Actu-environnement : Volkswagen aurait équipé certains de ses modèles diesel produits aux Etats-Unis de dispositif anti pollution ne s'activant que lors des phases de tests de pollution. Comment expliquer que le constructeur allemand puisse mettre en place un tel logiciel ?
Julia Hildermeier : Le problème
n'est pas nouveau, depuis des années les constructeurs - et pas
seulement Volkswagen - trichent lors des tests d'homologation.
Le cycle de l'examen est normé et
facilement repérable par des algorithmes : il n'est pas étonnant qu'un
logiciel puisse détecter lorsque la voiture est en cours d'examen. De
plus, ce dispositif n'est pas la seule manière pour optimiser les
valeurs d'émissions mesurées sur une voiture. Depuis quelques années, la
différence entre les valeurs officielles et les émissions réelles a
fortement augmenté : cela suggère que les constructeurs ont appris à
mieux contourner ces tests en laboratoire.
AE : Quel est l'intérêt pour les constructeurs d'utiliser ces dispositifs anti-pollution uniquement lors des phases de test ?
JH : Les constructeurs ont
intérêt à ce que les voitures durant les tests d'homologation aient des
valeurs d'émissions les plus basses possibles. Ce type d'examen - et
c'est pourquoi cette histoire est aussi importante - est en Europe à la
base de réglementations sur les émissions des voitures. Par exemple, la
norme Euro 6 limitant les oxydes d'azote (NOx) est entrée en vigueur
depuis le 1er septembre 2015 pour tous les véhicules. Toutes les marques
automobiles qui vendent des véhicules diesel ne respectent pas les
limites d'émissions de polluants atmosphériques NOx en Europe : selon
nos travaux, seulement un véhicule testé sur dix est conforme à la
limite légale de cette norme. Des études de la Commission européenne
montrent par ailleurs que les voitures diesel dépassent d'environ 7 fois
les limites NOx. L'Europe est en train de réformer la procédure
utilisée pour tester les émissions des véhicules dans les conditions
réelles de conduite. Malheureusement, la nouvelle version ne répondra
toujours qu'à une partie des problèmes et des manières de frauder des
constructeurs.
AE : Les constructeurs semblent
déployer des technologies sophistiquées pour contourner les tests.
Sont-ils si difficiles à respecter ?
JH : Il est tout à fait possible
pour un constructeur de respecter les normes environnementales
actuelles. L'écart persistant entre les émissions officielles et réelles
des véhicules diesel s'explique par l'utilisation, par les
constructeurs, de systèmes de traitement des gaz d'échappement bon
marché, moins efficaces pour les voitures vendues en Europe, où les
procédures de test sont inefficaces. La différence de coût entre les
logiciels utilisés pour tricher et les technologies permettant de
respecter les normes est de 300 à 500 euros par véhicule. Ce n'est donc
pas une question de technologie.
AE : Volkswagen a annoncé avoir vendu onze millions de ce type de véhicules « optimisés » dans le monde : la fraude a pu être étendue au niveau européen ?
JH : Il est bien possible que ce
type de logiciel ait été utilisé dans les tests européens, puisque la
moitié des voitures vendues en Europe sont des diesels. Il est donc
également fort probable que des voitures vendues en Europe dépassent les
valeurs d'émissions mesurées en situation réelle du fait de la
tricherie de différents constructeurs.
AE : Quelles différences y-a-t-il entre les réglementations européennes et américaines et quelles sont leurs conséquences ?
JH : La duperie de Volkswagen a
pu être découverte aux États-Unis parce que les examens sont beaucoup
plus strictement appliqués par rapport à ceux réalisés de l'autre côté
de l'Atlantique. En Europe, les agences d'homologation sont les clients
des constructeurs : ces derniers peuvent payer un laboratoire pour
conduire cet examen. Nous aurions besoin en Europe de deux garanties :
tout d'abord, d'une procédure d'examen indépendante sous surveillance
européenne et non économiquement liée aux constructeurs. Ensuite, nous
devrions pouvoir assurer la conformité des voitures produites, aux
valeurs testées dans le laboratoire. Ces deux conditions sont déjà
déployées aux États-Unis, c'est pour cela que le gouvernement américain a
été capable de détecter le contournement des tests. Il faut réagir vite
au niveau européen et réaliser comme le propose Michel Sapin une
enquête à l'échelle européenne. La fraude de Volkswagen n'est que la
partie émergée de l'iceberg.