La transition vers une économie bas carbone pénalisera les industries fortement émettrices de CO2 et donc les banques qui y sont exposées.
Ce ne sont plus seulement des militants du climat qui sonnent l’alarme. Les autorités financières exhortent désormais les banques à revoir leurs politiques de prêt, en prenant davantage en compte le réchauffement climatique. La Banque centrale européenne (BCE), le superviseur des plus grands établissements financiers de la zone euro, a ainsi publié, le 22 septembre, les résultats sans appel de son tout premier stress test climatique appliqué à l’économie européenne dans son ensemble, et aux banques en particulier.
Ses conclusions ? Les établissements bancaires de la zone euro « pourraient être gravement touchés par un scénario dans lequel le changement climatique n’est pas pris en compte ». Les pertes attendues sur les portefeuilles de prêts aux entreprises augmenteraient considérablement au fil du temps, en raison de l’accroissement des catastrophes naturelles, et « pourraient devenir critiques au cours des trente prochaines années ». L’institution de Francfort conclut que « le changement climatique représente donc une source majeure de risque systémique », c’est-à-dire un potentiel effondrement du système financier, par effet de contagion, si un acteur bancaire de poids venait à faire défaut.
Le réchauffement climatique fait encourir deux types de péril à l’économie et aux banques : le premier est physique, lié à l’augmentation de la fréquence et de l’ampleur des catastrophes naturelles ; le second, qualifié de « risque de transition », découlerait de politiques coercitives pour réduire les émissions de CO2. Si les gouvernements durcissent véritablement la réglementation, les industries fortement émettrices s’en trouveront grandement fragilisées, ce qui augmentera le danger de non-remboursement des prêts accordés par les banques.
Un régulateur plus visionnaire que ses pairs avait mis en garde, dès 2015, le monde de la finance. Dans un discours devenu célèbre, Mark Carney, alors gouverneur de la Banque d’Angleterre, avait qualifié le changement climatique de « tragédie de l’horizon », et prévenu que l’évolution vers une économie bas carbone pourrait transformer les actifs financiers « intensifs en carbone » en « actifs échoués ».
Les banques françaises affirment avoir progressé
Une étude, publiée en juin 2021 par l’Institut Rousseau et les ONG Reclaim Finance et Les Amis de la Terre, a cherché à mesurer l’impact potentiel, en quantifiant les « actifs fossiles » présents au bilan des onze principales banques de la zone euro, c’est-à-dire les produits financiers contribuant au financement des activités d’exploration, d’exploitation ou de distribution du pétrole, du gaz et du charbon. Les auteurs du rapport arrivent à la conclusion alarmante que ces institutions « cumulent un stock de plus de 530 milliards d’euros d’actifs liés aux énergies fossiles », soit l’équivalent de « 95 % du total de leurs fonds propres » – le volume de capitaux détenu par les banques.
Pour Julien Lefournier, qui a travaillé pendant vingt-cinq ans sur les marchés financiers, coauteur du livre L’Illusion de la finance verte (Editions de l’Atelier, mai 2021, 240 pages), ces chiffres donnent le vertige, « mais seulement si on entame une transition, pas si on ne fait rien comme aujourd’hui ». « Or les révélations autour de ces actifs échoués n’ont pas fait réagir les marchés. Aujourd’hui, ça ne fait peur à personne », note-t-il.
Les banques françaises affirment pourtant avoir progressé. Pour BNP Paribas, les premières restrictions sur les crédits ont débuté en 2013 pour des projets concernant les sables bitumineux, puis ont été élargies aux entreprises spécialisées dans l’exploration, la production ou la distribution du pétrole et gaz de schiste en 2017. La banque assure avoir arrêté de financer la moitié des entreprises productrices d’électricité qui étaient ses clients, dans le monde, depuis 2019. Toutefois, comme le reconnaît un banquier français sous le sceau de l’anonymat, « il est plus facile de mettre fin à ses relations avec de petits acteurs lointains qu’avec Total ».
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