Le préfet s'apprête à autoriser une réouverture partielle du site
sinistré. Et ce, alors que l'exploitant ne s'est pas encore mis en
conformité avec la mise en demeure qu'il lui a adressée le 8 novembre et
qui révèle des failles accablantes.
« Je ne suis pas dans la disposition d'esprit d'examiner un redémarrage », déclarait Pierre-André Durand devant la mission d'information
de l'Assemblée nationale sur l'accident Lubrizol, le 30 octobre
dernier. Un peu plus d'un mois après, le préfet de Seine-Maritime
s'apprête à signer un arrêté de réouverture du site après avoir obtenu,
mardi 10 décembre, un avis favorable du conseil départemental de
l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst).
Cette réouverture va intervenir alors que l'exploitant ne s'est pas
encore conformé à l'arrêté de mise en demeure signé par le même préfet,
le 8 novembre dernier, et alors que les causes du sinistre restent
toujours inconnues.
« Nous devons rassurer la population »
Auditionné par la commission d'enquête du Sénat le 22 octobre 2019, le PDG de Lubrizol avait fait part de son intention de « continuer à exploiter les installations non impactées par l'incendie ». « Pour pouvoir faire cela, nous devons rassurer la population locale »,
avait ajouté Éric Schnur après avoir indiqué que l'incendie de son
usine, classée Seveso seuil haut, ne présentait pas de différence
significative avec un incendie de maison.
En écho à ces déclarations, le préfet avait repoussé l'idée d'un redémarrage à court terme de l'établissement. « Lubrizol, comme Normandie Logistique,
doit nettoyer ses pollutions, doit remettre en état son site, doit
rendre compte d'un certain nombre d'infractions qui ont été constatées
administrativement et pénalement », avait expliqué Pierre-André Durand devant les députés. Et d'ajouter : « Évidemment, je n'ai pas de dossier entre les mains. Clairement, on n'est pas dans cette séquence ».
Le point de vue du représentant de l'État dans le département a, semble-t-il évolué rapidement alors que ni l'enquête judiciaire ni l'enquête administrative
n'ont pourtant avancé la moindre explication sur les causes de la
catastrophe. Le préfet a mis à l'ordre du jour du Coderst, qu'il
préside, le projet de réouverture partielle de l'usine. « Cette
réouverture partielle ne porte que sur deux ateliers chargés de mélange
de produits (…). Elle s'accompagne d'une réduction drastique des
stockages de produits finis conditionnés (passant de 8 600 t à 561 t,
soit une baisse de 93 %) ainsi que d'une diminution du stockage des
matières premières (de 27 % à 89 % selon les types de produits) », explique la préfecture, qui précise que l'activité de stockage au cœur de l'incendie n'est pas concernée par la réouverture.
Les services de l'État annoncent, en outre, la prise en compte du
retour d'expérience de l'incendie à travers l'édiction de prescriptions
supplémentaires en matière de sécurité incendie. « Tous les stockages
seront équipés d'un cuvette de rétention d'eau d'une capacité
suffisante, de détection incendie et de moyens d'extinction
prépositionnés ». Ce que la réglementation exige mais qui s'est
révélé défaillant dans l'usine puisque les services de secours se sont
trouvés à cours de réserve d'eau lors du sinistre, tandis que des
effluents chargés de produits dangereux se sont déversés dans la Seine,
justifiant le déclenchement du plan Polmar. La préfecture annonce
également la mise en place d'un plan d'action en matière de sûreté à la
suite de « l'audit qui a été transmis aux services de l'État ». Un audit dont on ne connaît ni l'auteur, ni la teneur.
« Simulacre de démocratie environnementale »
Le Coderst, qui réunit des représentants des services de l'État, des
collectivités territoriales, des associations, des représentants de
fédérations professionnelles et des personnalités qualifiées, s'est
prononcé à une large majorité (19 voix sur 24) pour le projet de
réouverture du site. Seuls se sont opposés les représentants de France
Nature Environnement (FNE), de l'UFC-Que Choisir, de la Métropole de
Rouen et d'un médecin spécialisé en santé environnementale.
« C'est un simulacre de démocratie environnementale », dénonce
Alain Chabrolle, vice-président de France Nature Environnement (FNE),
qui estime que seize membres du Coderst relèvent directement des
services de l'État. Yvon Robert, président de la Métropole, a justifié
son refus de réouverture par un long communiqué. Parmi les raisons
invoquées figure la question du respect des prescriptions déjà imposées.
« C'est la première condition indispensable d'un rétablissement de la confiance », avertit M. Robert.
La question est effectivement centrale quant au sérieux de
l'industriel mais aussi des services de l'État. Or, le préfet a pris un arrêté de mise en demeure
le 8 novembre dernier demandant à l'exploitant de se conformer à toute
une série de prescriptions qu'il ne respectait pas. Ces prescriptions
étaient toutes antérieures au sinistre, révélant au minimum la
mansuétude dont l'industriel a bénéficié de la part des services de
l'État, dont Emmanuel Macron a pourtant salué l'efficacité.
Les « considérant » de l'arrêté permettent de prendre la mesure de ces
manquements : incomplétude du plan de défense incendie et du plan
d'opération interne (POI), absence de système de détection incendie dans les stockages extérieurs, insuffisance des dispositifs de confinement des eaux d'extinction.
Établissement non conforme depuis 2014
Ces deux dernières prescriptions étaient contenues dans l'arrêté du
24 juillet 2019 que le préfet a pris pour valider la deuxième
augmentation de capacité du site en dispense d'évaluation environnementale.
Mais certaines étaient beaucoup plus anciennes et révèlent l'absence de
conformité de l'établissement depuis au moins 2014. C'est le cas de
l'absence de prise en compte par l'exploitant de l'incendie généralisé
des bâtiments A4, A5, et de leurs stockages extérieurs, dans l'étude de
dangers. Cette information est accablante puisque le sinistre s'est
déroulé précisément dans ces installations.
On aurait donc pu s'attendre à ce que le préfet s'assure de la mise
en conformité de l'installation avec ces prescriptions avant de donner
son feu vert à la réouverture. Or, le délai de mise en conformité laissé
à l'exploitant n'était pas encore expiré (et ne le sera pour le dernier
que le 8 janvier) au moment où la Dreal a rendu son rapport
préparatoire à la réouverture. Il est manifeste que Lubrizol n'a pas
devancé ces échéances. « Les travaux sont en cours », a déclaré au Coderst la représentante de Lubrizol, selon FNE qui parle « d'un joli numéro entre le préfet et l'industriel ». « La faute de l'État continue et s'aggrave », réagit l'ancienne ministre de l'Environnement, Delphine Batho.
« Une reprise partielle des activités de Lubrizol à Rouen serait
un marché de dupes. D'ici trois à quatre ans, l'usine serait
définitivement fermée, avant même d'être dépolluée », assure Robin
des bois. Selon l'association, qui a dressé un panorama de toutes les
activités de l'industriel dans le monde, la stratégie de développement
du secteur lubrifiants de Lubrizol passe par « une solution de
dépannage à Rouen en attendant que les autres unités, notamment en
Chine, puissent se substituer aux productions globales du site sinistré
et amputé ».
Une humanité en proie à l'explosion démographique et qui - tels ces vers de farine qui s'empoisonnent à distance dans le sac qui les enferme bien avant que la nourriture commence à leur manquer - se mettrait à se haïr elle-même parce qu'une prescience secrète l'avertit qu'elle devient trop nombreuse pour que chacun de ses membres puisse librement jouir de ces biens essentiels que sont l'espace libre, l'eau pure, l'air non pollué.
jeudi 12 décembre 2019
jeudi 5 décembre 2019
Deux pesticides « tueurs d’abeilles » interdits en France
Le tribunal administratif de Nice annule l’autorisation de mise sur le
marché accordée par l’Anses à deux insecticides à base de sulfoxaflor,
apparenté aux néonicotinoïdes.
C’est un camouflet pour l’Agence
nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et
du travail (Anses). Le tribunal administratif de Nice, dans un jugement
rendu public mercredi 4 décembre, vient d’interdire deux insecticides
(Closer et Transform) à base de sulfoxaflor, apparenté aux
néonicotinoïdes.
L’Anses
avait autorisé leur commercialisation en septembre 2017, provoquant la
protestation des apiculteurs français qui dénoncent des produits
« tueurs d’abeilles ». Le tribunal confirme ainsi, sur le fond, un
premier jugement rendu en référé en novembre 2017 suspendant
l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de ces produits développés
par Dow AgroSciences, filiale du géant américain de l’agrochimie Corteva
(issu de la fusion entre Dow Chemical et DuPont).
Un recours avait été déposé par les
associations Générations futures – qui mène la fronde contre les
pesticides en France – et Agir pour l’environnement, ainsi que par
l’Union nationale de l’apiculture française.
Pour
motiver sa décision, le tribunal a conclu à l’absence de certitude
quant à l’innocuité de l’insecticide. Il estime que l’AMM accordée par
l’Anses à Dow AgroSciences ne garantit pas que les doses utilisées sans
contrôle au moment de leur épandage ne présentent pas de danger pour les
abeilles. Le jugement rappelle que « les études scientifiques menées par l’Autorité européenne de sécurité des aliments [EFSA],
la Commission européenne, ainsi que des organisations non
gouvernementales ont identifié des risques importants de toxicité pour
les insectes pollinisateurs ». Dans deux rapports publiés en
mars 2015 et février 2019, l’EFSA avait pointé des risques élevés pour
les abeilles et les bourdons lors de l’utilisation de sulfoxaflor.
« L’Anses a méconnu le principe de précaution »
Le
Closer et le Transform sont utilisés contre les pucerons pour les
grandes cultures, les fruits et les légumes. Le fabricant recommande
d’épandre ces insecticides à raison d’une seule dose par an, au plus
tard cinq jours avant la floraison. Outre les dangers que font courir
aux pollinisateurs les insecticides, le tribunal a estimé qu’il était
impossible de vérifier si cette recommandation était appliquée.
L’absence d’application du Closer et du Transform pendant la floraison (présentée par Dow AgroSciences et l’Anses comme une « mesure d’atténuation du risque ») n’est pas jugée « suffisante » par le tribunal, dès lors qu’elle n’est assortie d’« aucune obligation pour les utilisateurs du produit ». Ainsi, le juge estime qu’en autorisant la mise sur le marché des deux pesticides « l’Anses a méconnu le principe de précaution ».
« Nous espérons que cette décision incitera
le gouvernement et les agences évaluatrices à réfléchir à deux fois
avant de délivrer des autorisations de mises sur le marché de produits
dont les utilisations pourraient s’avérer désastreuses pour la
biodiversité ou pour la santé humaine », réagit François Veillerette, le directeur de Générations futures.
Pour l’association, le jugement souligne les « errements » de l’Anses qui, « malgré la loi biodiversité de 2016 prévoyant l’interdiction des pesticides à base de néonicotinoïdes [à partir de septembre 2018], a continué à autoriser la mise sur le marché de pesticides à base de nouveaux néonicotinoïdes ». L’Anses, comme le fabricant Dow AgroSciences, peuvent faire appel de la décision.
Devant l’imminence de l’interdiction du chlorpyrifos en Europe, les fabricants contre-attaquent
Malgré des données démontrant l’extrême toxicité de cet insecticide, les fabricants veulent prolonger son existence.
L’arrêt de mort d’un pesticide prend
rarement la forme d’une réglementation européenne. C’est ainsi,
pourtant, que le chlorpyrifos devrait bientôt disparaître.
La Commission européenne s’apprête à demander aux Etats membres de
voter l’interdiction de cet insecticide au dossier scientifique fort
chargé. Mais, alors que les données démontrant son extrême toxicité pour
le cerveau du fœtus et du jeune enfant s’accumulent, les fabricants
font pression sur les autorités pour prolonger son existence légale,
comme le montrent des documents que Le Monde s’est procurés. L’autorisation du chlorpyrifos dans l’Union européenne (UE) arrive en effet à échéance le 31 janvier 2020.
A la tête de cette opération de lobbying, le groupe américain Corteva, entité née de la fusion de Dow, inventeur du produit, et de DuPont. « La
réglementation ne doit pas se fonder sur une pression publique
provoquée par des militants qui n’ont pas confiance dans le système
réglementaire légal, mais sur des preuves solides », ont argué les représentants de la firme auprès des responsables du dossier à la Commission qu’ils ont rencontrés en janvier, indique un compte-rendu interne de la direction générale de la santé.
mercredi 20 novembre 2019
Pesticides SDHI : l’avertissement des chercheurs validé
La commission nationale des alertes en santé publique estime qu’un « doute sérieux » existe sur ces fongicides.
La mise en garde des chercheurs relative aux pesticides SDHI (« inhibiteurs
de la succinate déshydrogénase ») doit être prise au sérieux. La
Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de
santé publique et d’environnement (cnDAspe), une
instance officielle indépendante constituée de 22 experts bénévoles, a
publié, mardi 19 novembre, un avis estimant que l’alerte, lancée par une
dizaine de scientifiques fin 2017, sur les dangers de cette famille de
fongicides, est fondée, étayée par « des données scientifiques de qualité ».
Les informations fournies par les auteurs de l’avertissement, précise l’avis, « posent
un doute sérieux sur des dangers qui ne sont actuellement pas pris en
compte dans les procédures de toxicologie appliquées selon la
réglementation européenne ». Et ce, en dépit des « incertitudes substantielles » qui demeurent sur les risques induits par ces produits dans leurs conditions d’utilisation.
Les données transmises par le biologiste Pierre Rustin (CNRS) et ses collègues viennent par ailleurs d’être publiées dans la revue PLoS One.
Elles montrent, sur des cultures cellulaires, que les substances
appartenant à la famille des SDHI ne ciblent pas seulement les
champignons et les moisissures, mais une diversité d’organismes comme
l’abeille domestique, le lombric ou l’être humain. Les scientifiques
redoutent que le mécanisme ciblé par ces produits phytosanitaires
n’élève les risques de certains cancers et de maladies
neurodégénératives comme Alzheimer ou Parkinson. Selon les chercheurs, le
recul n’est pas suffisant sur les usages actuels de plusieurs de ces
produits pour pouvoir se fonder sur des données épidémiologiques
relatives aux personnes exposées. Sur les onze substances en question,
huit ont été autorisées pour la première fois il y a moins de dix ans.
mercredi 13 novembre 2019
Point sur les SDHI
Suite à la publication le 7 novembre d’un article dans la
revue scientifique PLOS One évoquant la toxicité de fongicides SDHI sur
des cellules cultivées in vitro, l’Anses rappelle qu’elle
poursuit ses travaux concernant de potentiels effets de ces substances
sur la santé en conditions réelles d’exposition, en coopération avec
d’autres institutions scientifiques de recherche et d’expertise.
A ce titre, elle a demandé à l’Inserm de prendre en compte les données de cette publication, ainsi que d’autres publications récentes, dans l’expertise collective que l’Institut mène actuellement pour actualiser les connaissances sur les effets des pesticides sur la santé.
L’évaluation scientifique des risques repose en effet sur l’ensemble des connaissances disponibles : données sur les mécanismes d’action, données expérimentales de toxicité sur cellules (in vitro) et animaux (in vivo) notamment. L’article publié hier apporte des données nouvelles obtenues dans des conditions expérimentales sur des lignées cellulaires. En tout état de cause, il est hasardeux de comparer les valeurs d’IC 50[1] obtenues in vitro dans des conditions de laboratoire avec les concentrations de SDHI qui pourraient résulter des applications des pesticides sur les cultures, comme le soulignent les auteurs dans leur article.
Ces données d’intérêt vont donc être examinées par les collectifs d’experts scientifiques que l’Anses mobilise pour prendre en compte toutes les études récentes sur les SDHI, dont les résultats de l’expertise collective de l’Inserm, de façon à actualiser son avis du 14 janvier 2019.
L’Anses rappelle que suite au signalement d’un collectif de scientifiques, elle avait réuni un groupe d’experts scientifiques indépendants et conclu le 14 janvier dernier à l’absence d’alerte sanitaire pouvant conduire au retrait des autorisations de mise sur le marché des fongicides SDHI. Elle lançait cependant un appel à la vigilance au niveau européen et international et décidait de poursuivre les travaux sur de potentiels effets toxicologiques pour l’Homme, de mieux documenter les expositions par le biais de l’alimentation, de l’air et des sols, et de déceler d’éventuels effets sanitaires sur le terrain via les dispositifs de surveillance existants.
L’Anses s’est également saisie de la question des expositions cumulées aux différents fongicides SDHI via l’alimentation et publiera ses résultats au premier semestre 2020.
L’Anses a pour mission d’évaluer de façon scientifique les risques sanitaires afin de protéger la santé de l’Homme et de l’environnement. S’agissant des produits phytopharmaceutiques, dès lors qu’un doute apparaît et qu’une alerte sanitaire est confirmée, elle procède dans les meilleurs délais à des modifications ou des retraits d’autorisation de mises en marché.
A ce titre, elle a demandé à l’Inserm de prendre en compte les données de cette publication, ainsi que d’autres publications récentes, dans l’expertise collective que l’Institut mène actuellement pour actualiser les connaissances sur les effets des pesticides sur la santé.
L’évaluation scientifique des risques repose en effet sur l’ensemble des connaissances disponibles : données sur les mécanismes d’action, données expérimentales de toxicité sur cellules (in vitro) et animaux (in vivo) notamment. L’article publié hier apporte des données nouvelles obtenues dans des conditions expérimentales sur des lignées cellulaires. En tout état de cause, il est hasardeux de comparer les valeurs d’IC 50[1] obtenues in vitro dans des conditions de laboratoire avec les concentrations de SDHI qui pourraient résulter des applications des pesticides sur les cultures, comme le soulignent les auteurs dans leur article.
Ces données d’intérêt vont donc être examinées par les collectifs d’experts scientifiques que l’Anses mobilise pour prendre en compte toutes les études récentes sur les SDHI, dont les résultats de l’expertise collective de l’Inserm, de façon à actualiser son avis du 14 janvier 2019.
L’Anses rappelle que suite au signalement d’un collectif de scientifiques, elle avait réuni un groupe d’experts scientifiques indépendants et conclu le 14 janvier dernier à l’absence d’alerte sanitaire pouvant conduire au retrait des autorisations de mise sur le marché des fongicides SDHI. Elle lançait cependant un appel à la vigilance au niveau européen et international et décidait de poursuivre les travaux sur de potentiels effets toxicologiques pour l’Homme, de mieux documenter les expositions par le biais de l’alimentation, de l’air et des sols, et de déceler d’éventuels effets sanitaires sur le terrain via les dispositifs de surveillance existants.
L’Anses s’est également saisie de la question des expositions cumulées aux différents fongicides SDHI via l’alimentation et publiera ses résultats au premier semestre 2020.
L’Anses a pour mission d’évaluer de façon scientifique les risques sanitaires afin de protéger la santé de l’Homme et de l’environnement. S’agissant des produits phytopharmaceutiques, dès lors qu’un doute apparaît et qu’une alerte sanitaire est confirmée, elle procède dans les meilleurs délais à des modifications ou des retraits d’autorisation de mises en marché.
vendredi 8 novembre 2019
Une nouvelle arme contre les migraines
« Il est clair et net que cette classe de
médicaments est efficace puisqu’il y a eu de nombreuses études réalisées
tant sur les patients épisodiques [les gens qui ont jusqu’à 14 jours de
migraine par mois] que chroniques [ceux qui sont plus sévèrement
atteints], a dit la neurologue Élizabeth Leroux. Toutes les études ont
été positives, sans équivoque. »
Ces
nouveaux médicaments, qui ont été développés après 25 ans de recherches
pour mieux comprendre les causes des migraines, ciblent un peptide
qu’on appelle CGRP (pour « calcitonin gene-related peptide »), une
substance chimique qui se retrouve naturellement dans notre organisme,
mais qui joue un rôle important dans la migraine.
Plusieurs
compagnies ont maintenant mis au point des anticorps pour bloquer cette
substance, et ce faisant diminuer la fréquence et la sévérité des
crises migraineuses.
« C’est
un peu comme si votre cerveau décidait de s’autosaupoudrer de poivre de
Cayenne sur les méninges et sur les artères, et ça, ça fait mal, a
illustré la docteure Leroux. Il y a une espèce d’orage électrique et
chimique, et le CGRP fait partie du poivre de Cayenne, donc il fait
partie de ces peptides inflammatoires qui vont aller déclencher toute
une cascade d’inflammation qui va causer la douleur et les autres
symptômes associés à la migraine. »
Les
anti-CGRP étaient disponibles aux États-Unis depuis environ deux ans
quand ils ont finalement été approuvés par Santé Canada au début du mois
d’octobre. Des centaines de milliers de personnes à travers le monde
ont maintenant profité de ce traitement.
Le
patient s’autoinjecte chaque mois cet anticorps à l’aide d’un stylo
ressemblant à un Epipen. Chaque injection coûte près de 600 $, mais les
compagnies pharmaceutiques et les assureurs privés épongent souvent une
bonne partie, voire la totalité, des frais.
« La
moitié des gens vont répondre de 50 %. Donc si vous partez à douze
migraines par mois, vous descendez à six. Vous partez à vingt migraines,
vous descendez à dix, a expliqué la docteure Leroux. Mais de 20 à 30 %
des patients, dépendant de leur sévérité, vont répondre à 75 %. Donc ce
n’est pas du jamais vu, mais c’est quasiment du jamais vu dans notre
univers du traitement de la migraine. Si vous partez à vingt, vous
tombez à quatre ou cinq. Ça améliore vraiment la qualité de vie pour ce
qu’on appelle les “répondeurs”, c’est-à-dire les gens qui répondent aux
anticorps anti-CGRP. »
Les
traitements pourront être espacés, sinon complètement arrêtés, chez les
patients qui y répondent le mieux. Les spécialistes tentent par
ailleurs de mettre au point un traitement pour bloquer la cascade du
CGRP en pleine crise, et non seulement en prévention.
Trois révolutions
« Il
y a eu trois révolutions dans le monde des migraines, a dit la docteure
Leroux. Il y en a eu une quand les triptans sont arrivés ; ce sont des
traitements qui jouent sur la sérotonine pour casser des crises. Après
ça il y a eu le botox en 2011, et ça a tout changé notre perception de
la migraine chronique ; c’est un traitement qui est bien toléré et qui
fonctionne bien. Et là on a les anticorps qui sont une révolution. »
L’impact de la migraine est sous-estimé parce que
c’est une maladie invisible, ajoute-t-elle. L’Organisation mondiale de
la santé reconnaît pourtant que c’est une maladie très invalidante,
surtout qu’elle touche des enfants et des adolescents, ou encore de
jeunes adultes qui sont au pic de leur productivité.
Deux jours à
être incapacité ou deux jours ralenti ou deux jours à vomir ou même
parfois deux jours à la salle d’urgence, a expliqué la docteure Leroux.
Chaque jour regagné est un jour significatif pour ces gens-là, donc
s’ils regagnent six jours ou dix jours, l’impact sur la qualité de vie
est énorme. »
L’arrivée
sur le marché des anti-CGRP représente donc un nouvel espoir pour les
patients à qui on pouvait seulement proposer des thérapies dont
l’efficacité n’était pas garantie et qui pouvaient en plus s’accompagner
d’effets secondaires parfois pénibles.
jeudi 24 octobre 2019
Pollution de l’air : la France condamnée par la justice européenne
Après des années d’avertissements sans
frais, la France vient d’être condamnée par la cour de justice de
l’Union européenne (CJUE) pour son incapacité à protéger ses citoyens
contre la pollution de l’air. Dans un arrêt rendu jeudi 24 octobre, la
CJUE « condamne la France pour manquement aux obligations issues de la directive qualité de l’air ». Concrètement, la justice européenne estime que « la
France a dépassé de manière systématique et persistante la valeur
limite annuelle pour le dioxyde d’azote depuis le 1er janvier 2010 ».
Le dioxyde d’azote (NO2), est un gaz très toxique émis principalement
par le trafic automobile et en particulier par les véhicules diesels.
Douze agglomérations françaises dont Paris, Marseille, Lyon ou
Starsbourg sont concernées par ces dépassements.
La
Commission européenne avait saisi la CJUE mai 2018 après dix ans
d’avertissements et de mises en garde. D’autres Etats comme l’Allemagne,
le Royaume-Uni ou l’Italie avaient également été renvoyés devant la
justice.
La France dans le viseur depuis dix ans
Après
des années d’avertissements et d’ultimatums sans lendemain, Bruxelles
avait décidé de taper du poing sur la table en saisissant la CJUE. La
France est dans son viseur depuis près de dix ans pour non-respect de la
directive européenne de 2008 sur la qualité de l’air. La première mise
en demeure remonte à 2009. D’autres ont suivi en 2010, 2011, 2013, 2015
et 2017.
A chaque fois, le législateur européen martelait les mêmes griefs : « La France n’a pas pris les mesures qui auraient dû être mises en place depuis 2005 [pour les PM10, et 2010 pour les NO2] pour
protéger la santé des citoyens, et il lui est demandé d’engager des
actions rapides et efficaces pour mettre un terme aussi vite que
possible à cette situation de non-conformité. » Et à chaque fois, il brandissait la même menace : « Si
la France n’agit pas dans les deux mois, la Commission peut décider de
porter l’affaire devant la Cour de justice de l’UE. »
Enjoint également par le Conseil d’Etat
de transmettre un tel plan à la Commission avant le 31 mars 2018, le
ministre de l’écologie de l’époque, Nicolas Hulot, avait présenté en
avril de la même année les « feuilles de route » des quatorze zones
concernées par des dépassements des normes : Ile-de-France, Marseille,
Nice, Toulon, Lyon, Grenoble, Saint-Etienne, Valence, vallée de l’Arve,
Strasbourg, Reims, Montpellier, Toulouse et la Martinique. Sans mesures
radicales, et se contentant souvent d’empiler des dispositifs déjà
existants, ces feuilles de route avaient été jugées insuffisantes par la
Commission européenne.
Elles l’ont été également par la CUJE : « la
France n’a pas mis à exécution des mesures appropriées et efficaces
pour que la période de dépassement des valeurs limites pour le dioxyde
d’azote soit la plus courte possible, au sens de la directive ».
mardi 24 septembre 2019
Un rapport spécial du GIEC souligne le lien entre changement climatique, dégradation des terres et systèmes alimentaires
Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a publié, en août,
un rapport spécial sur les liens entre changement climatique, désertification, dégradation des
terres, gestion durable de celles-ci, sécurité alimentaire et émissions de gaz à effet de serre
(GES). Il rappelle que les terres contribuent de manière primordiale aux modes de vie et au bienêtre
en fournissant de la nourriture, de l'eau, des services écosystémiques et en abritant de la
biodiversité. D'après les données disponibles depuis 1961, la croissance de la population mondiale
et l'augmentation de la consommation d'aliments, de fibres, de bois et d'énergie ont conduit à des
taux d'utilisation des terres jamais atteints, provoquant leur dégradation, de la désertification, une
augmentation des émissions de GES et des pertes d'habitats naturels et de biodiversité. De plus,
le changement climatique exacerbe ces effets, menaçant davantage la santé des humains et des
écosystèmes, avec de fortes variations régionales.
Le rapport passe également en revue et évalue trois catégories de solutions pour lutter
contre ces dégradations, basées sur l'utilisation des terres, les systèmes alimentaires (ex.
évolutions des régimes, réduction des pertes) et la gestion des risques. Nous n'aborderons ici que
la première catégorie, qui inclut notamment la gestion durable des terres et des forêts, celle du
carbone organique des sols, la conservation et la restauration des écosystèmes, la réduction de la
déforestation. Leur mise en œuvre dépend du contexte, notamment des capacités d'adaptation
locales, et leurs impacts varient dans le temps, selon qu'ils sont immédiats ou à l'horizon de
plusieurs décennies. La plupart des options évaluées contribue positivement au
développement durable. Néanmoins, certaines (afforestation, reforestation, bioénergies) peuvent
augmenter le risque de conversion des terres, avec des conséquences négatives en matière de
sécurité alimentaire. Ces effets contre-productifs peuvent toutefois être réduits si seulement une
part des terres est allouée à ces trois dernières options.
un rapport spécial sur les liens entre changement climatique, désertification, dégradation des
terres, gestion durable de celles-ci, sécurité alimentaire et émissions de gaz à effet de serre
(GES). Il rappelle que les terres contribuent de manière primordiale aux modes de vie et au bienêtre
en fournissant de la nourriture, de l'eau, des services écosystémiques et en abritant de la
biodiversité. D'après les données disponibles depuis 1961, la croissance de la population mondiale
et l'augmentation de la consommation d'aliments, de fibres, de bois et d'énergie ont conduit à des
taux d'utilisation des terres jamais atteints, provoquant leur dégradation, de la désertification, une
augmentation des émissions de GES et des pertes d'habitats naturels et de biodiversité. De plus,
le changement climatique exacerbe ces effets, menaçant davantage la santé des humains et des
écosystèmes, avec de fortes variations régionales.
Le rapport passe également en revue et évalue trois catégories de solutions pour lutter
contre ces dégradations, basées sur l'utilisation des terres, les systèmes alimentaires (ex.
évolutions des régimes, réduction des pertes) et la gestion des risques. Nous n'aborderons ici que
la première catégorie, qui inclut notamment la gestion durable des terres et des forêts, celle du
carbone organique des sols, la conservation et la restauration des écosystèmes, la réduction de la
déforestation. Leur mise en œuvre dépend du contexte, notamment des capacités d'adaptation
locales, et leurs impacts varient dans le temps, selon qu'ils sont immédiats ou à l'horizon de
plusieurs décennies. La plupart des options évaluées contribue positivement au
développement durable. Néanmoins, certaines (afforestation, reforestation, bioénergies) peuvent
augmenter le risque de conversion des terres, avec des conséquences négatives en matière de
sécurité alimentaire. Ces effets contre-productifs peuvent toutefois être réduits si seulement une
part des terres est allouée à ces trois dernières options.
Enfin, les auteurs suggèrent la mise en place de politiques publiques adaptées: zonage géographique et planification spatiale de l'utilisation des terres, gestion intégrée des paysages, incitations (dont paiements pour services environnementaux), etc. La consolidation des droits de propriété sur le foncier, l'accès aux financements et le conseil paraissent également indispensables dans de nombreux pays.
mercredi 18 septembre 2019
Climat : la trajectoire des 1,5°C en 2100 n'est pas atteignable, selon les experts français
Les nouveaux modèles de simulation, développés par les experts français,
prévoient un réchauffement climatique compris entre 2 et 7°C en 2100.
Ces travaux alimenteront le prochain rapport du GIEC.
Ce mardi 17 septembre, les scientifiques français du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et de Météo-France ont présenté leurs nouvelles simulations numériques climatiques à l'horizon 2100. Leurs analyses doivent alimenter le sixième rapport d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) prévu pour 2021.
Les scientifiques français ont produit deux nouveaux modèles climatiques qui présentent l'évolution des concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre (GES) et des aérosols dus aux activités, en fonction des contextes socio-économiques. L'un des modèles a été développé par le Centre national de recherches météorologiques (CNRM, Météo-France/CNRS) et l'autre modèle par l'Institut Pierre-Simon-Laplace (IPSL). Par ailleurs, ces nouveaux modèles "ouvrent pour la première fois de nouvelles possibilités d'analyse à l'échelle régionale et un cadre plus cohérent pour étudier les liens climat-environnement et les impacts du changement climatique", soulignent les chercheurs. Leurs travaux prévoient un réchauffement climatique "plus important en 2100" que ce que prévoyaient les précédents modèles, en 2012.
Pour rappel, l'Accord de Paris sur le climat de 2015 prévoit de limiter la hausse des températures à 2°C, voire 1,5°C en 2100 par rapport à l'ère préindustrielle (1880).
Un seul scénario permet d'atteindre environ 2°C
Face aux objectifs de l'Accord de Paris, les deux modèles prédisent une augmentation de la température moyenne du globe (avec des variations plus ou moins importantes selon les années) au moins jusqu'en 2040, pour atteindre environ 2°C.
Seul un scénario, le plus ambitieux, permet "tout juste" de rester sous l'objectif des 2°C de réchauffement en 2100. Celui-ci implique "un effort d'atténuation encore plus important". C'est-à-dire "une diminution immédiate des émissions de CO2 jusqu'à atteindre la neutralité carbone à l'échelle de la planète vers 2060, ainsi qu'une captation de CO2 atmosphérique de l'ordre de 10 à 15 milliards de tonnes par an en 2100", expliquent les scientifiques. Ce dernier point est techniquement incertain. Le scénario est aussi"marqué par une forte coopération internationale", en dépit du retrait américain de l'Accord de Paris et "[donne] la priorité au développement durable".
Hausse de 7°C : le scénario le plus pessimiste
Dans le scénario le plus pessimiste, basé sur une croissance économique rapide alimentée par les énergies fossiles, la hausse de la température moyenne mondiale atteint 6,5 à 7°C en 2100. Le pire scénario estimé par le Giec prévoyait une augmentation de la température moyenne globale de près de 5°C d'ici à 2100. "La température moyenne de la planète à la fin du siècle dépend donc fortement des politiques climatiques qui seront mises en œuvre dès maintenant et tout au long du 21e siècle", insistent les scientifiques français.
Ils prédisent en outre une disparition complète de la banquise Arctique en fin d'été, dès 2080, en cas d'émissions élevées de GES. Les chercheurs alertent aussi sur la fréquence des canicules, d'ici à 2050, en Europe de l'Ouest et en France (avec une durée plus importante qu'en 2003). L'augmentation des vagues de chaleur "va se poursuivre au moins dans les deux décennies qui viennent, quel que soit le scénario considéré", préviennent-ils. "Dans les scénarios intermédiaires et hauts, un été typique des années 2050 correspondra à l'été 2003".
Ce mardi 17 septembre, les scientifiques français du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et de Météo-France ont présenté leurs nouvelles simulations numériques climatiques à l'horizon 2100. Leurs analyses doivent alimenter le sixième rapport d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) prévu pour 2021.
Les scientifiques français ont produit deux nouveaux modèles climatiques qui présentent l'évolution des concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre (GES) et des aérosols dus aux activités, en fonction des contextes socio-économiques. L'un des modèles a été développé par le Centre national de recherches météorologiques (CNRM, Météo-France/CNRS) et l'autre modèle par l'Institut Pierre-Simon-Laplace (IPSL). Par ailleurs, ces nouveaux modèles "ouvrent pour la première fois de nouvelles possibilités d'analyse à l'échelle régionale et un cadre plus cohérent pour étudier les liens climat-environnement et les impacts du changement climatique", soulignent les chercheurs. Leurs travaux prévoient un réchauffement climatique "plus important en 2100" que ce que prévoyaient les précédents modèles, en 2012.
Pour rappel, l'Accord de Paris sur le climat de 2015 prévoit de limiter la hausse des températures à 2°C, voire 1,5°C en 2100 par rapport à l'ère préindustrielle (1880).
Un seul scénario permet d'atteindre environ 2°C
Face aux objectifs de l'Accord de Paris, les deux modèles prédisent une augmentation de la température moyenne du globe (avec des variations plus ou moins importantes selon les années) au moins jusqu'en 2040, pour atteindre environ 2°C.
Seul un scénario, le plus ambitieux, permet "tout juste" de rester sous l'objectif des 2°C de réchauffement en 2100. Celui-ci implique "un effort d'atténuation encore plus important". C'est-à-dire "une diminution immédiate des émissions de CO2 jusqu'à atteindre la neutralité carbone à l'échelle de la planète vers 2060, ainsi qu'une captation de CO2 atmosphérique de l'ordre de 10 à 15 milliards de tonnes par an en 2100", expliquent les scientifiques. Ce dernier point est techniquement incertain. Le scénario est aussi"marqué par une forte coopération internationale", en dépit du retrait américain de l'Accord de Paris et "[donne] la priorité au développement durable".
Hausse de 7°C : le scénario le plus pessimiste
Dans le scénario le plus pessimiste, basé sur une croissance économique rapide alimentée par les énergies fossiles, la hausse de la température moyenne mondiale atteint 6,5 à 7°C en 2100. Le pire scénario estimé par le Giec prévoyait une augmentation de la température moyenne globale de près de 5°C d'ici à 2100. "La température moyenne de la planète à la fin du siècle dépend donc fortement des politiques climatiques qui seront mises en œuvre dès maintenant et tout au long du 21e siècle", insistent les scientifiques français.
Ils prédisent en outre une disparition complète de la banquise Arctique en fin d'été, dès 2080, en cas d'émissions élevées de GES. Les chercheurs alertent aussi sur la fréquence des canicules, d'ici à 2050, en Europe de l'Ouest et en France (avec une durée plus importante qu'en 2003). L'augmentation des vagues de chaleur "va se poursuivre au moins dans les deux décennies qui viennent, quel que soit le scénario considéré", préviennent-ils. "Dans les scénarios intermédiaires et hauts, un été typique des années 2050 correspondra à l'été 2003".
lundi 16 septembre 2019
Pesticides : l'Anses répond aux « élucubrations » de Fabrice Nicolino
Dans un livre choc publié ce jeudi, le journaliste et militant
anti-pesticides Fabrice Nicolino, cofondateur du mouvement Nous voulons
des coquelicots, soupçonne l'Agence nationale de sécurité sanitaire de
l'alimentation (Anses) de collusion avec les lobbies de l'agrochimie et
l'accuse de ne pas protéger la santé de la population.
En cause ? Une famille de fongicides appelée SDHI, qui s'attaque à la chaîne respiratoire des champignons. Dans son livre Le crime était presque parfait, le journaliste affirme que nous serions à l'aube d'une « potentielle catastrophe sanitaire », délibérément ignorée des pouvoirs publics. En avril 2018, un collectif de huit scientifiques, emmenés par le généticien Pierre Rustin, publiait une alerte dans le journal Libération : selon eux, les fongicides SDHI, en inhibant l'activité de l'enzyme SDH (présente chez la majorité des êtres vivants), pouvaient avoir sur l'homme des effets comparables : le blocage de cette enzyme entraînerait à long terme un changement de la structure de notre ADN, par un phénomène de modification épigénétique. Ces anomalies déréguleraient ensuite des milliers de gènes, expliquant la survenue de tumeurs et cancers. « Ces modifications, alertaient-ils, ne sont pas détectées, ni testées, au cours des tests de toxicité conduits avant la mise sur le marché des pesticides. » L'Anses aurait-elle délibérément ignoré cette alerte ? Le Pr Gérard Lasfargues, directeur général délégué du pôle sciences pour l'expertise de l'Anses, répond.
Le Point : Qu'est-ce que les fongicides SDHI ?
Gérard Lasfargues : Les SDHI (pour inhibiteurs de la succinate déshydrogénase) sont une classe de fongicides qui inhibent une enzyme, la succinate déshydrogénase, et bloquent ainsi une étape clé de la respiration des champignons. Ils sont utilisés depuis plus de quarante ans en agriculture pour combattre moisissures et champignons. Le plus connu, le Boscalid, est sur le marché depuis 2005. En tout, cette famille de fongicides regroupe onze substances commercialisées.
Contrairement à ce qui est écrit dans le livre, nous n'avons pas découvert cette alerte en 2018, au moment de la publication de la tribune. Dès la fin 2017, nous avons échangé avec le généticien Pierre Rustin, qui étudiait alors les maladies rares issues d'un déficit génétique important et constant en SDH (la succinate déshydrogénase, enzyme clé de la chaîne respiratoire.) Ce sont des maladies génétiques extrêmement rares, et invalidantes. Le Pr Rustin a observé une association de ces maladies génétiques avec certains cancers rares. Il a indiqué à l'agence que les SDHI, pouvant inhiber l'enzyme SDH, seraient notamment source de cancers. L'Anses lui a donc naturellement demandé de fournir au plus tôt les données scientifiques permettant d'étayer cette affirmation.
Fabrice Nicolino explique, dans son livre, que Pierre Rustin a bien confirmé l'action du SDHI sur l'homme, en laboratoire…
Nous avons demandé à M. Rustin, que nous avons reçu très longuement et avec qui nous avons échangé de façon régulière, de nous transmettre ses données sur cette expérience. Les données fournies par Pierre Rustin et par le collectif de scientifiques concernaient les maladies génétiques et le mécanisme de blocage de la SDH. Nous n'avons pas reçu de données sur la toxicité de SDHI en particulier sur des effets cancérogènes. Les données de la littérature scientifique ainsi que celles exigées dans les dossiers d'autorisation de mise sur le marché ne permettent pas aujourd'hui de démontrer un risque sanitaire pour les populations potentiellement exposées. Nous n'avons pas d'éléments suffisants pour retirer immédiatement ces produits du marché.
Les équipes de l'Inra et de l'Inserm, qui s'étaient associées à son alerte, nous ont proposé des protocoles d'étude qui permettraient de produire des données sur les différents mécanismes d'action, épigénétique ou autres, et sur la toxicité des SDHI. Actuellement, nous finançons plusieurs études et d'importants travaux de recherche de ces équipes et d'autres pour obtenir des réponses. Les travaux financés sont non seulement des travaux expérimentaux, mais aussi des études épidémiologiques pour vérifier si l'exposition à des fongicides SDHI serait associée à un excès de tumeurs. Les grandes études épidémiologiques de cohorte comme l'étude Agrican, conduite en France sur 180 000 agriculteurs, n'ont pas montré cela à ce jour.
Bien entendu, si des données nouvelles mettaient en évidence un risque conduisant à retirer des autorisations de mise sur le marché de fongicides SDHI, nous le ferions immédiatement, comme nous l'avons fait par précaution pour d'autres produits à plusieurs reprises.
Si vous n'avez pas de certitudes, pourquoi ne pas appliquer le principe de précaution et interdire ces fongicides, comme le demande Fabrice Nicolino ?
Nous avons entendu l'alerte et l'avons traitée. L'Anses a mandaté un groupe de scientifiques de haut niveau qui a conclu à l'absence d'alerte sanitaire pour l'homme et l'environnement en lien avec l'usage agricole des SDHI et pouvant conduire au retrait des AMM de ces fongicides.
Par ailleurs, nous avons prévenu l'ensemble de nos partenaires, agences de sécurité sanitaires nord-américaines, européennes et grands organismes de recherche, nationaux et internationaux, de façon à pouvoir disposer d'éléments dont ils auraient connaissance. Nous avons sollicité l'Inserm, qui réactualise actuellement son expertise sur les pesticides pour que la question de l'impact des SDHI soit particulièrement traitée dans ce cadre. À ce jour, il est important de le dire, nous n'avons reçu aucun signal d'alerte.
Selon Fabrice Nicolino, l'utilisation de fongicides SDHI est massive, mais on ne connaît pas les volumes épandus : l'industrie refuserait de les communiquer.
La base nationale des ventes des produits phytosanitaires est publique et consultable sur data.gouv.fr. Elle indique que les agriculteurs français utilisent entre 500 et 700 tonnes de fongicides SDHI par an (sur un total de 68 000 tonnes de pesticides). C'est un petit tonnage. Concernant l'exposition de la population française, elle est faible : selon les données de l'enquête Alimentation totale, on n'a trouvé des traces de Boscalid (le SDHI le plus utilisé) que dans 3,1 % des échantillons pour une exposition à plus de cent fois inférieure aux doses journalières admissibles.
Est-il sain qu'un même organisme, l'Anses, soit à la fois chargé de délivrer les autorisations de mise sur le marché (AMM) aux industriels et d'évaluer leur potentiel danger ? Êtes-vous soumis aux lobbies agrochimiques ?
C'est précisément pour avoir la certitude que les risques sanitaires sont bien pris en compte que le processus d'autorisation a été confié à une agence de sécurité sanitaire. Par ses missions, l'agence est la mieux placée pour avoir une vue d'ensemble sur l'intégralité des connaissances scientifiques et des risques connus et émergents. Nous interdisons constamment des substances, des usages… La moindre suspicion d'effets sanitaires entraîne le retrait du produit.
L'Agence s'est dotée de règles déontologiques très strictes. Chaque déclaration publique d'intérêt des experts et de nos agents est analysée selon une grille d'analyse validée par notre comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts.
Bien entendu, le dossier des SDHI reste ouvert pour l'Anses, qui continue sa surveillance active des expositions et des risques. Mais, à ce jour, nous ne disposons d'aucun élément à l'appui d'une alerte sanitaire concernant cette famille de fongicides.
En cause ? Une famille de fongicides appelée SDHI, qui s'attaque à la chaîne respiratoire des champignons. Dans son livre Le crime était presque parfait, le journaliste affirme que nous serions à l'aube d'une « potentielle catastrophe sanitaire », délibérément ignorée des pouvoirs publics. En avril 2018, un collectif de huit scientifiques, emmenés par le généticien Pierre Rustin, publiait une alerte dans le journal Libération : selon eux, les fongicides SDHI, en inhibant l'activité de l'enzyme SDH (présente chez la majorité des êtres vivants), pouvaient avoir sur l'homme des effets comparables : le blocage de cette enzyme entraînerait à long terme un changement de la structure de notre ADN, par un phénomène de modification épigénétique. Ces anomalies déréguleraient ensuite des milliers de gènes, expliquant la survenue de tumeurs et cancers. « Ces modifications, alertaient-ils, ne sont pas détectées, ni testées, au cours des tests de toxicité conduits avant la mise sur le marché des pesticides. » L'Anses aurait-elle délibérément ignoré cette alerte ? Le Pr Gérard Lasfargues, directeur général délégué du pôle sciences pour l'expertise de l'Anses, répond.
Le Point : Qu'est-ce que les fongicides SDHI ?
Gérard Lasfargues : Les SDHI (pour inhibiteurs de la succinate déshydrogénase) sont une classe de fongicides qui inhibent une enzyme, la succinate déshydrogénase, et bloquent ainsi une étape clé de la respiration des champignons. Ils sont utilisés depuis plus de quarante ans en agriculture pour combattre moisissures et champignons. Le plus connu, le Boscalid, est sur le marché depuis 2005. En tout, cette famille de fongicides regroupe onze substances commercialisées.
Contrairement à ce qui est écrit dans le livre, nous n'avons pas découvert cette alerte en 2018, au moment de la publication de la tribune. Dès la fin 2017, nous avons échangé avec le généticien Pierre Rustin, qui étudiait alors les maladies rares issues d'un déficit génétique important et constant en SDH (la succinate déshydrogénase, enzyme clé de la chaîne respiratoire.) Ce sont des maladies génétiques extrêmement rares, et invalidantes. Le Pr Rustin a observé une association de ces maladies génétiques avec certains cancers rares. Il a indiqué à l'agence que les SDHI, pouvant inhiber l'enzyme SDH, seraient notamment source de cancers. L'Anses lui a donc naturellement demandé de fournir au plus tôt les données scientifiques permettant d'étayer cette affirmation.
Fabrice Nicolino explique, dans son livre, que Pierre Rustin a bien confirmé l'action du SDHI sur l'homme, en laboratoire…
Nous avons demandé à M. Rustin, que nous avons reçu très longuement et avec qui nous avons échangé de façon régulière, de nous transmettre ses données sur cette expérience. Les données fournies par Pierre Rustin et par le collectif de scientifiques concernaient les maladies génétiques et le mécanisme de blocage de la SDH. Nous n'avons pas reçu de données sur la toxicité de SDHI en particulier sur des effets cancérogènes. Les données de la littérature scientifique ainsi que celles exigées dans les dossiers d'autorisation de mise sur le marché ne permettent pas aujourd'hui de démontrer un risque sanitaire pour les populations potentiellement exposées. Nous n'avons pas d'éléments suffisants pour retirer immédiatement ces produits du marché.
Les équipes de l'Inra et de l'Inserm, qui s'étaient associées à son alerte, nous ont proposé des protocoles d'étude qui permettraient de produire des données sur les différents mécanismes d'action, épigénétique ou autres, et sur la toxicité des SDHI. Actuellement, nous finançons plusieurs études et d'importants travaux de recherche de ces équipes et d'autres pour obtenir des réponses. Les travaux financés sont non seulement des travaux expérimentaux, mais aussi des études épidémiologiques pour vérifier si l'exposition à des fongicides SDHI serait associée à un excès de tumeurs. Les grandes études épidémiologiques de cohorte comme l'étude Agrican, conduite en France sur 180 000 agriculteurs, n'ont pas montré cela à ce jour.
Bien entendu, si des données nouvelles mettaient en évidence un risque conduisant à retirer des autorisations de mise sur le marché de fongicides SDHI, nous le ferions immédiatement, comme nous l'avons fait par précaution pour d'autres produits à plusieurs reprises.
Si vous n'avez pas de certitudes, pourquoi ne pas appliquer le principe de précaution et interdire ces fongicides, comme le demande Fabrice Nicolino ?
Nous avons entendu l'alerte et l'avons traitée. L'Anses a mandaté un groupe de scientifiques de haut niveau qui a conclu à l'absence d'alerte sanitaire pour l'homme et l'environnement en lien avec l'usage agricole des SDHI et pouvant conduire au retrait des AMM de ces fongicides.
Par ailleurs, nous avons prévenu l'ensemble de nos partenaires, agences de sécurité sanitaires nord-américaines, européennes et grands organismes de recherche, nationaux et internationaux, de façon à pouvoir disposer d'éléments dont ils auraient connaissance. Nous avons sollicité l'Inserm, qui réactualise actuellement son expertise sur les pesticides pour que la question de l'impact des SDHI soit particulièrement traitée dans ce cadre. À ce jour, il est important de le dire, nous n'avons reçu aucun signal d'alerte.
Selon Fabrice Nicolino, l'utilisation de fongicides SDHI est massive, mais on ne connaît pas les volumes épandus : l'industrie refuserait de les communiquer.
La base nationale des ventes des produits phytosanitaires est publique et consultable sur data.gouv.fr. Elle indique que les agriculteurs français utilisent entre 500 et 700 tonnes de fongicides SDHI par an (sur un total de 68 000 tonnes de pesticides). C'est un petit tonnage. Concernant l'exposition de la population française, elle est faible : selon les données de l'enquête Alimentation totale, on n'a trouvé des traces de Boscalid (le SDHI le plus utilisé) que dans 3,1 % des échantillons pour une exposition à plus de cent fois inférieure aux doses journalières admissibles.
Est-il sain qu'un même organisme, l'Anses, soit à la fois chargé de délivrer les autorisations de mise sur le marché (AMM) aux industriels et d'évaluer leur potentiel danger ? Êtes-vous soumis aux lobbies agrochimiques ?
C'est précisément pour avoir la certitude que les risques sanitaires sont bien pris en compte que le processus d'autorisation a été confié à une agence de sécurité sanitaire. Par ses missions, l'agence est la mieux placée pour avoir une vue d'ensemble sur l'intégralité des connaissances scientifiques et des risques connus et émergents. Nous interdisons constamment des substances, des usages… La moindre suspicion d'effets sanitaires entraîne le retrait du produit.
L'Agence s'est dotée de règles déontologiques très strictes. Chaque déclaration publique d'intérêt des experts et de nos agents est analysée selon une grille d'analyse validée par notre comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts.
Bien entendu, le dossier des SDHI reste ouvert pour l'Anses, qui continue sa surveillance active des expositions et des risques. Mais, à ce jour, nous ne disposons d'aucun élément à l'appui d'une alerte sanitaire concernant cette famille de fongicides.
Manche : Des polluants retrouvés dans la peau et la graisse de grands dauphins
POLLUTION Les niveaux de mercure trouvés dans la peau des animaux sont les plus hauts jamais mesurés sur cette espèce
Même nos dauphins sont pollués. Des niveaux élevés de polluants, dont
le mercure et les PCB (polychlorobiphényles), ont été retrouvés dans la graisse et la peau d’un groupe de mammifères vivant dans
la Manche.Selon une étude publiée ce jeudi dans la revue Scientific Reports, des prélèvements ont été effectués sur 82 grands dauphins vivant dans le golfe normano-breton. La population totale dans cette zone est estimée à près de 400 individus.
Les PCB, toujours présents dans nos eaux
Les chercheurs voulaient évaluer la présence d’une dizaine de polluants survivant longtemps dans la nature. Ils ont notamment retrouvé des taux élevés de PCB dans la graisse des animaux.Bien qu’interdits dans les années 1970 et 1980, les PCB sont toujours présents dans les eaux où ils ont été disséminés. De précédentes études ont montré que les bébés des grands dauphins qui sont exposés à ces composés toxiques ont un taux de survie réduit la première année.
Le golfe de la Manche, une future zone protégée ?
Les niveaux de mercure observés dans la peau des dauphins étudiés sont parmi les plus élevés jamais trouvés chez des grands dauphins, selon l’étude. Ils sont proches des niveaux mesurés chez des grands dauphins en Méditerranée et sur les côtes de Floride, deux endroits à la concentration de mercure élevée.En conclusion de l’étude, les scientifiques préconisent de faire du golfe normano-breton une zone protégée. Il est pour eux primordial de garder ces eaux propres et maintenir ainsi l’un des plus importants groupes de grands dauphins dans les eaux européennes.
mercredi 11 septembre 2019
Alerte scientifique sur les fongicides
Après les effets nocifs des insecticides et herbicides utilisés dans l’agriculture, des chercheurs dénoncent dans «Libération» des produits, les «SDHI», qui empêchent le développement des champignons en bloquant leur respiration. Passant dans la chaîne alimentaire, ils pourraient affecter gravement la santé des humains.
Dans la série des dangers des pesticides pour l’environnement et la santé humaine, vous aimez l’épisode sur les herbicides (comme le glyphosate, la substance active du Roundup de Monsanto et ses génériques) et celui sur les insecticides (tels les néonicotinoïdes ou le fipronil «tueurs d’abeilles»), tous deux loin d’être achevés ? Vous allez adorer celui sur les fongicides, qui démarre tout juste. Dans une tribune que nous publions ce lundi en exclusivité, un collectif de chercheurs, cancérologues, médecins et toxicologues du CNRS, de l’Inserm et de l’Inra s’alarment de l’utilisation massive, depuis quelques années, d’une classe de pesticides qui portent eux aussi un nom à coucher dehors : les SDHI (inhibiteurs de la succinate déshydrogénase). Autorisés en Europe à partir de la fin des années 2000 et fabriqués entre autres par les grands industriels (Monsanto, Bayer, Basf, Syngenta, Du Pont, Mitsui ou encore Chemtura AgroSolution), ces fongicides visent à éliminer les champignons et moisissures en agriculture ou sur les pelouses. Ils sont désormais utilisés à grande échelle sur nombre de cultures (70 % des surfaces traitées de blé tendre et 80 % en orge d’hiver en 2014), y compris sur les pommes de terre et les fruits (tomates, raisins, agrumes, fraises...).
Résultat, ils finissent dans la terre, puis dans les eaux, et dans les chaînes alimentaires animales et humaines. Or, leur mode d’action inquiète les scientifiques signataires de la tribune. Pour schématiser, les SDHI bloquent la respiration des cellules des champignons (en inhibant l’activité de l’enzyme SDH, la succinate déshydrogénase) mais «ils bloquent aussi très efficacement tant la SDH des nématodes ou des vers de terre que la SDH humaine», explique Pierre Rustin, directeur de recherches au CNRS - Inserm, cosignataire du texte. Le généticien, qui travaille depuis quarante ans sur les maladies mitochondriales (liées à un trouble de la chaîne respiratoire des mitochondries, des structures intra-cellulaires responsables de la production énergétique des cellules), raconte être tombé sur le sujet «par un hasard total» en novembre dernier. «Je faisais une revue de ces maladies, et, en recherchant s’il y avait des causes autres que génétiques, je suis tombé sur ces inhibiteurs de la SDH. Ils bloquent bien la SDH humaine, nous l’avons testé en laboratoire. Or, nous savons qu’il est extrêmement dangereux de bloquer cette enzyme.»
Des anomalies de fonctionnement de la SDH «peuvent entraîner la mort des cellules en causant de graves encéphalopathies, ou au contraire une prolifération incontrôlée des cellules et se trouver à l’origine de cancers», écrivent les chercheurs. Sans compter d’autres maladies, comme celle de Parkinson ou la perturbation de la mobilité des spermatozoïdes… Or, déplore Pierre Rustin, la toxicité sur le long terme de ces molécules fongicides SDHI pour l’homme n’a pas encore été sérieusement étudiée. Les scientifiques appellent donc dans Libération à «suspendre» l’utilisation des SDHI «tant qu’une véritable estimation des dangers et des risques n’aura pas été réalisée par des organismes publics indépendants des industriels distribuant ces composés et des agences ayant précédemment donné les autorisations de la mise sur le marché».
En France, c’est l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) qui délivre ces autorisations. Contactée par Pierre Rustin en novembre, elle n’a pas eu l’air plus affolée que cela, rapporte celui-ci, qui dit avoir a été simplement invité à éplucher une myriade de documents ayant conduit à approuver les substances actives des SDHI au niveau européen (les produits qui en contiennent sont eux évalués, autorisés ou interdits dans chaque pays). «Pour l’instant, l’évaluation scientifique des risques liés à l’usage de ces produits, qui prend en compte le mécanisme d’action, conclut à une absence de risque inacceptable. Et nous n’avons pas à ce stade d’éléments pour les interdire ou les suspendre sur la base d’hypothèses tirées de leur mécanisme d’action. Mais nous prenons toujours très au sérieux les alertes qui nous sont adressées par des chercheurs et peuvent nous conduire bien entendu à réévaluer des produits», assure Gérard Lasfargues, directeur général en charge des affaires scientifiques à l’Anses. Il poursuit : «Nous avons demandé à M. Rustin de nous envoyer ses données, mais nous n’avons pas reçu d’éléments nouveaux qui permettraient d’alimenter une réévaluation des risques. Néanmoins, notre comité d’experts en charge de l’évaluation des pesticides sera très intéressé de l’auditionner sur le sujet. Et nous l’avons invité à venir consulter à l’agence les dossiers d’évaluation de ces fongicides pour en discuter de façon très ouverte.» L’Anses et l’Inra remarquent depuis plusieurs années que les champignons et moisissures développent des résistances aux SDHI, de sorte que «l’efficacité de cette famille de fongicides est sévèrement affectée». Potentiellement dangereux et en plus inefficaces…
vendredi 6 septembre 2019
Insecticides, fongicides et herbicides : quelles sont les pesticides détectés dans l'air de Nouvelle-Aquitaine en 2018 ?
L'ATMO de Nouvelle-Aquitaine est chargée de surveiller la qualité de
l'air dans notre région et vient de publier son bilan de mesure des
pesticides en 2018. Une année marquée par la présence des fongicides,
notamment utilisés pour lutter contre le mildiou dans les vignes.
epuis 2001, l'ATMO effectue des mesures pour détecter la présence de pesticides dans l'air en Nouvelle-Aquitaine. En 2018, les chercheurs de la structure ont prélevé des molécules sur sept sites : Bordeaux, Poitiers et Limoges, mais aussi le Cognaçais, le Médoc, les Grands Lacs (Landes) et Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne). Ils publient ce mercredi un bilan annuel pour communiquer leurs données.
Une année à mildiou, plus de fongicide dans l'air
En 2018, l'année a été particulièrement humide. Conséquence : les agriculteurs et les viticulteurs ont utilisé davantage de fongicide, notamment pour lutter contre le mildiou.
"Une prédominance du chlorothalonil (utilisé principalement sur céréales) a été observée d’avril à juin sur les sites de Poitiers et de Limoges, puis le folpel, fongicide de la vigne, est devenu majoritaire de fin mai à fin août sur les sites viticoles (Médoc, Cognaçais et Bordeaux). De fortes concentrations en pyriméthanil, utilisé contre la pourriture grise, ont également été observées sur le site du Médoc début août. La présence de spiroxamine et de cyprodinil, agissant notamment sur l’Oïdium, a été observée sur les sites du Cognaçais et du Médoc de début mai à mi-juillet" note ainsi l'ATMO.
Le Folpel fait ainsi parti des molécule en augmentation par rapport aux années précédentes, précise l'ATMO.
C'est aussi le cas du "prosulfocarbe, la pendiméthaline et le triallate, herbicides utilisés notamment sur céréales d’hiver, permettant de lutter contre l’abondance des graminées".
"Le Lindane est un produit persistant dans le sol, et continue de se répandre à cause de l'érosion", explique Julie Gault, chargée de communication à l'ATMO.
Le lindane a été classé comme cancérogène pour l'homme par l'OMS et son usage est interdit dans de nombreux pays.
Le Folpel, par exemple, est classé comme susceptible de provoquer des cancers, il est nocif par inhalation, provoque des allergies cutanées... Mais est-ce le cas aux niveaux détectés dans l'air de la région ?
Cette question ne fait pas partie du domaine de compétence de l'ATMO.
"Notre rôle s'arrête à la mesure, d'autres organismes comme l'ANSES ou l'ARS sont chargés d'utiliser nos données", souligne Julie Gault. De plus, il n'existe pas -encore- de seuil réglementaire concernant la présence de pesticides dans l'air, comme le précise l'organisme.
epuis 2001, l'ATMO effectue des mesures pour détecter la présence de pesticides dans l'air en Nouvelle-Aquitaine. En 2018, les chercheurs de la structure ont prélevé des molécules sur sept sites : Bordeaux, Poitiers et Limoges, mais aussi le Cognaçais, le Médoc, les Grands Lacs (Landes) et Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne). Ils publient ce mercredi un bilan annuel pour communiquer leurs données.
Une année à mildiou, plus de fongicide dans l'air
En 2018, l'année a été particulièrement humide. Conséquence : les agriculteurs et les viticulteurs ont utilisé davantage de fongicide, notamment pour lutter contre le mildiou.
"Une prédominance du chlorothalonil (utilisé principalement sur céréales) a été observée d’avril à juin sur les sites de Poitiers et de Limoges, puis le folpel, fongicide de la vigne, est devenu majoritaire de fin mai à fin août sur les sites viticoles (Médoc, Cognaçais et Bordeaux). De fortes concentrations en pyriméthanil, utilisé contre la pourriture grise, ont également été observées sur le site du Médoc début août. La présence de spiroxamine et de cyprodinil, agissant notamment sur l’Oïdium, a été observée sur les sites du Cognaçais et du Médoc de début mai à mi-juillet" note ainsi l'ATMO.
Le Folpel fait ainsi parti des molécule en augmentation par rapport aux années précédentes, précise l'ATMO.
C'est aussi le cas du "prosulfocarbe, la pendiméthaline et le triallate, herbicides utilisés notamment sur céréales d’hiver, permettant de lutter contre l’abondance des graminées".
Toujours du Lindane, interdit en agriculture depuis... 1998 !
Parmi les insecticides détectés, le Lindane a été retrouvé sur les sept sites de mesure. Il est pourtant interdit d'usage agricole depuis 1998. Comment se fait-il qu'il soit toujours présent ?"Le Lindane est un produit persistant dans le sol, et continue de se répandre à cause de l'érosion", explique Julie Gault, chargée de communication à l'ATMO.
Le lindane a été classé comme cancérogène pour l'homme par l'OMS et son usage est interdit dans de nombreux pays.
Quel impact sur notre santé ?
Quel impact la présence de ces pesticides a-t-il sur notre santé, et sur l'environnement ? Y a-t-il des polluants qui sont trop présents dans l'air que nous respirons en Nouvelle-Aquitaine ?Le Folpel, par exemple, est classé comme susceptible de provoquer des cancers, il est nocif par inhalation, provoque des allergies cutanées... Mais est-ce le cas aux niveaux détectés dans l'air de la région ?
Cette question ne fait pas partie du domaine de compétence de l'ATMO.
"Notre rôle s'arrête à la mesure, d'autres organismes comme l'ANSES ou l'ARS sont chargés d'utiliser nos données", souligne Julie Gault. De plus, il n'existe pas -encore- de seuil réglementaire concernant la présence de pesticides dans l'air, comme le précise l'organisme.
lundi 2 septembre 2019
« La confrérie des insectes », ces scientifiques indépendants qui enquêtent sur la disparition des abeilles
Dans son livre « Et le monde devint silencieux », notre journaliste
Stéphane Foucart dévoile comment l’agrochimie a infiltré et
instrumentalisé des organisations scientifiques reconnues et des ONG de
protection de la nature.
Pourquoi les insectes ne viennent-ils
plus s’abîmer sur nos pare-brise, pourquoi leur bourdonnement joyeux
n’anime-t-il plus autant nos jardins ? Dans un ouvrage intitulé Et le monde devint silencieux, édité conjointement par Le Monde et
Seuil, notre journaliste Stéphane Foucart raconte comment les grandes
firmes d’agrochimie sont parvenues à installer l’idée que l’effondrement
des pollinisateurs était un mystère, en aucun cas lié à la mise sur le
marché, au début des années 2000, des insecticides néonicotinoïdes. Une
stratégie du doute calquée en tous points sur celle mise en œuvre par
l’industrie du tabac dans les années 1950. A l’époque, les cigarettiers,
inquiets des études révélant que les goudrons de la cigarette étaient
cancérigènes, font appel à un communicant de génie, John Hill. Ce
dernier théorise le fait que combattre la recherche est une perte de
temps. Mieux vaut faire diversion en la poursuivant, en faisant ce que
l’historien des sciences Robert Proctor a appelé de la « recherche
leurre ». La cigarette provoquerait des cancers ? Et l’hérédité ? Et la
nutrition ? Et le stress ? Et la pollution ? Autant de domaines de
recherche que les industries du tabac se mettent à financer avec ardeur.
Cet écran de fumée qui leur a permis si longtemps de faire douter de
l’effet cancérigène de leur produit a été mis en place de manière
similaire et redoutablement efficace par l’industrie agrochimique. Ainsi
les fabricants de pesticides tentent-ils de comprendre la disparition
des abeilles…
Dans un chapitre du livre de Stéphane
Foucart, dont nous publions un large extrait ci-dessous, notre
journaliste décortique la façon dont ces firmes ont infiltré, financé et
instrumentalisé des organisations scientifiques ou associatives. Face à
eux, « la confrérie des insectes » est sur un chemin de crête. Ce
groupe de 70 scientifiques (biologistes, toxicologues, ornithologues,
entomologistes, spécialistes de conservation, etc.) d’une vingtaine de
nationalités regroupés au sein de la Task Force on Systemic Pesticides
tente, depuis dix ans, de mener une recherche totalement indépendante
des firmes, sur les causes réelles du déclin des insectes, des oiseaux
et du reste du vivant. Un projet mené en parallèle de leurs travaux
académiques, sur leur temps personnel et sur leurs propres deniers.
Voici l’extrait :
Un
jour, au mitan des années 2000, un biologiste néerlandais, Maarten
Bijleveld van Lexmond, réalise que le jardin de sa maison de
Notre-Dame-de-Londres, dans le sud de la France, est étrangement
dépeuplé. Que l’abondance et la diversité des insectes dans la campagne
alentour diminuent rapidement. « Ce constat me tracassait, quelque chose n’allait pas, raconte-t-il. Je
n’ai pas tout de suite pensé aux pesticides : moi, j’appartiens à
l’époque de Rachel Carson, celle du DDT et des autres pesticides
organochlorés, interdits dans les années 1980… » Dernier
cofondateur encore vivant de la branche néerlandaise du World Wildlife
Fund (WWF), Maarten Bijleveld van Lexmond pensait que les problèmes
majeurs posés par les phytosanitaires étaient derrière lui.
« Au printemps 2009, j’ai commencé à recevoir des courriers
d’entomologistes m’alertant sur le déclin catastrophique des insectes en
Europe, raconte-t-il. J’ai tout de suite mis en relation ces
alertes avec ce que j’observais autour de moi. C’est à ce moment-là que
j’ai compris qu’il fallait agir d’urgence. » Au cours de l’été, il
invite chez lui une douzaine de scientifiques français et suisses, de
plusieurs disciplines, tous également inquiets de la situation.
Ensemble, ils rédigent un bref texte – l’appel de Notre-Dame-de-Londres –
sous le titre : « Pas de nouveau printemps silencieux ! », en référence au titre de l’opus magnum de Rachel Carson.
Leurs soupçons se portent sur les nouvelles générations de pesticides
systémiques neurotoxiques, les néonics et le fipronil. Leur appel
restera largement confidentiel ; le public n’en entendra jamais parler.
Bien vite, Maarten Bijleveld van Lexmond reçoit le soutien de deux
scientifiques d’envergure : le Suisse Pierre Goeldlin de Tiefenau et le
Français François Ramade. Le premier est biologiste et entomologiste,
ancien professeur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne et à
l’université de Lausanne, directeur du Muséum d’histoire naturelle de la
même ville. Il est l’un des plus grands spécialistes européens des
syrphides – cette famille de mouches colorées dont les parures imitent
parfois celles des abeilles et des guêpes, et qui ont aujourd’hui
presque totalement disparu de nombreux paysages européens. Professeur
émérite à l’université Paris-Sud, le second est l’un des pères
fondateurs de l’écotoxicologie : sommité de l’étude des effets
environnementaux des pesticides, il a contribué à fonder ce domaine de
recherche, dès la fin des années 1950. En janvier 1977, Écotoxicologie,
son ouvrage séminal publié par l’éditeur scientifique Masson, a été le
premier titre ainsi intitulé au monde et la première synthèse des
travaux de cette discipline naissante.
Les trois scientifiques contactent d’autres chercheurs, biologistes,
toxicologues, ornithologues, entomologistes, spécialistes de
conservation, sollicitent leurs opinions, leurs observations et leurs
hypothèses sur la catastrophe qu’ils constatent de visu. Les trois
hommes grisonnants – tous nés avant la Seconde Guerre mondiale –
rencontrent à l’automne 2009 la direction générale de l’Union
internationale pour la conservation de la nature (UICN), la plus
vénérable et la plus célèbre des ONG de protection de la biodiversité,
pour lui faire part de leur inquiétude. Il n’en sortira pas grand-chose.
Mais autour des trois scientifiques vont peu à peu s’agréger d’autres
chercheurs de diverses nationalités, tous également inquiets de
l’effondrement manifeste des insectes, des oiseaux et du reste du
vivant.
Artisan des premières recherches sur le sujet, le chimiste et
toxicologue Jean-Marc Bonmatin, chercheur au CNRS, le vaisseau-amiral de
la recherche académique française, est invité par François Ramade à
participer aux premiers brainstormings. « La première réunion
formelle du groupe s’est tenue dans une petite salle de l’université
Paris-Sud en 2010. Nous n’étions alors qu’une dizaine et nous sommes
restés toute la journée à confronter toutes les causes susceptibles
d’expliquer le déclin accéléré des oiseaux et des insectes, raconte-t-il. Le
soir venu, toutes les hypothèses possibles avaient été discutées :
l’éclairage nocturne, le changement climatique, etc. Bien sûr, il n’y a
jamais une cause unique à des phénomènes aussi complexes, mais nous
cherchions celle qui domine toutes les autres et qui a un caractère
mondial. Parmi les pesticides, nous avons donc bien évidemment
privilégié les insecticides puisqu’ils sont faits pour tuer les
insectes. Puis parmi eux, nous avons cherché ceux qui étaient à la fois
les plus efficaces, les plus persistants et qui étaient utilisés avec le
plus d’acharnement. Nous sommes arrivés à ce consensus : la seule
hypothèse qui tenait la route était celle d’une responsabilité majeure
des néonics et/ou du fipronil. » Au fil des mois, de nouveaux
scientifiques rejoignent ce groupe informel et, parallèlement à leur
activité académique d’enseignement et de recherche, participent aux
discussions. Le groupe de travail sur les pesticides systémiques (TFSP,
pour Task Force on Systemic Pesticides) est né.
Moins d’une décennie plus tard, la TFSP rassemble quelque 70
scientifiques d’une vingtaine de nationalités et d’une grande variété de
disciplines, tous affiliés à des universités, des organismes publics de
recherche, membres de sociétés savantes, voire d’administrations
publiques. Ce qui est devenu au fil des ans un consortium scientifique
international est, aussi, une sorte de confrérie, voire une société
secrète. La liste des membres de la TFSP n’est pas publique et certains
veulent rester très discrets. « Il n’existe que deux personnes qui disposent de la liste complète de nos membres, témoigne un des fondateurs du groupe.
Nous savons tous que les scientifiques qui travaillent sur les
pesticides sont fréquemment attaqués, mis en cause dans leur intégrité
scientifique, fragilisés professionnellement ou font l’objet de
tentatives pour les dénigrer ou les influencer. Nous avons très tôt
voulu protéger les membres les plus jeunes ou les plus statutairement
fragiles, par exemple ceux qui ne disposent pas encore d’une position
académique qui les protège. »
Que faire, lorsqu’on est chercheur, pour alerter ? Comment agir ? La
réponse est évidente : étudier, rassembler les connaissances, écrire,
publier. Et faire tout cela selon les règles de la science. Au fil des
réunions, les membres du collectif se répartissent les tâches pour
synthétiser l’état du savoir sur les néonicotinoïdes et le fipronil.
Dans cette jungle touffue et inextricable qu’est la littérature savante,
débusquer toutes les données pertinentes, les mettre en cohérence et en
perspective, est un travail que seuls des hommes de l’art peuvent
accomplir.
Chaque étude est comme une pièce isolée d’un grand puzzle. Prise
isolément, elle ne dit pas grand-chose. Ce qu’entreprend la TFSP, c’est
retrouver toutes les pièces du puzzle et les assembler. Sans cette vue
d’ensemble, la somme importante de travaux scientifiques déjà disponible
à l’époque sur le sujet ne fait pas sens. « On s’est simplement dit que si nous ne le faisions pas, personne d’autre ne le ferait à notre place »,
raconte Jean-Marc Bonmatin. En 2011, la TFSP trouve auprès de la
fondation d’une banque néerlandaise – la Fondation Triodos – les maigres
financements nécessaires à son fonctionnement, au moins pour permettre
que les membres du collectif se réunissent une à deux fois l’an. « Tous
les collègues qui participent à la TFSP travaillent à ce projet sur
leur temps libre, le soir, les week-ends, la nuit parfois, explique Jean-Marc Bonmatin. La
plupart du temps, ils prennent eux-mêmes en charge les frais de
transport, même s’ils sont coûteux, en particulier pour nos collègues
asiatiques. La moindre des choses est que le collectif puisse prendre en
charge les frais d’hébergement et quelques repas. »
En 2012, la TFSP reçoit le soutien
institutionnel de l’UICN. Pour les membres du collectif, c’est un début
de reconnaissance de l’importance du travail entrepris : l’UICN, qui
tient la célèbre liste rouge des espèces menacées, est un peu à la
défense de la nature ce que les Nations unies sont à la diplomatie. Plus
d’un millier d’associations, des États, des agences gouvernementales
sont membres de cette organisation dont le travail fait autorité et
participe à l’orientation des politiques publiques de protection de la
nature dans de nombreux pays. Bien qu’indépendante de toute tutelle
formelle, la TFSP s’inscrit alors dans l’organigramme institutionnel de
la grande ONG internationale basée à Gland, en Suisse.
Et
le travail avance. Début 2014, six épais manuscrits sont prêts à être
publiés et une revue scientifique en accepte la publication. Tout le
savoir disponible sur les néonics y est rassemblé, à travers plusieurs
thèmes : usages, devenir dans l’environnement et voies d’exposition,
effets collatéraux sur les insectes non ciblés et sur les vertébrés,
risques pour le fonctionnement des écosystèmes, alternatives à leur
utilisation. Toute la connaissance disponible sur le sujet est réunie en
près de 200 pages bardées d’une bibliographie de près d’un millier
d’études. Le tout encadré d’une introduction et d’une conclusion signée
par trente scientifiques membres de la TFSP ne craignant pas d’être
exposés et qui ne font pas mystère de la gravité de la situation.
La publication de l’ensemble, dans un numéro spécial de la revue Environmental Science & Pollution Research,
aura un fort impact médiatique et scientifique. Et, signe que les
travaux de synthèse de la TFSP dérangent, leurs membres sont aussitôt
attaqués, dans la blogosphère, par des faux nez de l’industrie
agrochimique : le travail conduit par le consortium – qui n’est,
rappelons-le, qu’une synthèse – serait militant, biaisé, etc. Le Genetic
Literacy Project, un site Internet basé aux États-Unis et lié à
l’industrie agrochimique, leur a consacré pas moins d’une dizaine
d’articles entre 2014 et 2018, les qualifiant d’« activistes » pratiquant une « recherche corrompue »,
etc. Entre autres liens révélés par la presse américaine, le site a
participé à l’organisation, en 2014 et 2015, de sessions de
« formation » de journalistes et de scientifiques, financées à hauteur
de 300 000 dollars par Bayer, BASF DowDuPont et Monsanto. Le site compte
aussi parmi ses animateurs et ses contributeurs d’anciens consultants
rémunérés par les fabricants de cigarettes pour jeter le doute sur la
nocivité du tabac… En France aussi, l’opprobre sera jeté sur les membres
de la TFSP par des sites Internet tenus par des consultants de
l’agro-industrie, dont l’un intitule l’un de ses articles, paru quelques
mois après la publication des premières synthèses du groupe de
chercheurs : « Des chercheurs au service de l’UICN ? »
Les choses ne sont pas si simples. Car, entre le collectif et l’UICN, les liens se sont singulièrement distendus. « Vers
le début de l’année 2014, alors que nous mettons la dernière main à nos
manuscrits, nous apprenons que l’UICN est en pourparlers avec Syngenta,
dans l’objectif de conclure un partenariat », raconte Jean-Marc Bonmatin. Un partenariat qui s’accompagnerait de financements substantiels. « Parallèlement
à cela, l’UICN nous demande, puisque nous sommes censés être un groupe
de travail de l’organisation, la liste de nos membres, poursuit le chimiste français. Nous refusons aussitôt. »
Le groupe accepte que ses travaux soient endossés par l’UICN, mais la
TFSP entend rester totalement indépendante. Elle continue à publier des
synthèses de la littérature scientifique et protège toujours jalousement
l’anonymat de ses membres qui souhaitent rester discrets. Cette
discrétion est-elle vraiment utile ? Elle l’est indiscutablement. En
témoigne la révélation du « fichier Monsanto », en mai 2019 : ce fichier
de plusieurs centaines de personnalités françaises, établi à des fins
de lobbying par les communicants de Monsanto, comportait quelques noms
de scientifiques… dont celui du vice-président de la TFSP.
Le 8 novembre 1994, James Todd, président de l’American Medical
Association (AMA), prend sa plus belle plume. Le patron de la principale
société professionnelle de médecins américains, éditrice de l’une des
plus prestigieuses revues de recherche biomédicale – le Journal of the
American Medical Association (JAMA) –, écrit à tous les doyens des
facultés de médecine des États-Unis : il leur demande instamment de ne
plus accepter le moindre financement de l’industrie du tabac. Ni
directement ni par le biais des institutions créées par elle, comme le
Tobacco Institute (Institut du tabac), le Center for Tobacco Research
(Centre pour la recherche sur le tabac), le Smokeless Tobacco Research
Council (Conseil pour la recherche sur le tabac sans fumée) ou encore le
Center for Indoor Air Research (Centre pour la recherche sur l’air
intérieur). « D’abord, les fonds alloués aident les industriels à
convaincre les responsables politiques et le public qu’ils ont des
projets de recherche légitimes en cours, continuant à chercher des liens
entre la consommation de tabac et la santé, sous-entendant ainsi que la
question est toujours controversée, écrit James Todd. Ensuite,
l’industrie utilise ces fonds pour acheter le silence des universités
et des chercheurs, pour s’associer à de prestigieuses institutions et
s’offrir ainsi de la respectabilité. »
Ces mots semblent de simple bon sens aujourd’hui mais, au milieu des
années 1990, de nombreux projets de recherche sont encore financés par
les marchands de cigarettes. « La mission de la médecine et de la
recherche biomédicale légitime n’est jamais, selon nous, compatible avec
les objectifs de l’industrie du tabac, poursuit James Todd dans sa lettre. L’utilisation
de l’argent du tabac par les facultés de médecine, pour financer leur
recherche, compromet la confiance du public, construite depuis des
décennies. L’AMA enjoint fortement aux départements médicaux de cesser
d’accepter l’argent des cigarettiers et de leurs organisations. »
L’objectif des marchands de cigarettes est toujours, in fine, d’écouler
le plus de cigarettes possible ; leurs intérêts sont donc incompatibles
avec la défense de la santé publique. Ce raisonnement simple, porté par
James Todd en 1994, a été oublié. Car bien que l’objectif des marchands
de produits phytosanitaires soit également, in fine, d’écouler le plus
de pesticides possible dans l’environnement, il ne semble pas
problématique de chercher à capter leur manne, ni pour la recherche ni
même pour défendre la nature et la biodiversité.
Le 5 mars 2014, un courriel interne de l’UICN prévient plusieurs hauts
responsables de l’organisation qu’une réunion d’une journée et demie est
prévue, début avril, avec des cadres dirigeants de Syngenta, au
quartier général de la firme, à Bâle (Suisse). Aussi importante
soit-elle, l’UICN est en effet confrontée à un problème chronique de
financement et cherche des ressources pour continuer à fonctionner. Le
courriel interne fixe le cadre et l’objectif des discussions, dans cette
novlangue si caractéristique du management anglo-saxon. Il faudra « explorer des objectifs communs [à l’UICN et Syngenta] pour
aborder des éléments spécifiques des défis mondiaux en matière de
conservation de la nature, de sécurité alimentaire et de durabilité
agricole […], exprimer à quelle ambition et à quels objectifs
stratégiques communs il serait possible de parvenir […], identifier des
domaines de convergence et de divergence qui pourraient entraîner des
changements positifs et tangibles […], parvenir à une décision claire
quant à l’opportunité de s’engager dans des domaines spécifiques de
collaboration ». Une phrase surprend particulièrement : l’un des objectifs de la réunion de haut niveau, lit-on dans le courriel, sera de « créer [avec Syngenta] l’espace d’un dialogue constructif sur les domaines de désaccord ». La réunion n’aura finalement pas lieu, d’abord reportée de plusieurs semaines ; en définitive, aucun accord ne sera conclu.
Moratoire européen
Mais
le doute s’est instillé. D’autant que, début avril 2014, moins d’un
mois après que l’annonce d’une réunion de pourparlers avec Syngenta a
circulé à l’UICN, et alors que les discussions avec la firme
agrochimique sont toujours d’actualité, l’ONG diffuse un surprenant
communiqué de presse sur le déclin rapide des bourdons d’Europe. Ces
pollinisateurs sauvages importants, jadis omniprésents dans tous les
paysages européens, se font de plus en plus rares. Sur les 68 espèces
recensées sur le Vieux Continent, 30 sont en déclin et 12 sont menacées
d’extinction. A priori rien que de très banal. Mais plusieurs membres de
la TFSP se montrent très circonspects sur la tournure du communiqué. « Le
changement climatique, l’intensification de l’agriculture et les
changements dans l’utilisation des terres agricoles sont les menaces
principales auxquelles ces espèces sont confrontées », explique
celui-ci. Les pesticides ? Le terme n’apparaît qu’une seule fois dans le
texte diffusé par l’UICN, au cinquième paragraphe. Ce n’est d’ailleurs
pas dans la bouche d’un responsable de l’ONG que le mot apparaît, mais
dans une citation attribuée au Commissaire européen à l’environnement,
Janez Potoċnik, qui précise : « Le déclin des bourdons européens est
un problème qui doit être abordé sur tous les fronts. L’Union
européenne a interdit récemment l’usage de certains pesticides qui sont
dangereux pour les abeilles, et elle finance des recherches sur le
statut de conservation des pollinisateurs. »
Nous sommes au début de l’année 2014 : le moratoire européen sur
certains usages de trois néonicotinoïdes et du fipronil vient d’entrer
en vigueur. Pourtant, hors de la citation de M. Potoċnik, le communiqué
de l’ONG ne dit rien des nouveaux pesticides systémiques. L’essentiel de
l’effondrement des populations de bourdons est attribué au changement
climatique. En avril 2014, pourtant, des études incontournables,
publiées dans les plus grandes revues scientifiques, pointent déjà un
risque énorme des néonics pour les bourdons.
La fertilité des bourdons
Parue deux années auparavant dans la revue Science,
celle de Penelope Whitehorn indique qu’aux doses d’exposition
d’imidaclopride rencontrées dans l’environnement, la fertilité d’une
colonie de Bombus terrestris est réduite de 85 %. Publiée quelques
semaines plus tard, une autre étude britannique allait dans le même
sens. À l’automne 2012, le mastodonte de l’édition scientifique, la
revue britannique Nature, avait déjà publié un autre travail
expérimental indiquant que l’exposition chronique à un néonic et à un
autre insecticide courant, à des niveaux mimant là encore ceux
rencontrés dans les champs, « détériore le comportement de butinage, augmente la mortalité des bourdons, réduisant significativement le couvain [l’ensemble des larves] et le succès [c’est‑à-dire la probabilité de survie] de la colonie ».
Une autre étude publiée début 2014 montre, elle aussi, que les bourdons
exposés à des doses environnementales d’imidaclopride ramènent à la
colonie environ 30 % de pollen en moins, par comparaison avec les
insectes non exposés. Ce qui, selon les auteurs, offre une explication
plausible du mécanisme à l’œuvre dans l’affaiblissement des colonies de Bombus terrestris
causé par les néonics. Tous ces travaux, dont aucun spécialiste des
bourdons ne peut ignorer l’existence au printemps 2014, sont simplement
occultés par le communiqué.
Il y a plus surprenant encore. Le communiqué de l’UICN mentionne des
mesures à mettre en place pour favoriser ces pollinisateurs sauvages,
mais omet de mentionner toute restriction de pesticides comme levier
d’action. « Un certain nombre de mesures, notamment la mise en place
de bordures et de bandes tampons autour des terres agricoles riches en
fleurs et en espèces sauvages ainsi que la préservation des prairies
sont considérées comme des outils efficaces pour contrecarrer le déclin
rapide des espèces de bourdons, explique le communiqué de l’ONG. Elles
peuvent permettre aux abeilles de butiner et aider à maintenir des
populations stables de pollinisateurs, dont la survie est essentielle
pour la sécurité alimentaire européenne. »
D’abord, il est impossible de ne pas noter que cette stratégie est très
exactement celle portée par l’« Opération pollinisateur » de Syngenta,
visant à « favoriser les insectes pollinisateurs en fournissant des bandes de fleurs sauvages ».
Ensuite, elle défie toute forme de logique. Comment expliquer aux
pollinisateurs qu’ils doivent butiner ici, mais pas là-bas ? Et comment,
de toute façon, s’assurer que les fleurs sauvages, semées en bordures
de parcelles traitées, ne sont pas également contaminées par les
néonics, ainsi que plusieurs travaux l’ont montré ? L’UICN dément sans
surprise, avec force, toute forme d’influence sur sa communication. « Les
menaces listées pour les bourdons résument ce qui peut conduire à des
risques d’extinction au niveau européen, et n’ont pas pour vocation
d’être une description complète de toutes les menaces pesant à l’échelon
local sur les espèces en question, assure Ana Nieto, chargée de la conservation de la biodiversité européenne à l’UICN. De
fait, il faut noter que des espèces très répandues peuvent souvent
connaître des déclins sévères dans certaines zones, par exemple dus aux
pesticides, mais restent communes ailleurs. » Quant aux experts
extérieurs sollicités par l’ONG pour produire l’analyse, Ana Nieto
précise que deux d’entre eux appartiennent à une université –
l’université de Mons, en Belgique – ayant reçu 8 000 euros de
financement de firmes agrochimiques, dans les cinq années précédentes.
En définitive, Syngenta et l’UICN n’ont pas conclu d’accord de
partenariat – la publication, dans la presse, de l’existence des
pourparlers entre les deux organisations, au printemps 2014, n’y est
peut-être pas étrangère. Mais les firmes agrochimiques (et bien
d’autres) ont, de longue date, un pied dans la maison. En décembre 2013,
le World Business Council on Sustainable Development (WBCSD, Conseil
mondial des entreprises pour le développement durable) est devenu membre
à part entière de l’UICN. Le WBCSD n’est pas une association
environnementaliste à but non lucratif comme les autres : elle rassemble
de nombreuses entreprises multinationales, dont Syngenta, Bayer, BASF,
Dow (rebaptisée Corteva après son rapprochement avec DuPont) et même
Philip Morris – mais c’est une autre histoire.
Ce type de partenariat influe-t‑il sur l’UICN, son travail, la
définition de ses priorités, sa communication au public, ses
interactions avec les responsables politiques ? Et si oui, comment ? Ces
questions sont pour l’heure insolubles. Mais il est incontestable que
la question, majeure, des nouvelles générations de pesticides
systémiques ne fait pas partie des priorités de l’organisation – bien
que celle-ci s’en défende. Une recherche des termes « pesticides
systémiques » (« Systemic pesticides ») sur le moteur de recherche de
l’UICN renvoie à 15 pages ou documents et seulement à 4 contenant le mot
« néonicotinoïdes » (« neonicotinoids »). Il s’agit, essentiellement,
de documents relatifs aux travaux de la TFSP : hors de l’effort bénévole
d’une cinquantaine de scientifiques, l’UICN ne s’est pas mobilisée sur
le sujet. Par comparaison, une requête dans le moteur de recherche de
l’organisation sur la thématique de la « chasse » (« hunting ») fait
remonter 475 documents.
Des ONG courtisées par l’agrochimie
Au
moins une autre grande organisation non gouvernementale de défense de
la nature est aussi courtisée par l’agrochimie : The Nature Conservancy.
C’est l’une des plus grandes et anciennes organisations de protection
de la biodiversité aux États-Unis. Elle est liée depuis 2007 par un
partenariat avec Syngenta. Pour mener les projets (cartographie de
régions agricoles en Amérique du Sud, lutte contre la déforestation,
etc.) soutenus par la société suisse, The Nature Conservancy a touché au
total un financement d’environ 10 millions de dollars. Comment traiter,
dans cette situation, la question des néonics ? La réponse de
l’organisation environnementaliste est millimétrée : « Il est vrai
que les néonics ont été identifiés comme l’une des nombreuses causes du
déclin des pollinisateurs. Entre autres pour cette raison, nous pensons
qu’il est important de travailler à réduire radicalement la quantité de
pesticides utilisés dans l’environnement. S’engager aux côtés de
l’agribusiness pour changer la manière dont ils pensent le développement
de leurs produits phytosanitaires et leur utilisation est une manière
d’accomplir cela. »
Comme l’écrivait en 1994 James Todd, le président de l’American Medical
Association, aux doyens des facultés de médecine américaines, accepter
les financements d’entreprises dont l’objectif est en irrémédiable
contravention avec le vôtre est rarement une bonne idée. Les
responsables des organisations qui bénéficient de ces subsides ont
souvent le sentiment d’avoir dressé tous les garde-fous entre ces
financements et leur activité, mais l’histoire longue des relations
entre les cigarettiers et la recherche biomédicale américaine montre que
c’est impossible. Chaque dollar donné compte. Chaque financement finit
par peser. Dans le cas des néonics, le soutien financier apporté par les
firmes agrochimiques aux organisations de défense de l’environnement,
ou aux associations professionnelles, aux sociétés savantes a d’abord
pour objectif l’invisibilisation des problèmes posés par les néonics. Il
n’est pas nécessairement question de nier l’existence de ces problèmes,
il suffit de ne pas trop en parler.
Cautions académiques
Les
firmes sont ainsi, plus que jamais, à la recherche de cautions
académiques. Au printemps 2019, dans une offensive médiatique pour
présenter sa société comme sincèrement inquiète de la disparition des
insectes et même susceptible de fournir des solutions au problème, Erik
Fyrwald, le patron de Syngenta, a invité Louise Fresco – présidente de
l’université de Wägeningen, l’une des plus prestigieuses universités des
Pays-Bas, et ancienne sous-directrice de la FAO – à rejoindre le
conseil de surveillance de l’entreprise. Celle-ci a accepté. Elle a
expliqué son choix à Het Financieele Dagblad, dans un entretien croisé avec Erik Fyrwald. « J’y ai réfléchi longtemps, a-t‑elle expliqué au quotidien. Ce
serait mal si je n’osais pas travailler avec le secteur privé. Les
entreprises ont besoin de scientifiques indépendants et j’ai montré que
je le suis. » Comme Dennis vanEngelsdorp avec Monsanto, Louise
Fresco entend faire évoluer Syngenta par sa présence dans son conseil de
surveillance. Changer le système de l’intérieur, entrer dans la machine
pour en modifier subtilement les rouages.
Combien de scientifiques rejoignent les
rangs de l’industrie avec cet espoir ou ce prétexte ? Alors même que
c’est presque toujours la machine qui finit par les infléchir, sans
qu’eux-mêmes le réalisent. Comment penser qu’un scientifique, même
éclairé et charismatique, pourrait par son seul verbe modifier la marche
d’une entreprise de 28 000 salariés implantée dans 90 pays, pesant
quelque 13 milliards de dollars de chiffre d’affaires et soumise à
l’impérieuse exigence de rentabilité de ses actionnaires ?
Sans
probablement en être consciente, Louise Fresco montre au contraire,
tout au long de l’entretien accordé au quotidien néerlandais, que son
discours est en parfaite cohérence avec celui l’agrochimiste.
L’interdiction de trois néonicotinoïdes en Europe ? Un choix « politique », répond-elle. Devant elle, Erik Fyrwald assure que « Syngenta
est très préoccupée par le bien-être des insectes pollinisateurs comme
les abeilles ». « Nous avons une importante activité de sélection de
semences qui dépendent des pollinisateurs, ajoute-t‑il. Donc,
bien sûr, nous ne faisons rien de préjudiciable pour notre propre
division des semences et pour nos agriculteurs. Je ne connais aucune
recherche qui prouve que les abeilles ou les oiseaux meurent des
néonicotinoïdes. » Scientifique, spécialiste de développement
durable, Louise Fresco ne peut ignorer que des centaines d’études
démentent la déclaration du patron de Syngenta. Mais, devant les deux
journalistes de Het Financieele Dagblad qui recueillent leurs propos, elle ne
le contredira pas.
le contredira pas.
Il est difficile d’imaginer l’ampleur de l’influence des firmes
agrochimiques sur la production des connaissances sur le déclin des
insectes, sur la diffusion de cette connaissance aux parties prenantes
et au public. Non seulement en s’associant à des organisations de
défense de la nature, mais aussi en étant présent au cœur de la plus
haute instance d’expertise mondiale sur la biodiversité, l’IPBES, créée
en 2012 sous l’égide des Nations unies pour être à l’organe d’expertise
de référence sur les stratégies de préservation de la diversité du
vivant. En d’autres termes, l’IPBES doit remplir un rôle analogue à
celui du GIEC : un rôle crucial puisque ces rapports forment le socle
des politiques publiques menées dans de nombreux pays pour préserver la
biodiversité.
Entrisme
Le
galop d’essai de l’organisme, son tout premier rapport d’expertise,
concernait précisément les pollinisateurs. Or une brève correspondance
de trois chercheurs, adressée à la revue Nature et publiée à
l’hiver 2014, donne toute la mesure de l’entrisme des firmes
agrochimiques. Le biologiste Axel Hochkirch, professeur à l’université
de Trèves, en Allemagne, et deux autres chercheurs interpellent la
direction générale de l’IPBES, notant que « deux représentants de l’industrie agrochimique sont parmi les auteurs du rapport sur la pollinisation de l’IPBES ». Le fait est à peine croyable. « Étant
donné le rôle de l’agrochimie dans le déclin des pollinisateurs, il
nous semble que des scientifiques financés par des entreprises de ce
secteur ne devraient pas être auteurs principaux ou auteurs
coordinateurs de chapitres dans un tel rapport d’évaluation »,
précisent-ils, avec sans doute le curieux sentiment de devoir enfoncer
des enfilades de portes ouvertes. C’est un peu comme si des salariés
d’ExxonMobil ou de Peabody avaient été conviés à corédiger certains
chapitres des rapports du GIEC, ou comme si des rapports de
l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avaient été pris en charge par
Philip Morris ou British American Tobacco.
Dans les mêmes colonnes, le secrétariat de l’IPBES répond quelques semaines plus tard que « les scientifiques des sociétés agrochimiques [en question] ont été sélectionnés sur leur capacité, comme scientifiques indépendants, à apporter une contribution objective ». Le premier de ces « scientifiques indépendants »
est connu du lecteur : il s’agit de Helen Thompson, alors tout juste
recrutée par Syngenta. Celle-ci a été « autrice principale » (« lead
author ») du chapitre II du rapport de l’IPBES sur les pollinisateurs –
le chapitre, stratégique, consacré aux causes de leur déclin –, au côté
de six autres « auteurs principaux ». Or, parmi eux, aucun spécialiste
des effets des pesticides sur les abeilles et les pollinisateurs… Quant
au second représentant de l’industrie, Christian Maus, il a servi comme
« auteur principal » du premier chapitre du rapport (« Contexte sur les
pollinisateurs, la pollinisation et la production alimentaire »), et
« auteur contributeur » du sixième (« Risques et opportunités associés
aux pollinisateurs et à la pollinisation »).
La protestation d’Axel Hochkirch et ses
coauteurs n’a pas changé la donne et le rapport a été rendu, deux années
plus tard, avec les deux scientifiques de l’industrie figurant dans le
groupe d’experts. Mais de vives protestations se font entendre quelques
semaines avant la réunion plénière de février 2016, au cours de laquelle
les États membres de l’IPBES doivent adopter le rapport, enfin
finalisé, sur les pollinisateurs. En définitive, il serait inexact de
prétendre que le rapport a fait l’impasse sur les néonics : passé entre
de nombreuses mains, revu, commenté et amendé par des chercheurs de la
communauté compétente, le texte cite largement les effets délétères des
nouveaux pesticides systémiques. Mais cela ne dit rien de ce qu’aurait
été le texte si sa première version avait été rédigée dans des
conditions libres de tout conflit d’intérêts.
L’ampleur
de l’influence des firmes sur les organismes de recherche ou
d’expertise, nationaux ou internationaux, voire sur les grandes ONG de
conservation de la nature, donne toute sa valeur à la TFSP. En
juillet 2019, exactement une décennie après la réunion, dans sa maison
de Notre-Dame-de-Londres, qui allait donner naissance au groupe, Maarten
Bijleveld van Lexmond le dit avec une fierté dont on peut désormais
saisir tout le sens : « Tout ce temps, la TFSP a fourni en toute
indépendance, via ses publications et une dizaine de symposiums
organisés partout dans le monde, les arguments scientifiques nécessaires
pour agir. Et pendant tout ce temps, nous n’avons jamais accepté de
fonds provenant directement ou indirectement de l’industrie : nous
sommes restés libres. »
« Et le monde devint silencieux »
Tel est le titre d’un ouvrage publié conjointement par le Seuil et Le Monde, jeudi
29 août. Sous-titré « Comment l’agrochimie a détruit les insectes », il
prolonge les enquêtes que nous avons publiées sur l’impact des
insecticides néonicotinoïdes sur les insectes non cibles, notamment les
pollinisateurs. Depuis leur introduction, dans les années 1990, les
trois quarts de la quantité d’insectes volants ont disparu des campagnes
d’Europe occidentale. Le livre décrit la façon dont l’industrie des
phytosanitaires s’est employée à faire douter de l’impact collatéral de
ses produits sur les insectes non ciblés. On voit à l’œuvre les
stratégies inspirées de l’« ingénierie du doute » développée par
l’industrie du tabac dans les années 1950 et reprise depuis par les
officines climatosceptiques. Mais on y découvre aussi des scientifiques
indépendants qui, depuis une décennie, avec des moyens dérisoires,
documentent et alertent sur la catastrophe en cours.
« Et le monde devint silencieux », de Stéphane Foucart (Seuil-Le Monde, 338 p., 20 €).
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