lundi 25 novembre 2013

Les abeilles sacrifiées sur l'autel de l'agriculture intensive

La question de la santé des abeilles interpelle les professionnels mais aussi la société civile, comme l'a montré le succès des rencontres scientifiques organisées par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) le 21 novembre 2013 à Maisons-Alfort.
Des enjeux colossaux de fourniture alimentaire
Il faut dire que les enjeux sont colossaux. Car, comme le souligne Claudine Joly, vétérinaire membre du réseau agriculture de France Nature Environnement (FNE), au-delà des intérêts économiques du seul secteur apicole, une épée de Damoclès pèse sur la pollinisation des cultures, avec des risques de remise en cause de la fourniture et de la qualité alimentaire pour les populations.
 "L'apiculture est fondamentale dans les services de la pollinisation, ajoute François Gerster, responsable du Plan de développement durable de l'apiculture lancé par le ministère de l'Agriculture, 80% des cultures (essentiellement fruitières, légumières, oléagineuses et protéagineuses) sont dépendantes des insectes pollinisateurs, dont l'abeille domestique est le chef de file".
De plus, l'abeille joue un rôle de sentinelle, donnant l'alerte en cas d'atteintes à l'environnement et à la biodiversité. Or, l'alerte est bel et bien lancée : "les mortalités hivernales moyennes sont supérieures à 20% et il est fréquent que les taux de pertes annuelles dépassent les 30%", relève François Gerster, même si les chercheurs de l'Institut de l'abeille (ITSPA) ont pu constater une diminution des pertes hivernales ces cinq dernières années en France.
Démêler l'écheveau des causes multifactorielles
Comment expliquer un tel désastre ? "Il est dorénavant établi, affirme François Gerster qui veut incarner "la neutralité de l'Etat", qu'il n'y a pas une cause unique de mortalité des colonies d'abeilles mais plusieurs facteurs concomitants, qui parfois se potentialisent. On peut citer, ajoute-t-il, les agressions chimiques (pesticides dont insecticides, fongicides…), le parasitisme chronique de Varroa, les agressions microbiologiques (bactériennes et virales), l'insuffisance de ressources alimentaires équilibrées et accessibles tout au long de la saison, l'inadaptation des reines importées à l'écotype des colonies et les pratiques parfois inadaptées de certains apiculteurs…".
Des profils de toxicité inattendus
"On tourne autour du pot", estime toutefois Jean-Marie Barbançon, président de la Fédération nationale des organisations sanitaires apicoles départementales (Fnosad), pour qui le facteur "pesticides" est largement sous-estimé. Comme le souligne Luc Belzunces, directeur de recherche à l'INRA, "à faibles doses, et plus spécialement en exposition chronique, les pesticides peuvent présenter des profils de toxicité inattendus qui remettent en cause le dogmatique principe d'une toxicité qui croît avec l'intensité de l'exposition à un toxique".
Leurs effets peuvent être plus complexes que d'entraîner une mortalité directe des abeilles, les pesticides pouvant déséquilibrer des colonies en termes de classes d'âge, explique Jean-Marie Barbançon. Cet affaiblissement des colonies peut expliquer une sensibilité plus grande aux maladies infectieuses et parasitaires, d'où par exemple un impact plus important de Varroa, cet acarien qui parasite les ruches. L'origine "multifactorielle" de la surmortalité pourrait dès lors légitimement être rediscutée.
D'autant qu'une autre grande cause de mortalité, l'insuffisance de ressources alimentaires pour les abeilles, peut s'expliquer également par le développement de l'agriculture intensive. "En zones de grandes cultures, une conséquence directe de l'intensification et des pratiques agricoles actuelles est la diminution, la disparition ou l'irrégularité dans le temps et dans l'espace des zones constituant les ressources alimentaires des abeilles", confirme Axel Decourtye, chef de projets à l'Association de coordination technique agricole (ACTA).
De plus, "la très forte dépendance des abeilles domestiques et de l'apiculture envers les cultures oléagineuses, ainsi que la récolte significative du pollen de maïs, induit un risque d'intoxication lié aux pesticides employés par les cultivateurs", ajoute le chercheur. Ce qui, une fois encore, ramène sur la piste des produits phytosanitaires.
Mettre à disposition des apiculteurs de nouvelles molécules
Pourtant les faisceaux d'indice qui conduisent à incriminer les molécules chimiques ne découragent par leurs promoteurs. Au programme des rencontres de l'Anses figurait en effet la question de "la disponibilité du médicament vétérinaire". "L'arsenal thérapeutique pour les abeilles se limite en France à quelques médicaments, tous destinés au traitement de la varroase", déplore Eric Fresnay de l'Anses. "L'objectif global est d'augmenter et de diversifier l'arsenal thérapeutique par la mise à disposition de nouvelles molécules ou de nouvelles formulations", explique Anne Touratier, adjointe au directeur de la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire (GDS France).
Mais parce qu'"une véritable amélioration de la disponibilité en médicaments (…) passe par un retour sur investissement pour les laboratoires pharmaceutiques pour des marchés limités", plusieurs initiatives ont été prises pour aider ces derniers : notamment une politique incitative de l'Agence européenne du médicament (EMA) passant par des réductions de frais de dossiers et un allègement des données à fournir dans les dossiers d'autorisations de mise sur le marché (AMM), ainsi que la possibilité d'enregistrer en France des produits autorisés dans d'autres pays européens.
Ces initiatives sont d'autant plus utiles, explique Eric Fresnay, que l'existence sur le marché de préparations artisanales freine le développement des médicaments vétérinaires. "Outre le fait que ces produits ne garantissent aucune efficacité ni sécurité à l'emploi, ils viennent également, du fait de leur petit prix, restreindre le marché déjà faible et concurrencer le médicament vétérinaire", déplore le spécialiste en pharmacovigilance de l'Anses.

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