AE : 290 milliards de micro-déchets plastiques flottants
dérivent sur le bassin nord-occidental méditerranéen, selon les données
recueillies lors des campagnes en 2010 et 2011. Fin février dernier,
l'expédition MED a dévoilé les premiers résultats des campagnes 2012 et
2013 en mer Ligure. Quels sont-ils ?
Bruno Dumontet : Les campagnes scientifiques ont été menées
sous la coordination de l'Observatoire océanologique de
Villefranche-sur-Mer (06) en mer Liguro Provençale, sur les côtes
françaises et italiennes. Nous sommes partis en mer durant six semaines
au cours de l'été 2012 et de l'été 2013. Il était plus intéressant, pour
nous scientifiques, de rester de manière régulière dans cette zone pour
valider nos protocoles d'étude sur les déchets plastiques marins.
Il s'agit de prélèvements réalisés en surface de plastiques
microscopiques, de taille de 0,3 à 5 mm, et de diverses compositions :
filaments, polystyrène, films minces en plastique. La majorité des
plastiques retrouvés en mer proviennent de la fragmentation des emballages,
charriés par les courants. L'université de Lorient, partenaire de
l'expédition, a identifié l'origine des familles des plastiques
collectés telles que le polyéthylène (PE) ou le polypropylène (PP). On
trouve également des micro-billes de plastique, dans les produits
cosmétiques d'épilation ou de gommage, qui ne sont pas retenues dans les
stations d'épuration et qui, en fin de parcours, se retrouvent à la
mer.
Selon nos premières estimations, la quantité moyenne est entre 13.000 et 300.000 débris plastiques flottants par km2 en mer de Ligure. Leur concentration excède par endroits celle retrouvée dans le gyre du Pacifique
: une nappe de déchets plastiques trois à quatre fois plus grande que
la France ! Nous restons dans les mêmes proportions que les particules
de plastiques collectées en 2010 et 2011 en Méditerranée
nord-occidentale. Cela confirme les résultats précédents. D'où l'intérêt
de croiser ces données sur plusieurs années pour aboutir à une moyenne
de collecte relativement fiable sur ce bassin.
AE : Comment avez-vous procédé pour la collecte ?
B.D. : Nous avons prélevé des petits poissons lanternes de type myctophidés,
qui ingèrent ces microplastiques en les confondant avec le plancton,
base de la chaîne alimentaire. Les prélèvements se sont déroulés la nuit
lorsque les poissons lanternes remontent pour se nourrir. Les analyses
ont pour but de vérifier si les plastiques retrouvés dans leur estomac
sont gorgés de polluants chimiques (DDT organochloré, bisphénol…).
On soupçonne déjà qu'il est possible que ces polluants passent dans les
tissus des organismes filtreurs comme les moules. C'est l'une des
recherches que nous menons avec l'université publique de Berlin. Les
analyses sur ces polluants organiques persistants (POPs) sont toutefois
longues et compliquées pour en tirer aujourd'hui des statistiques.
AE : Quel impact les microplastiques ont-ils sur la biodiversité et la chaîne alimentaire ?
B.D : Des études récentes ont montré des concentrations de polluants
en haut de la chaîne trophique des poissons comme les gros thons. Ces
polluants sont donc capables d'être transférés à la faune sauvage et
peuvent impacter les stocks de pêche. Une étude récente de chercheurs de
San Diego (Californie) confirme que le plastique dérivant en mer se
charge de toxines diverses puis contamine les animaux marins qui les
ingèrent. Selon cette étude, en vertu du principe de biomagnification,
le taux de toxines augmenterait et se concentrerait de plus en plus au
fur et à mesure que l'on remonte la chaîne alimentaire, jusqu'à
atteindre l'Homme. Or, ces polluants posent de nombreux problèmes
sanitaires et écologiques car ils ont la propriété d'être des
perturbateurs des systèmes hormonaux des animaux y compris l'Homme, avec
comme conséquences la baisse des capacités de reproduction et des
facultés immunitaires.
Colonisés par des micro-organismes et dispersés par les courants, ces
microplastiques sont également à l'origine de l'apparition d'espèces
invasives qui mettent en péril la biodiversité marine.
AE : L'expédition MED souhaite examiner le rôle du
plastique en tant que substrat pour la prolifération microbienne. Pour
quelle raison ?
B.D : Nous soupçonnons que ces microplastiques peuvent servir
de support pour le développement de certaines bactéries et microbes. Des
bactéries pathogènes y proliféreraient, selon des observations. Nous
voulons aller plus loin dans nos recherches pour identifier la présence
des bactéries dans ces microplastiques et savoir quels risques ils font
courir aussi bien pour la faune marine que pour les hommes
éventuellement. Une publication est prévue pour la fin d'année qui va
reprendre les résultats des analyses de tous nos prélèvements de
microplastiques réalisés depuis 2010.
AE : Vous repartez en expédition cet été 2014. Quel est le programme de recherche ?
B.D : Nous partons pour deux mois en juillet et en août
prochain pour quantifier les microplastiques flottant sur le bassin
occidental méditerranéen, c'est-à-dire les côtes françaises, espagnoles,
Gibraltar mais aussi le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, Malte et les
Baléares. Nous allons mener d'autres études comparatives puisque nos
protocoles de recherche sont désormais au point. Cette année, nous
allons plus loin en réalisant des prélèvements de microfibres - de
taille jusqu'au micron - provenant du lavage des textiles rejetés en
mer. Il s'agit des fibres de vêtement synthétiques, en nylon ou en
polyamide que l'on examinera à partir des prochaines campagnes. Il est
nécessaire de trouver les matériels adéquats pour faire ces analyses. En
partenariat avec l'université de Toulon, nous allons également mener
des recherches sur la distribution des macrodéchets en mer par les
courants Nous avons mis au point un nouveau protocole que nous testerons
cet été.
AE : Et à terme, que visez-vous ?
B.D : Il s'agit pour l'heure de prélèvements en surface de
fragments. La poursuite de nos investigations visent à prélever et
analyser les microplastiques présents à différents étages de la colonne
d'eau sur 50 m de profondeur voire 100 m. Mais pour continuer nos
prochaines campagnes, nous avons besoin de moyens financiers publics et
privés supplémentaires. Des citoyens écovolontaires contribuent déjà à
l'expédition en embarquant avec nous. C'est "ric-rac" mais nous avons
réussi à partir en mer tous les ans. Au niveau européen, nous attendons
les résultats de la campagne 2014 pour candidater à l'appel à projet
Life + 2015 qui nous permettrait peut-être d'avoir des financements les
trois prochaines années.
AE : Que préconise l'expédition MED pour enrayer cette pollution ?
Et éviter le "point de non-retour en 2030" dénoncé dans un rapport
parlementaire ?
B.D : L'objectif est de tirer la sonnette d'alarme
et de trouver des solutions pour stopper cette pollution. Il est déjà
trop tard pour ces microfragments présents en mer Méditerranée qui est
une mer semi-fermée. Si on continue à ce rythme dans quelques décennies,
nous allons faire face à une bombe écologique à retardement ! Il y a
urgence ! La Commission européenne a développé des méthodes pour évaluer
l'ampleur de la distribution et le devenir des déchets marins. Cette
activité se déroule conformément à la directive-cadre Stratégie pour le milieu marin,
adoptée en 2008, dont les microplastiques sont un des critères à
évaluer pour arriver au bon état écologique des eaux marines d'ici à
2020. Mais les outils mis en place par Bruxelles sont en décalage par rapport à la situation réelle.
AE : La Commission européenne prévoit pourtant de fixer un objectif quantitatif de réduction des déchets marins en 2020, en renforçant la réglementation.
B.D : Du fait de la distribution par les courants de ces
microplastiques, la directive "Stratégie pour le milieu marin" sera sans
effets, si tous les pays du littoral méditerranéen
ne sont pas associés à cette démarche pour gérer cette pollution.
L'enjeu est géopolitique. Une approche transméditerranéenne avec les
pays de la rive Sud est donc indispensable pour appréhender cette
problématique d'une manière globale. Sinon, cela ne sert strictement à
rien ! Il est donc nécessaire d'associer également les populations, les
acteurs scientifiques et associatifs du littoral méditerranéen pour
contribuer à mettre en place les outils juridiques et environnementaux.
L'UE laisse aux Etats membres le choix dans la façon de réduire les sacs plastiques
sans pour autant les taxer, alors qu'on obtiendrait des résultats. Il y
a des lobbies et tout dépend des choix politiques. Si on mettait en
place les bonnes lois au bon moment,
nous pourrions déjà réduire considérablement cette pollution. Le jour
où l'on réagira, je pense qu'il sera déjà trop tard. L'horizon 2020-2030
n'est pas loin…
Une humanité en proie à l'explosion démographique et qui - tels ces vers de farine qui s'empoisonnent à distance dans le sac qui les enferme bien avant que la nourriture commence à leur manquer - se mettrait à se haïr elle-même parce qu'une prescience secrète l'avertit qu'elle devient trop nombreuse pour que chacun de ses membres puisse librement jouir de ces biens essentiels que sont l'espace libre, l'eau pure, l'air non pollué.
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