Christophe de Margerie, je n'ai pas le plaisir de vous connaître. En tant que PDG de Total, vous évoluez dans un milieu, le pétrole, qui n'est pas le mien. Mais vous n'en influencez pas moins ma vie de tous les jours et celle de millions de gens en France et dans le monde. Vous polluez les rues des villes où je respire, vous empoisonnez les côtes de l'Atlantique où j'aime vagabonder. Vous soutenez des régimes, en Birmanie ou en République du Congo, que je combats. Bref, nos chemins se croisent mais pas pour le meilleur.
Alors qu'une scandaleuse décision de la Cour de cassation pourrait annuler votre condamnation, les habitants des côtes de Bretagne et de Vendée sont encore sous le choc provoqué par la marée noire de l'Erika
le 12 décembre 1999 : des dizaines de milliers d'oiseaux mazoutés, des
plages souillées, le tourisme décrédibilisé, des milliards de dégâts.
Elle laisse une population encore traumatisée par ce qu'elle considère, à
juste titre, comme une agression contre son territoire et son identité. L'Erika
n'est pas un accident. De l'affréteur au donneur d'ordres, de
l'armateur au bureau de recrutement, tous sont responsables et
coupables... Y compris vous. La moitié de la flotte internationale, tous
transports confondus, navigue sous pavillon de complaisance du Panama, de Malte, des Bahamas, du Liberia ou de Chypre.
C'est la chaîne de la souffrance humaine où des marins venant de pays
surexploités sont asservis dans des bateaux rouillés qui vont dégazer
et s'échouer sur nos côtes. Ces crimes ne vous empêchent pas, bien au
contraire, de continuer à vous enrichir.
Les Français savent que Total affiche chaque année les plus gros
profits jamais réalisés par une entreprise française. Le bénéfice
atteint, pour 2011, plus de 12 milliards d'euros.
Dans le même temps, Total payera seulement 300 millions d'euros
d'impôts sur les sociétés en France, soit à peine 2,4 % de ses bénéfices
! En 2011, le groupe n'avait pas payé d'impôts sur les sociétés, car ses activités françaises étaient "déficitaires" ! Pourtant, vous n'hésitez pas à licencier
vos salariés sacrifiés comme à la raffinerie de Dunkerque ou à vous
dégager de vos responsabilités dans des accidents industriels, comme
celui d'AZF à Toulouse en 2001.
Les prix flambent, les profits aussi, mais les peuples trinquent. Mais vous vous obstinez à continuer dans cette voie sans issue jusqu'à la dernière goutte de pétrole. Aujourd'hui vous n'arrivez pas à stopper la fuite de gaz sur la plate-forme Elgin, en mer du Nord. Au Canada, mais aussi au Venezuela et à Madagascar, Total investit dans la manière la plus chère et la plus sale de produire du pétrole : les sables bitumineux. Au Canada, l'exploitation des sables bitumineux a déjà détruit 3 000 km² de forêts.
Mais vous n'êtes pas seulement redevable de comptes sur vos crimes
environnementaux. Vous êtes poursuivi pour complicité d'abus de biens
sociaux, corruption et complicité et recel de trafic d'influence, pour
corruption d'agents publics étrangers en Irak, en Iran ou au Cameroun.
La première entreprise de France est devenue une arme de corruption
massive. La corruption est intrinsèque à l'exploitation du pétrole
depuis la naissance de cette industrie.
Pratiques douteuses
Les commissions occultes, les pots-de-vin au grand jour, le financement politique sont des spécialités qui ont permis de structurer une industrie qui repose sur le pillage des matières premières et les échanges inégaux avec des Etats du Sud. Au lieu d'investir dans la recherche des énergies renouvelables, vous avez gaspillé votre temps et votre énergie à garder
et à conquérir des parts de marché et des zones de forage partout dans
le monde, au mépris de la vie des peuples concernés. Je m'intéresse à
Total depuis longtemps. Dans une autre vie, le procès de Roland Dumas et d'Alfred Sirven m'avait instruite sur les pratiques du groupe pétrolier Elf, qui a été absorbé depuis par votre groupe.
Face à vos pratiques douteuses, noires comme la couleur de votre pétrole, nous devons en finir avec l'impunité des entreprises de criminels en col blanc. Il faut en France créer un pôle environnemental au sein de la justice, chargé de regrouper
l'ensemble des affaires concernant les entreprises qui commettent des
délits et des crimes écologiques. Nous devons aussi créer une
organisation mondiale de l'environnement, dotée d'un pouvoir de sanction, et instaurer,
au sein de la Cour pénale internationale, une section jugeant les
crimes écologiques pour réprimer le type de délinquance dont vous vous
rendez coupable.
Vous ne pouvez continuer
à bénéficier de l'impunité totale. Le seul principe que vous appliquez
dans la réalité, c'est le principe de complaisance qui consiste à masquer
sa responsabilité derrière une irresponsabilité fabriquée de toutes
pièces et garantie par l'Etat. Je vous oppose les principes de
responsabilité et de précaution. Un mot nous sépare : l'éthique. Mais ce
seul mot crée un fossé entre votre monde, celui d'un Madoff planétaire
de l'environnement, et le mien.
Une humanité en proie à l'explosion démographique et qui - tels ces vers de farine qui s'empoisonnent à distance dans le sac qui les enferme bien avant que la nourriture commence à leur manquer - se mettrait à se haïr elle-même parce qu'une prescience secrète l'avertit qu'elle devient trop nombreuse pour que chacun de ses membres puisse librement jouir de ces biens essentiels que sont l'espace libre, l'eau pure, l'air non pollué.
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