Dans un livre choc publié ce jeudi, le journaliste et militant
anti-pesticides Fabrice Nicolino, cofondateur du mouvement Nous voulons
des coquelicots, soupçonne l'Agence nationale de sécurité sanitaire de
l'alimentation (Anses) de collusion avec les lobbies de l'agrochimie et
l'accuse de ne pas protéger la santé de la population.
En cause ? Une famille de fongicides appelée SDHI, qui s'attaque à la chaîne respiratoire des champignons. Dans son livre Le crime était presque parfait,
le journaliste affirme que nous serions à l'aube d'une « potentielle
catastrophe sanitaire », délibérément ignorée des pouvoirs publics. En
avril 2018, un collectif de huit scientifiques, emmenés par le
généticien Pierre Rustin, publiait une alerte dans le journal Libération :
selon eux, les fongicides SDHI, en inhibant l'activité de l'enzyme SDH
(présente chez la majorité des êtres vivants), pouvaient avoir sur
l'homme des effets comparables : le blocage de cette enzyme entraînerait
à long terme un changement de la structure de notre ADN, par un
phénomène de modification épigénétique. Ces anomalies déréguleraient
ensuite des milliers de gènes, expliquant la survenue de tumeurs et
cancers. « Ces modifications, alertaient-ils, ne sont pas détectées, ni
testées, au cours des tests de toxicité conduits avant la mise sur le
marché des pesticides. » L'Anses aurait-elle délibérément ignoré cette
alerte ? Le Pr Gérard Lasfargues, directeur général délégué du pôle sciences pour l'expertise de l'Anses, répond.
Le Point : Qu'est-ce que les fongicides SDHI ?
Gérard Lasfargues : Les SDHI (pour inhibiteurs de la
succinate déshydrogénase) sont une classe de fongicides qui inhibent
une enzyme, la succinate déshydrogénase, et bloquent ainsi une étape clé
de la respiration des champignons. Ils sont utilisés depuis plus de
quarante ans en agriculture pour combattre moisissures et champignons.
Le plus connu, le Boscalid, est sur le marché depuis 2005. En tout,
cette famille de fongicides regroupe onze substances commercialisées.
Contrairement
à ce qui est écrit dans le livre, nous n'avons pas découvert cette
alerte en 2018, au moment de la publication de la tribune. Dès la fin
2017, nous avons échangé avec le généticien Pierre Rustin, qui étudiait
alors les maladies rares issues d'un déficit génétique important et
constant en SDH (la succinate déshydrogénase, enzyme clé de la chaîne
respiratoire.) Ce sont des maladies génétiques extrêmement rares, et
invalidantes. Le Pr Rustin a observé une association de ces maladies
génétiques avec certains cancers rares. Il a indiqué
à l'agence que les SDHI, pouvant inhiber l'enzyme SDH, seraient
notamment source de cancers. L'Anses lui a donc naturellement demandé de
fournir au plus tôt les données scientifiques permettant d'étayer cette
affirmation.
Fabrice Nicolino explique, dans son livre, que Pierre Rustin a bien confirmé l'action du SDHI sur l'homme, en laboratoire…
Nous avons demandé à M. Rustin, que nous avons reçu très longuement
et avec qui nous avons échangé de façon régulière, de nous transmettre
ses données sur cette expérience. Les données fournies par Pierre Rustin
et par le collectif de scientifiques concernaient les maladies
génétiques et le mécanisme de blocage de la SDH. Nous n'avons pas reçu
de données sur la toxicité de SDHI en particulier sur des effets
cancérogènes. Les données de la littérature scientifique ainsi que
celles exigées dans les dossiers d'autorisation de mise sur le marché ne
permettent pas aujourd'hui de démontrer un risque sanitaire pour les
populations potentiellement exposées. Nous n'avons pas d'éléments
suffisants pour retirer immédiatement ces produits du marché.
Les
équipes de l'Inra et de l'Inserm, qui s'étaient associées à son alerte,
nous ont proposé des protocoles d'étude qui permettraient de produire
des données sur les différents mécanismes d'action, épigénétique ou
autres, et sur la toxicité des SDHI. Actuellement, nous finançons
plusieurs études et d'importants travaux de recherche de ces équipes et
d'autres pour obtenir des réponses. Les travaux financés sont non
seulement des travaux expérimentaux, mais aussi des études
épidémiologiques pour vérifier si l'exposition à des fongicides SDHI
serait associée à un excès de tumeurs. Les grandes études
épidémiologiques de cohorte comme l'étude Agrican, conduite en France sur 180 000 agriculteurs, n'ont pas montré cela à ce jour.
Bien
entendu, si des données nouvelles mettaient en évidence un risque
conduisant à retirer des autorisations de mise sur le marché de
fongicides SDHI, nous le ferions immédiatement, comme nous l'avons fait
par précaution pour d'autres produits à plusieurs reprises.
Si vous n'avez pas de certitudes, pourquoi ne pas appliquer
le principe de précaution et interdire ces fongicides, comme le demande
Fabrice Nicolino ?
Nous avons entendu l'alerte et l'avons
traitée. L'Anses a mandaté un groupe de scientifiques de haut niveau
qui a conclu à l'absence d'alerte sanitaire pour l'homme et
l'environnement en lien avec l'usage agricole des SDHI et pouvant
conduire au retrait des AMM de ces fongicides.
Par ailleurs,
nous avons prévenu l'ensemble de nos partenaires, agences de sécurité
sanitaires nord-américaines, européennes et grands organismes de
recherche, nationaux et internationaux, de façon à pouvoir disposer
d'éléments dont ils auraient connaissance. Nous avons sollicité
l'Inserm, qui réactualise actuellement son expertise sur les pesticides
pour que la question de l'impact des SDHI soit particulièrement traitée
dans ce cadre. À ce jour, il est important de le dire, nous n'avons reçu
aucun signal d'alerte.
Selon Fabrice Nicolino, l'utilisation de fongicides SDHI est
massive, mais on ne connaît pas les volumes épandus : l'industrie
refuserait de les communiquer.
La base nationale des ventes des produits phytosanitaires est publique et consultable sur data.gouv.fr. Elle
indique que les agriculteurs français utilisent entre 500 et 700 tonnes
de fongicides SDHI par an (sur un total de 68 000 tonnes de
pesticides). C'est un petit tonnage. Concernant l'exposition de la
population française, elle est faible : selon les données de l'enquête
Alimentation totale, on n'a trouvé des traces de Boscalid (le SDHI le
plus utilisé) que dans 3,1 % des échantillons pour une exposition à plus
de cent fois inférieure aux doses journalières admissibles.
Est-il sain qu'un même organisme, l'Anses, soit à la fois
chargé de délivrer les autorisations de mise sur le marché (AMM) aux
industriels et d'évaluer leur potentiel danger ? Êtes-vous soumis aux
lobbies agrochimiques ?
C'est précisément pour
avoir la certitude que les risques sanitaires sont bien pris en compte
que le processus d'autorisation a été confié à une agence de sécurité
sanitaire. Par ses missions, l'agence est la mieux placée pour avoir une
vue d'ensemble sur l'intégralité des connaissances scientifiques et des
risques connus et émergents. Nous interdisons constamment des
substances, des usages… La moindre suspicion d'effets sanitaires
entraîne le retrait du produit.
L'Agence s'est dotée de
règles déontologiques très strictes. Chaque déclaration publique
d'intérêt des experts et de nos agents est analysée selon une grille
d'analyse validée par notre comité de déontologie et de prévention des
conflits d'intérêts.
Bien entendu, le dossier des
SDHI reste ouvert pour l'Anses, qui continue sa surveillance active des
expositions et des risques. Mais, à ce jour, nous ne disposons d'aucun
élément à l'appui d'une alerte sanitaire concernant cette famille de
fongicides.
Une humanité en proie à l'explosion démographique et qui - tels ces vers de farine qui s'empoisonnent à distance dans le sac qui les enferme bien avant que la nourriture commence à leur manquer - se mettrait à se haïr elle-même parce qu'une prescience secrète l'avertit qu'elle devient trop nombreuse pour que chacun de ses membres puisse librement jouir de ces biens essentiels que sont l'espace libre, l'eau pure, l'air non pollué.
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