Un rapport d’inspection resté jusqu’à présent confidentiel analyse les incohérences et le manque de détermination de l’Etat pour diminuer de moitié l’usage des produits phytosanitaires dans l’agriculture française.
Le constat est connu : le plan Ecophyto n’a pas tenu sa promesse de réduire de moitié le recours aux produits phytosanitaires, ni même freiné la dépendance de l’agriculture française aux pesticides. Lors de son lancement, en 2008, il était envisagé d’y parvenir en dix ans. Or en 2018, les ventes d’insecticides pour les cultures avaient augmenté de 6 %, celles d’herbicides de 25 % et de fongicides de 34 %, avant une légère inflexion depuis. L’ambition affichée a donc été reportée à 2025, grâce à un programme repensé et rebaptisé Ecophyto II, puis II + en y intégrant l’hypothétique fin du glyphosate. L’Union européenne s’est d’ailleurs à son tour fixé le même objectif – bénéfique pour la santé et l’environnement – de diviser par deux la consommation de ces produits chimiques.
L’affaire apparaît mal engagée à la lecture du rapport conjoint de l’Inspection générale des finances, du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, et de celui de l’environnement et du développement durable, rendu public mercredi 23 mars. Son titre annonce une évaluation des actions financières engagées au nom d’Ecophyto. En fait, si les auteurs estiment certes « légitime de s’interroger sur l’efficacité des dépenses publiques importantes qui [y] ont été consacrées », ils s’emploient surtout à livrer une analyse implacable des raisons d’un échec, prévisible dès le départ selon eux.
« En premier lieu, la mission considère que le plan actuel ne peut pas réussir. Sa poursuite en l’état pose la question de la crédibilité de l’action publique », écrivent-ils. Modifier les comportements vis-à-vis des produits phytosanitaires dans les campagnes françaises exige plus de clarté de la part du principal acteur chargé du dossier : le ministère de l’agriculture, surtout un objectif politique plus affirmé et moins d’incohérence de la part de l’Etat. Par exemple, l’autorisation d’exporter des substances interdites sur le territoire français et qui vont ensuite jouer sur les prix des récoltes importées ne contribue pas à « crédibiliser l’objectif » d’Ecophyto. Celui-ci ne s’est au demeurant doté d’indicateurs d’impact ni sur la santé humaine, ni sur celle des plantes, ni sur la biodiversité.
Un an dans les tiroirs ministériels
La mission suggère de lancer un autre plan en 2023, en même temps que les nouvelles règles de la politique agricole commune (PAC). Elle propose plusieurs scénarios avec des doses variables de mesures de différenciation des produits de l’agriculture non conventionnelle à soutenir, d’incitation conduisant à une réduction des pesticides pour tous les agriculteurs et de réglementation contraignante, qui restent à équilibrer dans le temps.
Cette analyse aurait pu rester ignorée du public. Le rapport, remis en mars 2021, a été rédigé à la demande du gouvernement qui doit lui-même répondre à un référé de la Cour des comptes au sujet de la piètre efficacité d’Ecophyto. Il est resté un an dans les tiroirs ministériels avant que France Nature Environnement ne l’obtienne après une demande auprès de la Commission d’accès aux documents administratifs.
En 2019, l’enveloppe du programme Ecophyto s’élevait à 81 millions d’euros, alimentée par la redevance pour pollutions diffuses prélevée sur les ventes des produits phytosanitaires. Cependant, les mesures destinées à soutenir des modes de culture moins consommateurs de pesticides ont représenté dans leur ensemble 643 millions d’euros, financées à 99 % par les agences de l’eau, l’Union européenne, le ministère de l’agriculture, les conseils régionaux et l’Office français de la biodiversité.
Les rapporteurs incluent l’aide à la reconversion aux cultures bio (plus de la moitié du total), les subventions aux mesures agro-environnementales et climatiques ainsi qu’à des équipements agricoles, à des actions diverses menées pour la préservation de l’eau, à de la recherche, et à quelques contrôles. Sur ce dernier point, ils regrettent leur nombre restreint et « le caractère faiblement dissuasif des suites » qui leur sont données.
Aperçu tronqué
Les crédits du plan Ecophyto restent modestes comparés aux 9 milliards d’euros d’aides en provenance de la PAC, plus les 600 millions du plan français de relance 2021-2022. Les critiques du rapport portent d’abord sur l’absence de leviers d’action solides. Au début, les pouvoirs publics ont misé sur une forme d’exemplarité contagieuse qualifiée de « diffusion par-dessus la haie ». L’amélioration des pratiques développées dans le réseau de fermes Dephy devait générer une bonne volonté généralisée, sans aucune contrainte à la clé. Ces exploitations volontaires ont certes réalisé des progrès nets – sans atteindre 50 % de réduction des pesticides –, mais cela n’a pas suffi à atteindre la « massification » espérée. Ecophyto II a ensuite tenté de convaincre 30 000 exploitants de devenir démonstrateurs. En vain.
En douze ans d’action publique, il n’a pas été possible d’établir des indicateurs fiables permettant de mesurer les progrès. Entre-temps, certaines molécules dangereuses ont été interdites, mais les effets sont malaisés à évaluer. Les tonnages de pesticides ne donnent en outre qu’un aperçu tronqué puisque les substances actives sont de plus en plus concentrées. L’alternative du nombre de doses unités (Nodu) reste une unité controversée. Les courbes montrent cependant la coïncidence des ventes de pesticides avec le montant de la redevance (dont la valeur représente moins de 2,5 % de la production agricole, selon le rapport). En 2018, l’annonce d’une augmentation a suscité une véritable ruée par anticipation.
Sans stigmatiser les agriculteurs, la mission passe en revue une série de responsabilités : conseillers des chambres d’agriculture, coopératives, industries chimiques, grande distribution et consommateurs qui exigent des fruits et légumes calibrés sans pesticides, mais à prix minimum. Elle propose d’ailleurs de mettre en place une production inspirée du bio, sans pesticides mais avec moins de contraintes agro-environnementales. Elle note que si un quart des surfaces cultivées passait du conventionnel à l’agriculture bio, près de la moitié de l’objectif d’une réduction de 50 % des produits phytosanitaires serait atteinte.