La réforme des retraites : quelques éléments de réflexion sur les arguments pro-réforme avancés.
On nous dit :
- "Il y a de moins en moins d'actifs par retraités, il faut en conséquence allonger l'âge de la retraite" :
Effectivement, en 1960, il y avait 4 actifs pour un retraité. En 2019, il n'y a plus qu'1,7 actif pour un retraité. Mais dans le même temps, un actif en 2017 produit 3,4 fois plus de richesses qu'en 1960 (en euros constants).
Ce qui fait que pour un retraité en 2019, il y a 1.7 actifs qui produisent l'équivalent de la richesse produite par 5,78 actifs de 1960 (1,7 X 3,4 = 5,78).
Il y a donc en fait plus de ressources.
- " Le système des retraites sera déficitaire dans les années à venir " :
Le Conseil d'Orientation des Retraites (COR), service du premier ministre, a écrit, en page 11 de son dernier rapport de septembre 2022 :
" En 2021, le système de retraite a été excédentaire de près de 900 millions d'euros. (...) Elle se prolongerait en 2022 et le système connaîtrait un excédent de 3,2 milliards d'euros (0,1 point de PIB). "
Donc, pas de déficit actuellement !
Pour information, le COR prévoit ensuite un déficit à partir de 2023 avec un plancher en 2030, avant un retour à l'équilibre à l'horizon 2055. Pourquoi cette détérioration alors que le système est actuellement bénéficiaire ? Le COR donne l'explication suivante (toujours en page 11 de son rapport) :
" La dégradation de la situation financière de début de période (2022-2027) est principalement à relier à la dégradation de la part des ressources dans la richesse nationale : la baisse de la part des traitements indiciaires des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers (...) a un effet négatif sur la part des ressources dans le PIB. "
Pourquoi une baisse des traitements indiciaires notamment hospitaliers, alors que le Ségur de la santé prévoit une augmentation de 15 000 agents ? L'explication est ailleurs, la loi de programmation 2022/2027 prévoit des coupes budgétaires drastiques dans les dépenses publiques. Un rapport sénatorial évoque un "effort de maitrise" à hauteur de 25 milliards d'€ d'économies pour les administrations locales et de 25 milliards d'€ pour les administrations de sécurité sociale. Accessoirement, juste après une épidémie ...
Le déficit du système des retraites qu'anticipe le COR n'est donc pas une fatalité, il résulterait pour la période 2023/2027, de choix budgétaires qui vont affecter ses revenus.
2ème élément donné par le COR pour expliquer le déficit annoncé (en page 11) : "La dégradation du solde global se prolongerait de 2028 à 2032 avec la période de faible croissance liée à la transition du taux de chômage vers sa cible de long terme. "
L'explication de cette phrase se trouve en page 8 :
Il faut raccorder à ce moment-là le taux de chômage prévu par le gouvernement (5%), au taux de chômage prévu par le COR (7%). En raccordant ces 2 courbes, ça les tire vers le bas. Mais d'après le COR lui-même, " il s'agit là d'un artefact lié à la méthode de projection : rien ne permet d'anticiper que la conjoncture économique sera particulièrement déprimée sur la période 2028-2032 ". Donc autrement dit, tout cela n’est pas sûr du tout !
À noter que le COR prévoit un déficit de l'ordre de 12 milliards d'€ en 2030. Actuellement, il y a 80 milliards d'€ d'exonérations de cotisations employeur. Il y a peut-être là un moyen plus efficace de sécuriser le système de retraites ?
- " Les petites pensions seront revalorisées à hauteur de 1200 € " :
Pas pour tout le monde !
1200 €, c'est à peine au-dessus du seuil de pauvreté qui est à 1128 €. Mais pour y avoir droit, il faudra avoir cotisé à taux plein pendant 172 trimestres, soit 43 ans. Beaucoup n'y auront pas droit, par exemple, tous ceux qui ont eu des carrières hachées, des temps partiels, des périodes de chômage, ...
- " La réforme prendra en compte la pénibilité " :
On peut en douter. En effet, les 3 nouveaux critères, facteurs de risques permettant de partir plus tôt avaient été supprimés par Emmanuel Macron en octobre 2017 (passage du Compte Personnel de Prévention de la pénibilité (C3P) par le passage au Compte Personnel de Prévention (C2P)).
Le 4e critère de l'exposition aux produits chimiques dangereux n'est toujours pas rétabli.
- " La réforme conduira à un système à l'équilibre " :
Parmi la génération née en 1954, 4 personnes sur 10 n'étaient plus en emploi au moment de la liquidation de leur retraite (19% au chômage, 7% en maladie ou invalidité, 3 % en préretraite et 13% pour d'autres raisons). Pas sûr que ces chiffres s'améliorent avec une retraite 2 ans plus tard !
Par ailleurs, l'espérance de vie en bonne santé commence à redescendre. Elle est de 63 ans pour les hommes et de 64 ans pour les femmes. Décaler de 2 ans l'âge de la retraite occasionnera davantage d'arrêts de travail, des dépenses de pensions d'invalidité, de prestations de solidarité, d'accidents du travail.
L'Union Confédérale des Retraités FO a estimé à 0,2 points de PIB, la hausse des dépenses hors retraites, suite à un décalage de 2 ans du départ à la retraite.
Sans compter que les emplois non libérés par les seniors, ne pourront pas être pourvus par les jeunes générations !
- Les agents publics pourront travailler jusqu'à 70 ans :
On pourrait comprendre que 64 ans, c'est bien trop tôt !
- Les agents publics pourront cumuler des petits boulots avec leur retraite :
Bizarre, … auront-ils besoin d'arrondir leurs fins de mois malgré cette réforme "si avantageuse" ?!
- Ils pourront partir en pré-retraite :
Oui mais à l'âge où ils auraient pu partir directement en retraite ! Et le temps en pré-retraite ne « cotise » pas à 100%, mais à hauteur de leur temps partiel.
- Les durées de service des personnels actifs et hyper-actifs seront inchangées :
Oui mais ils devront quand même partir 2 ans plus tard !