Pour l’homme, nous voilà désormais assis sur une bombe incontrôlable. Les SDHI sont partout, dans l’air, la terre, et l’eau. La SDH et ses produits ont un rôle clef dans la vie de la cellule et des organismes vivants. La complexité de ce rôle est telle qu’à ce jour, personne ne peut dire quand et comment cette bombe explosera : malformations, maladies neurologiques, cancers ? Les scientifiques, dont nous sommes, doivent se l’avouer, ils savent juste que le risque est considérable et cela encore plus pour les personnes dont les mitochondries ne fonctionnent déjà pas très bien (malades de Parkinson, d’Alzheimer, atteints d’ataxie, ou d’une maladie mitochondriale). Nous étions deux en 2017, 11 en 2018, 450 début 2020 dans un appel paru dans le Monde, à demander en vain l’application urgente du principe de précaution et la remise en cause de l’usage immodéré, répété et préventif des SDHI.

Si la catastrophe écologique est là, que le risque pour l’homme est indiscutable, le bénéfice des SDHI pour l’agriculture est loin d’être évident. Malgré nos demandes, nous n’avons pas obtenu de données établissant sérieusement un quelconque bénéfice significatif. Les seules publications scientifiques sur ce sujet soulignent la difficulté de quantifier l’impact des fongicides sur les rendements. Elles montrent de grandes variations dans les mesures, cela pour des gains souvent inférieurs à ces variations. La réalité est que l’on a fait investir dans l’achat de machines très coûteuses destinées à répandre ces pesticides, que l’on a détruit une agriculture pérenne, sur la base d’une tromperie qui apparaît progressivement.

Pourtant, malgré l’urgence, rapports, expertises, auditions, financement de projets illusoires se succèdent sans aboutir depuis trois ans. L’actualité du moment sur les SDHI ? La mise en place par l’Anses d’un xième groupe de travail d’une quinzaine de personnes qui permettra d’étudier de nouveau à loisir les moins de 25 publications scientifiques disponibles sur le sujet (selon les dires mêmes de l’Anses) en attendant d’analyser le rapport de l’Inserm, demandé en avril 2018, et prévu, au mieux, pour novembre 2020 !

De plus, la composition consanguine de ces groupes réunissant quelques personnes sélectionnées, passant éventuellement d’un groupe à l’autre, permettra, en l’absence de contradiction, de ne pas traiter l’urgence. Nous, qui avons colligé de façon exhaustive, sans doute plus que bien d’autres, la littérature scientifique internationale sur les SDHI et la SDH, et pendant plus de trente ans largement participé aux travaux sur les pathologies consécutives à des perturbations de l’activité de la SDH, nous avons pu nous forger une conviction sur cette base scientifique, conviction que nous avons l’honnêteté et ne craignons pas d’afficher. Mais apparemment, le débat contradictoire n’est pas de mise dans ces comités desquels nous sommes curieusement exclus. Pourtant l’actualité d’autres pesticides, comme le glyphosate, montre que les pratiques adoptées par l’Anses, certes réglementaires, nagent dans les conflits ou liens d’intérêt, et cela en l’absence périodique de garantie d’éthique. Bien que la transparence soit revendiquée, c’est plutôt l’omerta qui règne dans les procédures de cette agence. La même que celle qui est couramment pratiquée dans le monde de l’agrochimie, sur des sujets qui réclameraient au-delà des mots une absolue transparence.

Du bout des lèvres, sous notre pression, l’Anses commence à reconnaître qu’une partie des tests sur les SDHI devraient changer. Ils sont en réalité totalement inadéquats. Quant aux animaux utilisés pour tester les SDHI, on les sait depuis les années 2000 également inadaptés au cas de ces pesticides. Actuellement rien des tests réalisés en laboratoire ne permet d’écarter le danger des SDHI, bien au contraire.

Les préoccupations touchant à la biodiversité, au développement durable et à la sécurité sanitaire, sont devenues à juste titre prioritaires pour un grand nombre de nos concitoyens. Il revient aux politiques d’être décisionnaires ainsi que l’Anses ne cesse de le répéter pour mieux justifier son inertie. C’est le moment. Les SDHI, véritable cas d’école, méritent toute l’attention de la ministre de la Transition écologique et nous espérons ardemment qu’elle entendra l’appel de scientifiques et agira dans le sens du retrait des SDHI.

Par Paule Bénit, ingénieure de recherche, Inserm et Pierre Rustin, directeur de recherche, CNRS  

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