mercredi 20 octobre 2021

Les espèces envahissantes coûtent cher à la France

 Moustique tigre, frelon asiatique, ambroisie... La France est un des pays les plus touchés par les « espèces envahissantes exotiques ». Et celles-ci ont un coût : entre 1 et 10 milliards d’euros en vingt-cinq ans selon une étude. Principaux secteurs affectés : la santé et l’agriculture.

Si l’on vous dit « espèce exotique envahissante » (EEE), pensez-vous à la vorace écrevisse de Louisiane ou au frelon asiatique, un prédateur d’abeilles qui vient de débarquer à Marseille ? Avec au moins 544 EEE présentes sur son territoire, la France est l’un des pays européens les plus hospitaliers, en métropole plus encore qu’en outre-mer. Plantes, vertébrés, invertébrés, champignons, microorganismes… tous les groupes s’y plaisent, dans tous les milieux. L’ennui, c’est que la présence des EEE, rendue possible par le tourisme et la croissance ininterrompue des échanges commerciaux, est un fléau pour la biodiversité : elles sont responsables de plus de la moitié des extinctions d’espèces dans le monde.

On le sait moins : elles frappent aussi — lourdement — au portefeuille. Depuis cinq ans, un réseau d’écologues et d’économistes décortique les études publiées en douze langues sur les coûts des EEE pour les compiler dans InvaCost, la base de données la plus riche au monde sur ce sujet. L’équipe fondatrice vient de publier un article sur les invasions biologiques en France dans la revue NeoBiota, ainsi qu’une judicieuse « synthèse pour les décideurs ».

Le coût en million d’euros, en France, des espèces exotiques invasives. Rapport Les coûts économiques des invasions biologiques en France.

Bilan : si l’on ne prend en compte que les données les plus fiables sur les quatre-vingt-dix-huit espèces les mieux documentées (soit 18 % du total), le coût des EEE atteint 1,1 milliard d’euros entre 1993 et 2018 [1]. En englobant toutes les études, y compris celles qui se fondent sur des extrapolations, la facture est alors multipliée par dix (10,2 milliards d’euros) !

Le top des envahisseurs : les plantes et les insectes

La majorité des EEE « auditées » en France ont été introduites par trois voies : la contamination (exemple : la crépidule en Manche arrivée en compagnie des huîtres), les évasions (exemple : l’ibis sacré) et les transports accidentels (exemple : le frelon asiatique) [2]. Le cas des visons d’Amérique est bien connu : importés en Europe pour l’élevage, ils ont été massivement abandonnés lorsque la mode de la fourrure a passé. Ils ont alors concurrencé le vison européen, décimé les campagnols amphibies et les sternes de Dougall, et diffusé leurs pathogènes — parmi lesquels des coronavirus.

Sur le podium des envahisseurs se trouvent les plantes et les insectes. L’ambroisie à feuilles d’armoise représente à elle seule 43 % des coûts totaux, suivie par le moustique Aedes aegypti (26 %) et le moustique tigre (10 %). Ces trois-là concentrent presque 80 % des coûts estimés au niveau national.

La capacité de ces deux espèces d’insectes à causer des maladies graves telles que la dengue, le zika ou le chikungunya pèse en premier lieu sur le secteur de la santé (coût : 288 millions d’euros). Même chose pour l’ambroisie : les pollens produits par les différentes espèces, et plus particulièrement l’ambroisie à feuille d’armoise, sont très allergéniques. Une part croissante de la population d’Auvergne-Rhône-Alpes, région la plus touchée en France, y est vulnérable (de 5 % en 1980 à environ 13 % en 2014). Autre nuisance : en envahissant les champs, les ambroisies causent aussi des pertes de rendement en agriculture, deuxième grand secteur qui pâtit de ces infestations (coût : 229 millions d’euros).

Près de 80 % des coûts économiques liés aux EEE concernent les dommages et les pertes, et seulement 20 % la lutte. Depuis 2015, un règlement européen [3] contraint la France à mettre en œuvre des plans pour gérer et prévenir ces espèces. Pourtant, ni le public ni les décideurs, surtout, n’ont conscience des enjeux, déplore la synthèse rédigée précisément à l’intention de ces décideurs.

D’autant que la facture réelle est bien plus salée puisque le coût de 82 % des EEE n’est pas pris en compte par manque de données. Pire : elle ne va pas s’alléger à l’avenir car le rythme des invasions biologiques ne mollit pas. De la noctuelle de la tomate au serpent brun arboricole en passant par la fourmi de feu, une kyrielle de ravageurs déjà partis à l’assaut du monde n’attend qu’une bonne occasion pour faire souche en France.

C’est maintenant que tout se joue…

La communauté scientifique ne cesse d’alerter sur le désastre environnemental qui s’accélère et s’aggrave, la population est de plus en plus préoccupée, et pourtant, le sujet reste secondaire dans le paysage médiatique. Ce bouleversement étant le problème fondamental de ce siècle, nous estimons qu’il doit occuper une place centrale et quotidienne dans le traitement de l’actualité.
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En résumé, Reporterre est un exemple rare dans le paysage médiatique : totalement indépendant, à but non lucratif, en accès libre, et sans publicité.
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Les insectes constituent 55 % de la biodiversité des espèces et 85 % de la biodiversité animale

 Avec près de 1,3 million d'espèces décrites existant encore (et près de 10 000 nouvelles espèces inventoriées par an1), les insectes constituent 55 % de la biodiversité des espèces et 85 % de la biodiversité animale (définie par le nombre d'espèces)2. On estime entre 5 et 80 millions d'espèces possibles3,4,5. 1019 (10 milliards de milliards) d'individus seraient vivants en même temps à un instant donné selon des estimations6. Leur biomasse totale serait 300 fois plus importante que la biomasse humaine, quatre fois supérieure à celle des vertébrésb, sachant que les insectes sociaux représentent à eux seuls la moitié de la biomasse des insectes8.

L’EFFONDREMENT DES POLLINISATEURS SAUVAGES : UN DRAME SILENCIEUX

 Tout aussi grave que le déclin des abeilles domestiques, l’effondrement des pollinisateurs sauvages est pourtant peu médiatisé. Ces précieux insectes, indispensables à l’équilibre des écosystèmes, s’éteignent dans le plus grand silence. L’une des premières causes de leur dépérissement est l’agriculture intensive et son usage immodéré de pesticides.

Chaque année, à la sortie de l’hiver, les apiculteurs inspectent leurs ruches et décomptent les colonies qui n’ont pas survécu. Selon les enquêtes nationales lancées depuis 2018 auprès des professionnels, le taux de pertes se situe autour de 20 à 30 % par an. Ce chiffre, qui reflète la situation inquiétante des butineuses, n’est cependant que la partie visible d’un drame bien plus vaste.

Car si l’état des populations d’abeilles domestiques, au coeur de la filière de production de miel, est scrutée de près, celui de l’immense famille des pollinisateurs sauvages, abeilles solitaires, bourdons, papillons, coléoptères, etc., commence à peine être mis en lumière. Malgré le manque criant de recherche, les données disponibles dessinent un tableau glaçant : la chute des populations sauvages est vertigineuse.

En Belgique, plus de la moitié des espèces d’abeilles sont menacées d’extinction, et 12 % ont déjà disparu. Pour les bourdons, c’est encore pire : 80 % des espèces sont menacées d’extinction, déjà éteintes ou en passe d’être menacées. En Bavière, les ¾ des espèces d’abeilles sauvages ont disparu en seulement 10 ans. Dans la région protégée du Nord-Rhin-Westphalie, les populations syrphides ont diminué de 84 %. A l’échelle européenne, plus du tiers des espèces de papillons sont en déclin, avec une chute de près de 40 % en trente ans…

Un taux d’extinction vertigineux

Une recherche menée sur trois décennies en Allemagne a relevé des taux de déclin spectaculaires dans des zones naturelles pourtant protégées. En analysant les données recueillies sur une période de 27 ans, les scientifiques ont constaté une diminution de la biomasse des insectes volants de 76 % en moyenne, et de 82 % au milieu de l’été. Des taux qui, selon les auteurs de l’étude, sont généralisables à l’ensemble de l’Europe.

À l’échelle mondiale, le tableau est tout aussi sombre. Un rapport de l’IPBES, l’équivalent du GIEC pour la biodiversité, indiquait, en 2016, que 40 % des espèces pollinisatrices invertébrées étaient actuellement menacées, et 16 % en voie d’extinction. Selon une méta-analyse publiée en 2019, le taux d’extinction des insectes serait huit fois plus rapide que celui des mammifères, des oiseaux et des reptiles. Les insectes pollinisateurs, comme les lépidoptères et les hyménoptères, sont en première ligne de cette catastrophe.

Le déclin accéléré de ces insectes indispensables fait désormais planer une menace sur l’ensemble des écosystèmes. Car ce sont elles principalement, les innombrables espèces sauvages, qui pollinisent les plantes à fleurs, et près de 80 % des variétés que nous cultivons pour nous nourrir, pas uniquement Apis mellifera, notre abeille à miel.

Abeilles maçonnes, abeilles sauvages terricoles, comme les andrènes ou les halictes qui creusent des galeries dans le sol, abeilles tapissières, comme Megachile rotundata, qui découpe des petits morceaux de feuilles, ou comme l’anthocope du pavot, qui revêt de pétales de coquelicot les parois de son nid, abeilles cotonnières telle Anthidium manicatum, récoltant des fibres végétales, osmies, éristales, bourdons, papillons et syrphes… ces milliers d’insectes sauvages se complètent, formant ensemble un maillon essentiel de la biodiversité.

Coévoluant avec les plantes à fleurs depuis des millions d’années, ces animaux de taille et de morphologie variées, équipés de poils soyeux, de brosses à pollen, de trompe ou de langue, participent à la reproduction de fleurs de toutes formes, et couvrent toutes les périodes de floraison.

L’environnement contaminé

Les scientifiques qui se sont penchés sur leur déclin vertigineux pointent la responsabilité particulière de l’agriculture intensive. Mise en place depuis les années 60, ce modèle agricole entraine la destruction des habitats et la contamination des mi-lieux par les pesticides de synthèse. En collectant le pollen et le nectar des fleurs, les pollinisateurs sont particulièrement exposés à ces molécules chimiques.

Mais les pesticides déversés massivement dans les cultures contaminent également l’air, les eaux, les sols, et persistent parfois durant des décennies. Les lieux de vie et de nidification des butineurs sont ainsi durablement empoisonnés par nombre de substances, qui s’accumulent en formant des cocktails toxiques, et imprègnent leur environnement.

Malgré le déclin catastrophique des pollinisateurs sauvage, l’épandage dans les champs de substances dévastatrices pour ces insectes se poursuit, sans aucune régulation adéquate. Le système d’homologation des pesticides instauré au niveau européen est une véritable passoire, et permet toujours la mise sur le marché de pesticides toxiques pour les butineurs. Les tests règlementaires requis pour évaluer l’effet des pesticides sur les abeilles domestiques sont superficiels et obsolètes, notamment pour détecter la toxicité insidieuse des nouvelles générations de pesticides.

Quant aux pollinisateurs sauvages, ils restent dans l’angle mort de l’évaluation. La toxicité des pesticides n’est tout simplement pas évaluée pour eux. Si le processus d’homologation, en cours de révision, prévoit bien d’inclure prochainement des tests sur les bourdons et une espèce au moins d’abeille solitaire, il faudrait encore prendre en compte la sensibilité spécifique de chacune des espèces aux pesticides.

Une étude parue cet été, comparant la toxicité de plusieurs pesticides pour les abeilles domestiques et pour neuf espèces sauvages (bourdons, abeilles solitaires), a montré que ces dernières peuvent se montrer plus vulnérables aux molécules chimiques, les voies d’exposition et le potentiel de rétablissement des populations n’étant pas similaires entre les espèces.

L’écotoxicologue Céleste Azpiazu a fait le même constat en examinant la toxicité d’un fongicide et d’un insecticide sur trois espèces, abeilles domestiques, bourdons et osmies. Ses résultats ont mis en lumière la fragilité particulière des abeilles solitaires. Les pesticides peuvent donc avoir des effets qui diffèrent selon les espèces de butineurs. Et si chez les abeilles sociales, la mort d’individus peut être atténuée par la survie des autres membres de la colonie, une telle résilience n’existe pas chez les abeilles solitaires.

Une transition agricole urgente

Profitant de l’absence de cadres protecteurs pour ces insectes sauvages, l’agrochimie poursuit sans entrave son commerce mortifère. En décimant les pollinisateurs, le modèle agricole conventionnel détruit ses indispensables auxiliaires des cultures, et menace ainsi notre sécurité alimentaire.

Plutôt que de maintenir à tout prix une agriculture toxique et à bout de souffle, il est urgent de remplacer les pesticides de synthèse par l’intelligence du vivant, et d’instaurer des systèmes plus résilients et autonomes. Pour enrayer le déclin vertigineux des butineurs sauvages, la seule réponse adéquate aujourd’hui est de mettre en place un plan de transition agricole ambitieux, sur un modèle agroécologique respectueux de la nature. Un modèle qui permette de s’affranchir de l’agrochimie et de produire sans détruire les pollinisateurs sauvages.

mardi 19 octobre 2021

Le changement climatique, un risque majeur pour les banques

 La transition vers une économie bas carbone pénalisera les industries fortement émettrices de CO2 et donc les banques qui y sont exposées.

Ce ne sont plus seulement des militants du climat qui sonnent l’alarme. Les autorités financières exhortent désormais les banques à revoir leurs politiques de prêt, en prenant davantage en compte le réchauffement climatique. La Banque centrale européenne (BCE), le superviseur des plus grands établissements financiers de la zone euro, a ainsi publié, le 22 septembre, les résultats sans appel de son tout premier stress test climatique appliqué à l’économie européenne dans son ensemble, et aux banques en particulier.

Ses conclusions ? Les établissements bancaires de la zone euro « pourraient être gravement touchés par un scénario dans lequel le changement climatique n’est pas pris en compte ». Les pertes attendues sur les portefeuilles de prêts aux entreprises augmenteraient considérablement au fil du temps, en raison de l’accroissement des catastrophes naturelles, et « pourraient devenir critiques au cours des trente prochaines années ». L’institution de Francfort conclut que « le changement climatique représente donc une source majeure de risque systémique », c’est-à-dire un potentiel effondrement du système financier, par effet de contagion, si un acteur bancaire de poids venait à faire défaut.

Le réchauffement climatique fait encourir deux types de péril à l’économie et aux banques : le premier est physique, lié à l’augmentation de la fréquence et de l’ampleur des catastrophes naturelles ; le second, qualifié de « risque de transition », découlerait de politiques coercitives pour réduire les émissions de CO2. Si les gouvernements durcissent véritablement la réglementation, les industries fortement émettrices s’en trouveront grandement fragilisées, ce qui augmentera le danger de non-remboursement des prêts accordés par les banques.

Un régulateur plus visionnaire que ses pairs avait mis en garde, dès 2015, le monde de la finance. Dans un discours devenu célèbre, Mark Carney, alors gouverneur de la Banque d’Angleterre, avait qualifié le changement climatique de « tragédie de l’horizon », et prévenu que l’évolution vers une économie bas carbone pourrait transformer les actifs financiers « intensifs en carbone » en « actifs échoués ».

Les banques françaises affirment avoir progressé

Une étude, publiée en juin 2021 par l’Institut Rousseau et les ONG Reclaim Finance et Les Amis de la Terre, a cherché à mesurer l’impact potentiel, en quantifiant les « actifs fossiles » présents au bilan des onze principales banques de la zone euro, c’est-à-dire les produits financiers contribuant au financement des activités d’exploration, d’exploitation ou de distribution du pétrole, du gaz et du charbon. Les auteurs du rapport arrivent à la conclusion alarmante que ces institutions « cumulent un stock de plus de 530 milliards d’euros d’actifs liés aux énergies fossiles », soit l’équivalent de « 95 % du total de leurs fonds propres » – le volume de capitaux détenu par les banques.

Pour Julien Lefournier, qui a travaillé pendant vingt-cinq ans sur les marchés financiers, coauteur du livre L’Illusion de la finance verte (Editions de l’Atelier, mai 2021, 240 pages), ces chiffres donnent le vertige, « mais seulement si on entame une transition, pas si on ne fait rien comme aujourd’hui ». « Or les révélations autour de ces actifs échoués n’ont pas fait réagir les marchés. Aujourd’hui, ça ne fait peur à personne », note-t-il.

Les banques françaises affirment pourtant avoir progressé. Pour BNP Paribas, les premières restrictions sur les crédits ont débuté en 2013 pour des projets concernant les sables bitumineux, puis ont été élargies aux entreprises spécialisées dans l’exploration, la production ou la distribution du pétrole et gaz de schiste en 2017. La banque assure avoir arrêté de financer la moitié des entreprises productrices d’électricité qui étaient ses clients, dans le monde, depuis 2019. Toutefois, comme le reconnaît un banquier français sous le sceau de l’anonymat, « il est plus facile de mettre fin à ses relations avec de petits acteurs lointains qu’avec Total ».

Mesure de l'exposition aux pesticides en zone viticole : l'étude PestiTiv démarre

 Existe-t-il une différence entre l'exposition aux pesticides des personnes vivant près de vignes et celles vivant loin de toute culture ? C'est à cette question que va tenter de répondre l'étude PestiRiv, lancée par Santé publique France et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). « Peu de données sont disponibles en France sur l'exposition réelle des personnes vivant près de cultures, en particulier viticoles », reconnaissent les deux agences sanitaires. Cette étude a débuté par une phase de tests, en octobre 2019, auprès de 72 foyers de quatre communes des régions Grand Est et Nouvelle-Aquitaine. Son objectif était de vérifier l'adhésion des riverains ainsi que la méthodologie. « Cette première phase de l'étude PestiRiv a permis de mieux comprendre les attentes des participants et d'ajuster le protocole de l'étude afin d'améliorer son déroulement à l'échelle nationale », expliquent les agences.

Désormais, 3 350 participants de six régions seront impliqués, à la fois vivant dans des zones viticoles ou dans des espaces éloignées de toutes cultures. L'étude croisera les résultats de prélèvements chez l'homme et dans l'environnement, mais également des éléments de contexte agricole comme les conditions météorologiques, des données de la surveillance nationale de l'eau, etc. Les mesures dans les milieux concerneront une cinquantaine de substances.

« Ces études sont indispensables pour en savoir un peu plus sur ces expositions et prendre les mesures qui s'imposent, mais,dans l'attente des résultats, elles ne doivent pas être le prétexte à l'inaction ! a réagi l'association Générations futures. Pour rappel, notre association, avec un collectif d'ONG, a obtenu grâce à une décision récente du Conseil d'État, la mise en place de mesures supplémentaires de protection des riverains de zones. Le gouvernement a six mois pour proposer de nouveaux textes transposant cette décision et, pour le moment, il n'a pas l'air pressé de proposer ces améliorations, qui restent pourtant bien en deçà de nos attentes.

Les plantes à fleurs fragilisées par le déclin des pollinisateurs

 Une étude internationale portant sur 1 174 espèces florales estime que la moitié d’entre elles est menacée par la disparition des pollinisateurs, laissant entrevoir des répercussions significatives pour l’ensemble de la biodiversité.

De la survie des animaux pollinisateurs dépend aussi celle de dizaines de milliers d’espèces de plantes à fleurs. Sans ces abeilles, papillons, bourdons, oiseaux ou chauves-souris qui œuvrent au transport du pollen, indispensable à la fécondation et à la formation de graines, la reproduction d’une multitude de végétaux devient impossible. Pourtant, l’épandage de pesticides neurotoxiques et la perte d’abondance florale induite par les monocultures intensives déciment ces espèces animales depuis plusieurs dizaines d’années. Selon une étude publiée mercredi 13 octobre dans la revue Science Advances, la moitié des plantes à fleurs de la planète, soit près de 175 000 espèces végétales sur 350 000, serait ainsi susceptible de disparaître.

Bien que la pollinisation des plantes ne soit pas uniquement le fait d’animaux, les insectes interviennent de manière exclusive dans la pollinisation de plus de huit espèces de plantes à fleurs sur dix. Dans une moindre mesure, les vertébrés se concentrent sur 6 % des pollinisations végétales. D’autres mécanismes naturels, comme l’autofertilité (la plante assure sa reproduction par son propre pollen) ou l’action du vent, permettent à certaines plantes de se reproduire sans l’intervention de pollinisateurs. Si de nombreuses espèces végétales dépendent d’un seul de ces facteurs, d’autres s’avèrent capables d’en conjuguer plusieurs.

Les 21 chercheurs internationaux à l’origine de cette étude, pilotée par deux équipes sud-africaine et allemande, ont réuni trois grandes bases de données compilant des milliers d’expériences de pollinisation effectuées à la surface du globe. Pour chaque plante, ces expérimentations rendent compte de leur dépendance à la pollinisation animale, en mesurant leur capacité à produire des graines en présence puis en l’absence de pollinisateurs.

Fertilité en berne

Au total, ce sont 614 études qui ont été intégrées à cette « méta analyse », dont l’intérêt consiste à synthétiser les données existantes d’un ensemble de publications. L’échantillon analysé par les scientifiques appréhende 143 familles de plantes à fleurs pour lesquelles des expériences de pollinisation ont pu être recueillies.

Les conclusions qui en ressortent sont préoccupantes et traduisent une fertilité en berne. Sans l’action des pollinisateurs, un tiers des espèces de plantes à fleurs ne produisent plus du tout de graines et la moitié d’entre elles voient leur fécondité réduite de 80 % ou plus – au lieu de 10 graines, elles n’en engendrent plus que 2. « Pour obtenir cette estimation, nous avons calculé la contribution médiane des pollinisateurs pour les 1 174 espèces de notre échantillon, explique James Rodger, chercheur au département de botanique et de zoologie de l’Université de Stellenbosch en Afrique du Sud et premier auteur de cette étude. Cela signifie que pour la moitié des espèces, les pollinisateurs animaux contribuent à 80 % ou plus de la production de graines. » C’est cette valeur médiane, extrapolée à l’ensemble des plantes à fleurs existantes, qui aboutit à l’estimation finale de 175 000 espèces végétales sensiblement fragilisées par la disparition annoncée des pollinisateurs.

Les conséquences de leur déclin sur la reproduction des plantes s’avèrent inégales d’un point de vue géographique. En effet, les zones tropicales et subtropicales seraient plus durement affectées, en raison d’une « contribution des pollinisateurs généralement plus élevée que dans les zones tempérées », précise James Rodger.

« Effets en cascade sur la faune »

« Tous les biais identifiés dans cette étude conduisent à penser que l’importance des pollinisateurs pour la production de graines est sous-estimée », avertit-il. Ceci à cause de la sous-représentation dans l’échantillon de catégories de plantes très dépendantes du service effectué par ces animaux, comme les arbres, mais aussi en raison de la surreprésentation de familles d’espèces moins concernées par l’action des pollinisateurs.

Au-delà de la quantité de graines produites, leur qualité se trouverait également amoindrie par la chute des visites de pollinisateurs. « La réduction de la quantité de pollen atterrissant jusqu’à la plante conduit à une baisse de sa variabilité, complète Bernard Vaissière, chargé de recherche en pollinisation et écologie de l’abeille à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), qui n’a pas participé à la réalisation de cette étude. Or, cette uniformisation du pollen détériore la viabilité des graines. »

« Comme les plantes constituent l’habitat des animaux et la base des chaînes alimentaires, rappellent ensuite les auteurs, les impacts du déclin des pollinisateurs sur la diversité des plantes et la structure de la végétation sont susceptibles de provoquer d’autres effets en cascade sur la faune. » Des répercussions toutefois difficiles à évaluer : « Des études cherchent à saisir la complexité des interactions entre les plantes, les pollinisateurs et le reste des espèces animales, signale Mark van Kleunen, professeur de biologie à l’Université de Constance, en Allemagne et coauteur de l’étude. Mais ce sont des études complexes qui nécessitent beaucoup de temps. »

Alors que la stratégie de l’exécutif européen pour la sauvegarde des pollinisateurs tarde à produire ses effets, les conclusions de la publication du 13 octobre ont de quoi inquiéter. « Il faut espérer que les politiciens prendront eux aussi connaissance des résultats de cette étude, sourit ce dernier, afin qu’ils saisissent davantage le rôle majeur qu’endossent les pollinisateurs, non seulement pour l’agriculture mais aussi pour l’ensemble des plantes sauvages et des écosystèmes. »

vendredi 15 octobre 2021

Le sol, cet inconnu qu’on piétine…

 Il comporte 25 % de la biodiversité connue et 75 % de la biomasse terrestre. Il construit la fertilité du monde, régule le cours des rivières et le climat. Ne cherchez pas loin, juste sous vos pieds : c’est le sol ! Dans ce billet publié avec Libération, Marc-André Selosse, biologiste et auteur d’un livre sur les sols, nous parle de l’importance d’en prendre soin.

Longtemps, le sol a été vu comme le support des végétaux ou de nos constructions, nourrissant chimiquement les plantes : en accord avec cela, l’agriculture conventionnelle y met des engrais minéraux. On lui portait peu d’attention : réputé sale, peut-être parce qu’on y enterre nos morts, il est opaque et fait de composants invisibles, minéraux (comme les argiles) ou vivants (les microbes, bactéries et champignons). L’essor actuel de la microbiologie moléculaire et l’automatisation du séquençage génétique, qui identifie les espèces et leur métabolisme par l’ADN, ont été une révolution.

Une biodiversité en symbiose

Des milliers de nouvelles espèces de champignons, de bactéries et de prédateurs unicellulaires comme les amibes ont été découverts dans le sol. Au-delà des iconiques vers de terre, un monde microbien pesant 5 à 10 tonnes par hectare vit sous nos pieds ! La géosmine, la substance qui donne à la terre son odeur caractéristique, est d’ailleurs un produit bactérien.

Cette biodiversité fait vivre le sol. La matière organique morte qui tombe au sol est décomposée par des microbes qui s’en nourrissent. Au passage, ils en restituent le carbone (sous forme de CO2), l’azote (sous forme de nitrates) ou le phosphore (sous forme de phosphates) qui pourront à nouveau nourrir les plantes. Pasteur célébrait déjà ce rôle des microbes : « sans eux la vie s'arrêterait, parce que l'œuvre de la mort serait incomplète ». Ils altèrent également les fragments rocheux en les dissolvant grâce à une acidification locale qui accélère la libération de minéraux (potassium, phosphore, fer, etc.), ainsi rendus disponibles pour les plantes. Enfin, les pores du sol stockent des gaz atmosphériques, notamment l’azote. Celui-ci joue un rôle essentiel car certaines bactéries l’utilisent pour fabriquer leurs protéines. À leur mort, leur contenu retourne au sol… et est à l’origine de l’azote présent dans le sol et dans les plantes, car les roches sur lesquelles se développe le sol en sont dépourvues.

Maîtresse du devenir souterrain de la matière organique, des roches et des gaz, la vie du sol brasse ces composants. Complétant l’œuvre des lombrics, les racines des plantes et les filaments microscopiques des champignons puisent en profondeur des ressources puis les restituent plus en surface à la mort de l’organisme : un rôle vital quand les sols sont dépourvus de vers, comme en Amérique du Nord. En outre, les racines de 90 % des plantes s’associent à des champignons du sol en une coopération appelée mycorhize : les champignons assimilent des ressources minérales éloignées de la racine qu’ils cèdent à la plante en échange de ses sucres. La plante est ainsi en symbiose avec la vie microbienne du sol.

Un régulateur pour l'eau et le climat

Mais le sol déploie aussi ses effets… hors de lui-même. D’abord, en régulant le cycle des eaux. À la différence de la roche nue, il retient l’eau des pluies, limitant les crues ; puis il la relâche lentement, chargée de minéraux, ce qui assure la fertilité des eaux douces et des littoraux, expliquant que la pêche y soit meilleure qu’au large. De partout, le sol nous nourrit mais il interagit aussi avec le climat. D’une part parce qu’il réduit l’effet de serre en stockant le carbone de la matière organique enfouie loin de l’air. D’autre part, parce qu’il peut aussi contribuer à cet effet : quand un sol manque d’oxygène, des bactéries y survivent avec des respirations particulières qui produisent du méthane ou des oxydes d’azote, qui sont de puissants gaz à effet de serre… C’est ce qui arrive en ce moment aux sols gelés des zones arctiques, qui fondent en une soupe gorgée d’eau. 

Hélas, nos pratiques ignorent trop souvent la dynamique vivante des sols. C’est notamment le cas du labour. À court terme, il assure la fertilité en brassant les minéraux, en désherbant et en aérant le sol. Mais au passage, il tue bien des êtres vivants, vers et filaments des champignons par exemple. Il facilite par aération la respiration et la décomposition de la matière organique ; or celle-ci est un liant des composants du sol. À long terme, combiné à la destruction des racines, cela augmente l’érosion d’un facteur dix ! L’effet positif du labour est donc transitoire : après plusieurs siècles, tout est perdu. La pauvreté des sols méditerranéens, qui ont nourri tant de grandes civilisations, en témoigne. Inversement, des pratiques sans labour, connues dans l’Amérique précolombienne ou en agriculture dite de conservation, réduisent l’érosion…

Des consciences à éveiller

Le lien entre sol et climat constitue un véritable enjeu car nos pratiques contribuent au réchauffement global. La disparition de la matière organique des sols agricoles, entre labour et régression des apports de fumiers, réduit le stockage de carbone. L’irrigation crée des poches sans oxygène favorisant l’émission de gaz à effet de serre, surtout après des apports de nitrates qui sont les précurseurs des oxydes d’azote.

Pourtant, en enfouissant nos déchets organiques (bien triés) dans les sols, nous pourrions y stocker du carbone, tout en luttant contre l’érosion. En augmentant de 0,4 % par an la teneur en carbone de tous les sols du monde, on fixerait l’équivalent du CO2 produit annuellement par l’humanité ! Le sol produit de l’effet de serre alors qu’il pourrait le réduire : notre ignorance des sols nous prive d’un outil précieux. 

L’importance des sols reste largement méconnue. Pis : nous les recouvrons d’infrastructures de transport ou d’extensions urbaines. En France, leur surface se réduit chaque décennie de l’équivalent d’un département. Pourtant, nourriciers et protecteurs, les sols sont impossibles à créer : on peut les déplacer, mais il faut un millénaire pour générer un nouveau sol fertile.

Transmettons-nous des sols intacts aux générations suivantes ? Les utilisons-nous en pères de famille ? Non. L’Union européenne lutte en ce sens : le programme “Caring for Soil is Caring for Life” vise 75 % de sols en bon état en 2030. Mais l’objectif reste difficile à atteindre. Pour mieux préserver cette présence invisible qui nous veut du bien, il est urgent d’éveiller les consciences des citoyens, de limiter l’extension de nos infrastructures et de repenser les pratiques agricoles, mais aussi notre consommation quotidienne. 

Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur(s) auteur(s). Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

mercredi 13 octobre 2021

Le climat dans tous ses états

 Les progrès de la modélisation et l’accroissement de la masse des données d’observation permettent au Working Group 1 (WG 1) de fournir une description des variables climatiques plus précise que dans les précédents rapports d’évaluation du Giec. Via un atlas en ligne, on peut directement accéder à ces informations par grande région du monde.

Le constat est sans appel : le réchauffement global est plus fort sur terre que sur mer. Il accentue la variabilité des températures et des précipitations. Il intensifie les évènements extrêmes. On le constate déjà dans un monde à + 1,1°C. Les modèles nous annoncent que ces impacts se durciront tant que le réchauffement moyen n’aura pas été endigué. Certains, comme la hausse du niveau des mers, se poursuivront longtemps après l’arrêt de la hausse des températures.

Le réchauffement n’est pas uniforme

Un climat océanique se caractérise par des fluctuations d’ampleur modérée des températures. Les océans sont en effet de puissants régulateurs thermiques.

La carte du réchauffement mondial corrobore leur influence modératrice. Le mercure du thermomètre y monte plus lentement que sur les continents où le seuil d’un réchauffement de 1,5°C a déjà été atteint. Le réchauffement s’accentue également à mesure qu’on s’approche des pôles. Ces contrastes géographiques vont s’accentuer tant que le stock de gaz à effet de serre dans l’atmosphère n’aura pas été stabilisé.

Dans les scénarios les plus émetteurs du WG 1, on atteint ainsi des hausses supérieurs à 8°C sur le seul XXIe siècle dans les zones sibériennes et du nord canadien (cf. figure 1 en haut d’article). L’une des conséquences immédiates en serait une forte accélération de la fonte estivale du permafrost, ces immenses étendues où le sol ne dégèle jamais. Ce dégel menace de libérer d’importantes quantités de carbone piégées dans le sous-sol, qui pourraient s’échapper sous forme de CO2 ou de méthane et à leur tour contribuer au réchauffement.

Les modélisations du WG 1 nous indiquent que la température moyenne réagit rapidement aux variations du stock atmosphérique de CO2. Une stabilisation de ce stock entraînerait ainsi un arrêt de la hausse du mercure en quelques années. En revanche, il faudrait plusieurs décennies pour que la fonte du permafrost soit interrompue.

De même, si la concentration de CO2 dans l’atmosphère baissait à la suite d’émissions nettes durablement négatives, les températures moyennes reculeraient après seulement quelques années, mais il faudrait attendre plusieurs décennies avant que cela impacte le permafrost. Dans le cas du niveau de la mer, il faudrait attendre beaucoup plus longtemps.

L’inexorable montée des océans

Le niveau de la mer est la variable climatique qui sera affectée le plus longtemps par le réchauffement, car l’océan stocke la plus grande partie du supplément d’énergie qui est réfléchie par les gaz à effet de serre. Une fois engagé, le processus s’étale sur plusieurs siècles, voire des millénaires. Il résulte de la conjugaison de deux facteurs :

- La dilatation thermale qui résulte de l’accroissement de température des eaux de surface. Dans les premiers rapports du Giec, seule cette composante était prise en compte par les modélisations ;

- La fonte des glaces continentales (glaciers de montagne, Groenland, Antarctique Ouest), à laquelle le WG 1 attribue un peu plus de la moitié de la hausse du niveau de la mer observée entre 2006 et 2018 (3,7 mm par an).

Dans tous les cas de figures, le WG 1 anticipe que la remontée des mers va durablement s’amplifier. En retenant les critères habituels de probabilité, on tombe sur des hausses de l’ordre de 0,3 m à 1 m à la fin du siècle, et de 0,5 m à 1,7 m au milieu du siècle prochain (relativement à l’année 2000). Mais on ne peut exclure une fonte plus rapide des glaces continentales, notamment en Antarctique, conduisant à des hausses de l’ordre de 2 mètres à la fin du siècle et de 5 mètres au milieu du siècle prochain

La perturbation du cycle de l’eau

Un climat plus chaud est aussi un climat dans lequel le cycle global de l’eau s’intensifie, car la chaleur accroît l’évaporation depuis les océans et les continents. Cela engendre une augmentation du volume global des précipitations, observée depuis 1950, qui s’est accélérée à partir des années 1980. Cette hausse se répartit très inégalement entre régions, ce qui tend à accentuer les contrastes entre zones arides et zones humides.

Tous les scénarios du WG 1 anticipent une accentuation des perturbations du cycle de l’eau, avec des impacts nettement plus marqués dans les scénarios fortement émissifs. Ceci va conduire à accentuer les contrastes géographiques (cf. illustration 2 - graphique 1) :

- Dans les hautes latitudes, sur la majorité du continent asiatique et dans une grande partie de l’Afrique orientale, les précipitations vont augmenter ;

- Dans les zones subtropicales (Ouest et centre américain, Ouest Australien, Sud de l’Afrique, Bassin Méditerranéen), les stress hydriques vont se durcir.

La variabilité temporelle des précipitations est également accentuée par le réchauffement global, ce qui est propice à l’apparition d’évènements extrêmes.

Le réchauffement accroît l’intensité des évènements extrêmes

On garde longtemps le souvenir d’une canicule, d’une grande sécheresse ou de violentes tempêtes qui peuvent gravement perturber la vie des sociétés. Pas celui des années les plus chaudes ou les plus froides qui nous ont précédées. C’est pourquoi il est important de rattacher avec rigueur la dynamique du réchauffement global aux évènements extrêmes.

De nombreuses avancées méthodologiques permettent désormais de mieux cerner ce qui peut être « attribué » au réchauffement lorsque surviennent de tels évènements.

Les modèles climatiques indiquent en premier lieu que l’intensité de ces évènements est renforcée par le réchauffement. Cela vaut non seulement pour les températures maximales, ce qui est intuitif, mais également pour les précipitations extrêmes (cf. illustration 2 - graphique 2), les sécheresses et les vents (y compris les cyclones de l’Atlantique Nord).

La violence de certains évènements peut également résulter de la combinaison de variables climatiques dont les effets se renforcent : la combinaison d’un déficit anormal de précipitations, d’une vague de chaleur et de vents violents favorise l’apparition de méga-incendies ; les épisodes de submersion sont d’autant plus violents qu’à la montée du niveau de la mer s’ajoutent des vents qui accroissent la force des vagues (et des grandes marées dont l’intensité n’est pas liée au climat).

La liaison entre le réchauffement et la fréquence des événements extrêmes est moins solidement établie. Elle semble surtout fonctionner pour les pics de température et les précipitations extrêmes dans les régions septentrionales.

Décrit par le WG 1, ce monde qui se réchauffe est un monde de contrastes croissants, perturbé par des évènements extrêmes frappant de plus en plus fort. Les pionniers des sciences du climat, à l’origine des premiers rapports du Giec, alertaient déjà sur ces risques. A l’époque, ceux-ci pouvaient encore sembler lointains, et donc incertains.

Le sixième rapport les étudie avec bien plus de précision. Mais surtout, il nous décrit un monde dans lequel nous sommes déjà entrés. Cela renforce terriblement la matérialité des risques encourus, tant que le réchauffement global n’est pas interrompu. Cela sera-t-il suffisant pour catalyser l’action ? Réponse d’ici quelques mois à la prochaine COP de Glasgow, où les différentes parties à l’Accord de Paris devront indiquer jusqu’où elles sont prêtes à s’engager pour hâter la marche vers la neutralité climatique.

Atlas du Giec : https://interactive-atlas.ipcc.ch/

L’intense lobbying de l’agro-industrie contre « Farm to Fork », le volet agricole du Pacte vert européen

Selon des documents internes consultés par « Le Monde », la fédération européenne des syndicats et des coopératives agricoles a engagé une intense campagne contre les réformes prévues par Bruxelles.

L’agro-industrie veut faire dérailler la stratégie européenne « de la ferme à la fourchette » (« Farm to Fork »), le volet agricole du Pacte vert (Green Deal) annoncé en décembre 2019 par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Plusieurs documents internes du Comité des organisations professionnelles agricoles de l’Union européenne (COPA-Cogeca), dont Le Monde a obtenu copie, mettent en avant les « lignes rouges » considérées comme franchies par le projet européen.

Ces documents détaillent aussi les manœuvres de lobbying en cours de déploiement, destinées à obtenir le retrait de dispositions-clés du texte. En particulier, le COPA-Cogeca prévoit d’utiliser ses partenariats avec le journal en ligne de l’actualité européenne Euractiv pour peser sur la discussion publique. En ligne de mire : le débat parlementaire et le vote du texte, en séance plénière, prévu pour le 21 octobre, et que le COPA-Cogeca espère voir reporté au mois de novembre afin d’avoir plus de temps pour peser sur le débat public.

Les « lignes rouges » du COPA-Cogeca sont diverses. La première, définie comme cruciale, concerne les objectifs, contraignants, de baisse de l’utilisation des pesticides et des antibiotiques dans l’élevage (50 % de réduction d’ici à 2030), ainsi que ceux portant sur la réduction des fertilisants – l’ambition est de 50 % de baisse des fuites de nutriments, sources majeures de pollution aux nitrates et de prolifération d’algues vertes. Selon ses documents internes, le COPA-Cogeca souhaite que ces objectifs soient retirés du texte.

Ce n’est pas tout. En l’état, la stratégie agricole européenne souligne les risques d’émergence de zoonoses (maladies transmissibles entre l’homme et l’animal) présentés par les élevages industriels qui concentrent dans les mêmes bâtiments des animaux de génotype similaire. Le texte demande l’abandon progressif de ces pratiques : le COPA-Cogeca refuse cette mention.

TVA variable jugée indésirable

Les points de crispation ne concernent pas uniquement les méthodes de production mais aussi la commercialisation des produits issus de l’agriculture. Le COPA-Cogeca souhaite ainsi exclure toute mesure visant à fixer des taux maximaux de sucres, de graisses et de sel dans les aliments transformés. Dans le viseur, également, les dispositions visant à informer les consommateurs sur les qualités nutritionnelles des produits alimentaires, sur l’origine des produits agricoles utilisés, sur la durabilité et les méthodes de production ou encore sur le bien-être animal.

De manière plus surprenante, le COPA-Cogeca estime tout aussi inacceptables « les objectifs contraignants de réduction des déchets alimentaires de 30 % d’ici à 2025 et de 50 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de référence de 2014 pour la production primaire, y compris les aliments non récoltés ». Une TVA variable, en fonction des qualités nutritionnelles et de l’impact environnemental, est également indésirable, selon la fédération syndicale.

Celle-ci enjoint à ses membres de contacter les élus de leur pays au Parlement européen, en particulier ceux à la gauche et au centre de l’échiquier politique, leurs ministères de tutelle, et de réclamer le report à novembre du vote en plénière du 21 octobre.

L’un des éléments-clés de la stratégie de lobbying détaillée par le COPA-Cogeca dans sa documentation est un rapport technique rendu en juillet par le Joint Research Centre (JRC) – une institution d’expertise qui dépend de la Commission. Présenté lundi 11 octobre aux députés européens, ce rapport modélise certaines conséquences possibles de la stratégie « Farm to Fork ».

Il fait l’objet de lectures divergentes. Interrogé par Le Monde, le COPA-Cogeca précise que le rapport en question projette une baisse en volume, de l’ordre de 10 % à 15 %, de certaines productions agricoles européennes, ainsi qu’un bilan climatique mitigé – une partie des bénéfices climatiques pourraient être compensés par les émissions liées aux importations de ce qui ne serait plus produit en Europe. Le COPA-Cogeca s’insurge également du retard avec lequel le rapport a été publié. « Le rapport était prêt en janvier et la Commission a attendu le creux de l’été pour le rendre public, dit-on à la fédération syndicale de la rue de Trèves, à Bruxelles. Nous souhaitons que la Commission mène une étude d’impact intégrée, ce qui n’a pour l’heure pas été fait. »

« Euractiv », élément de la stratégie de lobbying

Plusieurs eurodéputés ont emboîté le pas au COPA-Cogeca, comme François-Xavier Bellamy (PPE), dont la prise de parole sur le sujet est saluée dans l’un des documents internes consultés par Le Monde. D’autres élus européens dénoncent une lecture biaisée du rapport que les milieux de l’agro-industrie veulent inscrire dans le débat public. L’eurodéputé Eric Andrieu (Alliance progressiste des socialistes et démocrates) rappelle ainsi que le rapport du JRC n’est pas une étude d’impact. « Cette étude nourrit depuis plusieurs semaines une campagne de désinformation sans précédent menée par certains lobbys », selon M. Andrieu.

Le COPA-Cogeca souhaite pousser dans le débat public les conclusions d’études d’impact de la stratégie européenne, commanditées par les intérêts agro-industriels. « Il faut que tous les membres du Parlement et le public soient au courant des études et de ce qu’elles signifient pour les objectifs de [la stratégie] “Farm to Fork” », lit-on dans la documentation interne du syndicat européen. Les documents mentionnent en particulier une étude financée par le COPA-Cogeca et commandée à l’université néerlandaise de Wageningue. Ses résultats devaient être présentés le 12 ou le 13 octobre, selon le document, au cours d’un événement organisé par le média européen Euractiv.

Cette plate-forme d’information en ligne, très consultée dans les milieux bruxellois, organise à la demande de ses clients des événements animés par ses journalistes, propose un service de publication de communiqués de presse, et mêle dans ses pages articles de presse, articles sponsorisés par des entreprises, et publireportages. Euractiv est présenté comme un élément-clé dans la stratégie de communication et de lobbying du COPA-Cogeca. La documentation de la fédération syndicale agricole prévoit en effet qu’Euractiv publiera, dans la semaine du vote en plénière, « un paquet d’articles pour expliquer les éléments communs aux différentes évaluations d’impact » de la stratégie européenne.

Interrogé, le COPA-Cogeca assure que, finalement, aucun article n’a été commandé à Euractiv sur le sujet. Le site d’information n’a pas répondu aux sollicitations répétées du Monde. Cette semaine, celui-ci organise ou héberge plusieurs événements sur le sujet. Le 12 octobre, un événement sponsorisé par CropLife, le syndicat européen des fabricants de pesticides, aura pour sujet la stratégie agricole européenne et sera suivi, le lendemain, par un webinaire organisé en complément par Livestock Voice (le lobby européen de la production animale). Le 14 octobre, une table ronde organisée par l’agrochimiste Corteva, là encore en partenariat avec Euractiv, évoquera la question de la sécurité alimentaire. Les événements organisés par Euractiv peuvent ensuite donner matière à des articles journalistiques publiés dans Euractiv, parfois repris par d’autres médias.

« Tout cela montre comment les lobbys des pesticides et de l’agriculture industrielle utilisent leurs fonds pour mettre en scène un “débat public” en achetant des événements de lobbying, où s’expriment des chercheurs payés par ces mêmes lobbys, note Nina Holland, chargée de campagne à l’ONG Corporate Europe Observatory. Cette campagne de désinformation est conçue pour amplifier la portée des voix qui s’opposent aux objectifs de la stratégie européenne. »

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