vendredi 8 juin 2018

Pourquoi les agriculteurs ont tant de mal à lâcher les phyto

Passer d'un produit miracle, comme l'herbicide total glyphosate, à un mix de solutions demande aux agriculteurs de revoir totalement leurs pratiques. Sans une mobilisation de tous et une volonté politique forte, la réduction des phyto ne se fera pas.

Glyphosate, néonicotinoïdes… Les polémiques ne cessent d'alimenter les débats sur les produits phytosanitaires. Une table ronde, réunissant l'Anses, l'Inra, les ministères de l'Agriculture et de la Transition écologique, et les Chambres d'agriculture, était organisée mercredi 6 juin au Sénat sur cette question. Premier constat : la réduction des phyto ne fait plus débat. "Notre modèle agricole est extrêmement dépendant aux produits phytosanitaires. Cette dépendance est liée à un contexte économique, à une volonté de production, de recherche de compétitivité… Mais le système atteint ses limites. Les inquiétudes sont fortes sur les atteintes à la biodiversité, et de plus en plus de signaux alertent sur les effets sanitaires, les effets cocktails…", résume Patrick Dehaumont, directeur général de l'alimentation au ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation.
La cancérogénéité du glyphosate n'est pas la question
En moyenne, 60.000 tonnes de produits phytosanitaires sont utilisées en France, avec une concentration croissante sur certains produits, alerte l'Anses : "Il y a une augmentation de l'usage des phytosanitaires et une diminution du nombre de substances disponibles", précise son directeur général, Roger Genet. Ainsi, la France est passée de 425 substances actives autorisées en 2008 à 352, dont 75 en biocontrôle. Les autorisations de mise sur le marché (AMM), qui portent sur un couple substance/usage, ont fortement chuté également : de 3.036 en 2008 à 1.230 en 2017, dont 20% représentent des solutions en biocontrôle.
"En termes d'alternatives chimiques, on est face à beaucoup moins d'offre dans la pharmacopée. On utilise davantage un certain nombre de produits, qui ne sont pas forcément les moins dangereux", souligne Roger Genet. Et c'est bien le constat que fait l'Anses dans le rapport sur les alternatives aux néonicotinoïdes, publié la semaine dernière. Celles-ci existent pour la plupart des usages, mais elles se concentrent sur un nombre restreint de molécules, ce qui suppose des "risques de résistance accrue aux substances chimiques", indique Françoise Weber, directrice générale adjointe de l'Anses.
D'ailleurs, si elle assume sa "différence d'appréciation" avec le Centre international de la recherche sur le cancer (Circ) sur la cancérogénicité du glyphosate, l'Anses n'écarte pas d'autres risques. Elle planche actuellement sur la toxicité de la substance, et devrait présenter ses conclusions à l'automne. "Le glyphosate représente 9.000 tonnes sur les 60.000 tonnes de phyto utilisées en France. Des concentrations très importantes sont déversées dans les milieux. Nous ne pouvons pas garantir l'innocuité sur le long terme", explique Roger Genet. Autrement dit, qu'il soit cancérogène ou pas, la question n'est pas là. Il faut réduire la dépendance de l'agriculture à cet herbicide total, et aux autres molécules. "Il faut baisser le facteur d'exposition global. Le premier principe doit être de diminuer le risque à la source. Il faut garder une palette de substances actives correctives dont nous pourrions avoir besoin, y compris en termes de santé publique (par exemple, les insecticides pour lutter contre le chikungunya)", estime le directeur de l'agence.
Des innovations de rupture sont nécessaires
Mais là réside toute la difficulté. Comment passer d'un produit unique, qui s'applique sur de nombreuses cultures et a des résultats miraculeux, à une combinaison de solutions aux résultats moins probants ? "Le glyphosate est un herbicide total très efficace. On ne va pas trouver une solution qui s'appliquera à toute l'agriculture française. Les approches seront différentes selon les territoires, les cultures, les systèmes, analyse Philippe Mauguin, PDG de l'Inra. La question est : combien ça coûte et comment on fait".
L'Inra a réuni la semaine dernière 180 chercheurs et agriculteurs sur ce sujet. Pour certaines cultures légumières ou pour la viticulture en terrasse, il n'y a pas d'alternative autre que le désherbage manuel. Pour les autres, des solutions existent : désherbage mécanique, couverts végétaux…
"Nous sommes dans un moment où il faut choisir. Les solutions existent, mais elles sont difficiles à mettre en œuvre. Nous venons d'un monde simple, avec les produits chimiques, et nous devons aller vers une manière de produire plus compliquée", souligne Karine Brulé, sous-directrice de la protection de la gestion de l'eau au ministère de la Transition écologique. Car de simples innovations technologiques ne suffiront pas.
"Une publication de l'Inra de 2017 montre que, sur un petit millier de fermes françaises, des agriculteurs ont pu réduire de 30% l'usage des phyto sans perte de productivité. Cela ne veut pas dire que c'est facile, mais ça donne des perspectives optimistes", explique Philippe Mauguin. Mais l'expert prévient aussitôt : "En fonction du gradient de réduction des phyto, les difficultés sont croissantes. 30%, c'est possible. Mais si on veut aller plus loin, 50% et au delà, il faut une reconception des modèles agricoles. Il s'agit plus d'une innovation de rupture que d'une innovation incrémentale".
En effet, utiliser du matériel de précision (pulvérisation, robots, capteurs…), des bulletins de santé etc… permet de traiter au bon moment et de manière plus fine. Mais réduire de 50% ou plus l'usage des pesticides suppose de revoir les pratiques, en remettant l'agronomie au cœur des systèmes (rotation, couverture des sols…), mais aussi en développant le biocontrôle, la génétique…
Difficile, mais pas impossible
"La culture de riz est très gourmande en fongicides. Une expérimentation en Chine nous a permis d'atteindre zéro fongicide grâce à un mélange de variétés de riz", indique Philippe Mauguin. Sous des latitudes plus proches, l'Inra a obtenu des résultats encourageants sur la vigne, grâce à la génétique. "Nous avons mis au point des variétés de vignes résistantes à l'oïdium et au mildiou, par croisement et hybridation avec des vignes sauvages. La diffusion ne se fera pas du jour au lendemain mais, si on nous laisse le temps, d'ici une quinzaine d'années, 80% de réduction de pesticides seront accessibles dans la viticulture", estime l'expert de l'Inra.
Depuis 2009, les fermes Dephy expérimentent des solutions sur le terrain pour réduire l'usage des phyto et diffuser les bonnes pratiques. "Chaque région, chaque culture ont leurs problématiques, il faut trouver des solutions pour chacune", explique Didier Marteau, membre du bureau de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture et président de la Chambre d'agriculture de l'Aube. Et celles qui sont probantes sont rapidement adoptées sur le terrain. "Cette année, dans ma région, le colza a été semé en mélange avec la féverole. Cette légumineuse est répulsive et permet de lutter contre les attaques de charançon, tout en enrichissant les sols. Résultat : on a pu s'affranchir de pesticides à l'automne". Le plan Ecophyto prévoit de diffuser ces solutions auprès de 30.000 fermes. Pour l'heure, seulement 5.000 seraient mobilisées... "On est loin du compte !", prévient l'agriculteur.
Mais mobiliser les chercheurs et les agriculteurs ne suffira pas. Il faut revoir les cahiers des charges trop stricts incompatibles avec une réduction des phyto, voire redéfinir les critères de qualité. Agir au niveau européen pour ne pas mettre les agriculteurs français dans une position fragilisée en terme de compétitivité. Sensibiliser le consommateur aux coûts engendrés par la réduction des phyto... Autrement dit, embarquer toute la société…


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