lundi 13 février 2023

El Niño : un retour qui inquiète

 Après trois ans d'accalmie, l'enfant terrible du climat pourrait revenir avec plus de force cette année. Les prévisionnistes anticipent de nouveaux records de chaleur sur la planète.

Faites le plein d'éventails : El Niño est de retour. Après trois ans d'absence, cette anomalie météorologique s'apprête à souffler les températures les plus élevées enregistrées sur Terre depuis l'ère préindustrielle, anticipent les prévisionnistes du Met Office britannique. « La température moyenne mondiale pour 2023 devrait se situer entre 1,08 °C et 1,32 °C (avec une estimation centrale de 1,20 °C) au-dessus de la moyenne observée depuis un siècle », rapporte Nick Dunstone, qui a dirigé cette étude notée avec un degré de certitude de 66 %. Si ces prévisions se confirment, les catastrophes climatiques pourraient connaître leur apogée avec notamment « des vagues de chaleur sans précédent ».

El Niño et sa petite soeur froide La Niña, identifiés en 1924 par le britannique Gilbert Walker sous le nom de « Southern Oscillation » (ENSO), constituent le phénomène climatique le plus énergétique de la planète. Ils sont liés au déplacement des masses océaniques du Pacifique tropical. Ses eaux chaudes sont habituellement contenues à l'ouest par les alizés. Quand ces vents faiblissent, elles s'écoulent vers l'est, amorçant la phase chaude d'ENSO, El Niño, qui perturbe le climat sur une grande partie du globe : sécheresse en Afrique australe et en Indonésie, inondations et écroulement de la biodiversité marine en Amérique latine, vagues de froid en Europe…

Conjugué au Gulf Stream

A l'inverse, La Niña apparaît quand les alizés se durcissent dans le Pacifique et provoque la remontée d'eaux profondes, plus froides. Elle tempère la météo terrestre. Sans qu'on sache vraiment pourquoi, l'un et l'autre de ces phénomènes se déclenchent de façon irrégulière tous les deux à sept ans. Il y a eu 17 épisodes, modérés à forts, de La Niña au cours du XXe siècle, et 25 de même envergure d'El Niño.

Le retour d'El Niño tombe au plus mauvais moment car les scientifiques craignent qu'il se conjugue avec le ralentissement brutal du Gulf Stream, un des principaux moteurs de régulation climatique. Une étude du Potsdam Institute for Climate Impact Research, publiée en 2021, s'est alarmée du possible effondrement de ce système. Pour étayer leur hypothèse, les chercheurs ont modélisé l'évolution de ce tapis roulant océanique depuis l'an 400 en utilisant des indicateurs des climats passés emprisonnés dans les sédiments. Selon leurs calculs, ce courant serait à son niveau le plus faible depuis 1.600 ans.

Seuil critique

« Nos résultats confortent l'hypothèse que le déclin de l'AMOC ('Atlantic meridional overturning circulation') n'est pas juste une fluctuation ou une réponse linéaire à l'augmentation des températures, mais signifie plutôt que l'on s'approche d'un seuil critique après lequel le système de circulation de l'eau peut s'effondrer », estime Stefan Rahmstorf qui a dirigé cette étude. S'il est inquiet, c'est que le Gulf Stream transporte chaque seconde des milliards de mètres cubes d'eau chaude des Antilles vers l'Arctique, où elle se densifie en refroidissant et plonge dans les profondeurs pour ressortir dans l'Atlantique Sud.

Ce phénomène est vital à l'équilibre planétaire car il permet de répartir la chaleur reçue du Soleil sur l'ensemble des latitudes. « Son impact sur d'autres grands mécanismes climatiques comme ENSO est plus que probable », jauge l'Organisation météorologique mondiale dans sa dernière publication.

Emballement diabolique

Ce dérèglement est sans doute le fruit d'un emballement diabolique. Avec le réchauffement planétaire, la fonte des grands glaciers s'accélère. « L'apport d'eau douce du Groenland et la hausse des précipitations dans cette région diluent l'eau de mer et grippent le système », explique Stefan Rahmstorf. En analysant des carottes sédimentaires collectées dans le golfe de Guinée, une équipe de paléoclimatologues a pu reconstituer un épisode similaire qui s'est produit sur terre il y a 125.000 ans. « La cascade d'effets que nous avons mis en lumière augure le pire », prévient Syee Weldeab, la principale auteure de cette étude parue dans « PNAS ».

Comme aujourd'hui, la fonte du Groenland a réduit la salinité océanique. Le Gulf Stream s'est alors ralenti, réduisant l'apport d'eau froide dans le circuit et provoquant la hausse des températures de fond, de presque 7 °C selon le calcul des chercheurs. A son tour, ce réchauffement aurait provoqué la fonte des hydrates de méthane gelés sous les sédiments marins, libérant dans l'atmosphère ce puissant gaz à effet de serre qui empêche l'évacuation du trop-plein de chaleur terrestre vers l'espace.

Records de chaleur

La radicalisation de l'oscillation ENSO trouverait là sa source, selon plusieurs experts du climat qui pointent son atypisme. « La Niña est censée refroidir la Terre mais sa mécanique s'apparente de plus en plus à celle de son grand frère, en provoquant des dépressions et des surchauffes là où on ne les attend pas », explique le professeur Adam Scaife, responsable des prévisions à long terme au Met Office. Ces dix dernières années, les températures générées par ENSO ont été d'au moins 1 °C supérieures aux niveaux préindustriels, observent ses équipes. « Ce changement conduira probablement à ce que la température mondiale en 2023 soit plus chaude qu'en 2022 », estiment-elles.

Le précédent record de chaleur avait été établi en 2016, au plus fort du dernier épisode de El Niño. Avec son retour, les prévisionnistes les plus pessimistes évoquent la possibilité de voir dépasser l'objectif de l'Accord de Paris de maintien du réchauffement à un niveau inférieur à 1,5 °C. Les conséquences pourraient être dévastatrices : assèchement de la forêt amazonienne, fournaise en Australie et aux Etats-Unis, hiver plus intense au nord de l'Europe, déluges au Sud, accélération des émissions de méthane…

Dans un rapport publié en octobre dernier, l'Organisation météorologique mondiale dévoilait que la concentration dans l'atmosphère de ce gaz au pouvoir de réchauffement 80 fois supérieur à celui du CO2 a atteint un record en 2021. « Ça n'est pas le dernier », préviennent les experts.

15 millions de personnes menacées par la fonte des glaciersLa moitié des glaciers de la planète auront disparu en 2100 en raison du réchauffement climatique, mais ils font d'ores et déjà peser de lourdes menaces sur les populations vivant à proximité. Une étude parue dans « Nature Communications » le 7 février indique qu'au moins 15 millions de personnes dans le monde pourraient être menacées par cette désintégration à cause du débordement des lacs glaciaires qu'ils forment à leur base. « Leur rupture pourrait provoquer des milliers de morts », explique la principale auteure de l'étude, Caroline Taylor, doctorante à l'Université britannique de Newcastle. Ces lacs, souvent endigués par la glace elle-même, sont particulièrement instables. Selon l'étude portant sur plus d'un millier de bassins lacustres glaciaires, leur débordement pourrait emprunter une voie située à moins de 1 kilomètre des habitats. Quatre régions du monde sont particulièrement menacées par ce risque, qui se situent en Inde, en Chine, au Pérou et au Pakistan. Dans ce dernier pays, qui compte 7.000 glaciers dans les chaînes de montagnes de l'Himalaya, des inondations dévastatrices ont affecté plus de 33 millions de personnes dans leur ligne d'évacuation l'été dernier.

En chiffres 

60millions : le nombre de personnes impactées en 2016 par le dernier épisode violent de El Niño.

1.889 ppb (parties par milliard) : la concentration actuelle en méthane, le plus puisant gaz à effet de serre. L'OMM note qu'il s'agit d'un record depuis 800.000 ans. Elle a été multipliée par 2,6 depuis le début de l'époque industrielle.

4,72millions de km2 : le 12e plus bas niveau d'étendue de la banquise depuis 43 ans. Depuis les années 1990, cette superficie se réduit chaque décennie de 1 million de kilomètres carrés. La masse de glace de la calotte du Groenland équivaut à une hausse du niveau de la mer de 7 mètres.

54,4 °C : la température enregistrée dans la Vallée de la Mort, en Californie, le 9 juillet 2021. Les 50 degrés ont été dépassés un peu partout dans le monde.

+1,8°C : la hausse des températures en France depuis les années 1990. Elle est de +1,1 °C au niveau mondial.

140millions de m3/s : le débit du Gulf Stream à la fin de son parcours sur les Bancs de Terre-Neuve. C'est 400 fois le débit de l'AmazoneLa moitié des glaciers de la planète auront disparu en 2100 en raison du réchauffement climatique, mais ils font d'ores et déjà peser de lourdes menaces sur les populations vivant à proximité. Une étude parue dans « Nature Communications » le 7 février indique qu'au moins 15 millions de personnes dans le monde pourraient être menacées par cette désintégration à cause du débordement des lacs glaciaires qu'ils forment à leur base. « Leur rupture pourrait provoquer des milliers de morts », explique la principale auteure de l'étude, Caroline Taylor, doctorante à l'Université britannique de Newcastle. Ces lacs, souvent endigués par la glace elle-même, sont particulièrement instables. Selon l'étude portant sur plus d'un millier de bassins lacustres glaciaires, leur débordement pourrait emprunter une voie située à moins de 1 kilomètre des habitats. Quatre régions du monde sont particulièrement menacées par ce risque, qui se situent en Inde, en Chine, au Pérou et au Pakistan. Dans ce dernier pays, qui compte 7.000 glaciers dans les chaînes de montagnes de l'Himalaya, des inondations dévastatrices ont affecté plus de 33 millions de personnes dans leur ligne d'évacuation l'été dernier.

jeudi 2 février 2023

La sécheresse, au cœur des inquiétudes des acteurs de l’eau, les bassines ne sont pas la solution

C’est dans un contexte climatique inquiétant, marqué par la

sécheresse historique de l’été dernier, que les acteurs de l’eau

se sont réunis les 25 et 26 janvier, à Rennes, pour la 24e édition

du Carrefour des gestions locales de l’eau (CGLE). Retour sur

quelques interventions clé.

2022 sera sûrement un tournant. L’ensemble du territoire

national est désormais touché par la sécheresse, et pas

seulement le Sud. Selon Christophe Bechu, ministre de la

Transition écologique, « 700 communes ont connu des

difficultés d’approvisionnement en eau potable » cet été. Un

« Plan eau », qui devait être annoncé au Carrefour des gestions

locales de l’eau (CGLE), est attendu dans les prochaines

semaines pour répondre à ce défi.

Tous les territoires sont impactés

Plusieurs collectivités ont détaillé comment leur territoire a été

impacté comme jamais par la sécheresse. C’est le cas par

exemple de Chartres métropole, situé dans un territoire

d’irrigation importante avec des problèmes de qualité d’eau

(pesticides, nitrates). Les prévisions pour 2023 ne sont pas

bonnes. « La nappe de la Craie est très basse sans recharge à

ce jour », s’inquiète François Bordeau, directeur du cycle de

l’eau.

Ce n’est pas mieux dans la Manche, où les parapluies de

Cherbourg semblent être rangés au placard. « Les niveaux de la

nappe à ce jour n’ont jamais été aussi bas pour la saison. Cette

crise hydrique est exceptionnelle et l’été 2023 s’annonce

difficile », s’inquiète Bernard Auric, directeur du syndicat

départemental SDeau50.

Devant cette situation, Rennes métropole, ainsi que Eau du

bassin Rennais (EBR) qui distribue l’eau potable, ont fait appel

à un doctorant pour modéliser et prédire les disponibilités en

eau de leur principale ressource, le barrage de la Chèze (8 à 15

millions de m3).

Prédictions inquiétantes

« Avec la hausse de la température et de l’évapotranspiration (+

10 %), associée à la baisse des précipitations, le barrage a du

mal à se remplir. Le changement climatique est perceptible »,

introduit Ronan Abhervé, doctorant. Pour simuler l’évolution de

la ressource dans le temps, il s’est appuyé sur les données du

Giec. Dans le cas du scénario RCP8.5, dit « Business as

usual », c’est-à-dire si on ne change rien, le modèle prévoit que

6 à 9 années sur 20 seront des années de sécheresse, entre

2020 et 2040, avec des répétitions de 2 à 3 années possibles

de sécheresse de suite. Le phénomène s’accélère encore audelà

de cette date. Les projections sur le barrage montrent une

diminution des volumes d’eau disponibles à partir de 2020. Le

barrage pourrait être vide à partir de 2032 ! « C’est une forme

de sidération. Ces résultats sont très inquiétants. Le barrage se

recharge de moins en moins », constate Ludovic Brossard, viceprésident

d’EBR.

Défi pour l’assainissement collectif

Côté assainissement, les étiages de plus en plus sévères

impliquent une sensibilité accrue à la dilution. « C’est un point

important quand on construit une nouvelle station d’épuration.

Les données sur lesquelles nous travaillons doivent être

complétement revues au vu de cette étude. Le calcul de la

dilution sera parfois impossible, car il n’y aura plus d’eau dans

les rivières. Ce sont des questions qu’on ne se posait pas

jusqu’à présent. Il va falloir être créatif ! », affirme Boris

Gueguen, directeur de la régie d’assainissement de Rennes

métropole. Jusqu’où faudra-t-il innover ? L’assainissement

collectif dans sa forme actuelle est-il durable ? C’est l’une des

questions qui a émergé de la salle.

Une approche globale indispensable

EBR va sortir son prochain schéma directeur sur l’eau en

février. « Il faut déterminer de quel pourcentage il faut réduire

notre consommation d’eau », expose Stéphane Louaisil,

responsable du pôle production, énergie, qualité de l’eau à

EBR. La poursuite des économies d’eau est importante, mais il

faudra également agir sur le prix de l’eau et la reconquête de la

qualité de l’eau. Car le problème de la quantité est aussi lié à

celui de la qualité de l’eau. Ainsi, le barrage a pu à nouveau être

alimenté par une rivière, qui a retrouvé une qualité suffisante

suite à une diminution des pesticides. Le changement

climatique nécessite une approche globale. « La sobriété

implique des choix de société. Nous militons par exemple pour

que des appareils hydro-économes soient systématiquement

installés dans tous les logements neufs. Il y a un gros travail

politique à faire », estime Ludovic Brossard.

Les fleuristes, victimes ignorées des pesticides : « Si l’on m’avait mise en garde, ma fille serait encore là »

  Dès 2017, des tests menés par  60 millions de consommateurs  sur des roses commercialisées par dix grandes enseignes en France révélaient ...