jeudi 24 mars 2022

Réduction de l’usage des pesticides : les raisons d’un échec

 Un rapport d’inspection resté jusqu’à présent confidentiel analyse les incohérences et le manque de détermination de l’Etat pour diminuer de moitié l’usage des produits phytosanitaires dans l’agriculture française.

Le constat est connu : le plan Ecophyto n’a pas tenu sa promesse de réduire de moitié le recours aux produits phytosanitaires, ni même freiné la dépendance de l’agriculture française aux pesticides. Lors de son lancement, en 2008, il était envisagé d’y parvenir en dix ans. Or en 2018, les ventes d’insecticides pour les cultures avaient augmenté de 6 %, celles d’herbicides de 25 % et de fongicides de 34 %, avant une légère inflexion depuis. L’ambition affichée a donc été reportée à 2025, grâce à un programme repensé et rebaptisé Ecophyto II, puis II + en y intégrant l’hypothétique fin du glyphosate. L’Union européenne s’est d’ailleurs à son tour fixé le même objectif – bénéfique pour la santé et l’environnement – de diviser par deux la consommation de ces produits chimiques.

L’affaire apparaît mal engagée à la lecture du rapport conjoint de l’Inspection générale des finances, du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, et de celui de l’environnement et du développement durable, rendu public mercredi 23 mars. Son titre annonce une évaluation des actions financières engagées au nom d’Ecophyto. En fait, si les auteurs estiment certes « légitime de s’interroger sur l’efficacité des dépenses publiques importantes qui [y] ont été consacrées », ils s’emploient surtout à livrer une analyse implacable des raisons d’un échec, prévisible dès le départ selon eux.

« En premier lieu, la mission considère que le plan actuel ne peut pas réussir. Sa poursuite en l’état pose la question de la crédibilité de l’action publique », écrivent-ils. Modifier les comportements vis-à-vis des produits phytosanitaires dans les campagnes françaises exige plus de clarté de la part du principal acteur chargé du dossier : le ministère de l’agriculture, surtout un objectif politique plus affirmé et moins d’incohérence de la part de l’Etat. Par exemple, l’autorisation d’exporter des substances interdites sur le territoire français et qui vont ensuite jouer sur les prix des récoltes importées ne contribue pas à « crédibiliser l’objectif » d’Ecophyto. Celui-ci ne s’est au demeurant doté d’indicateurs d’impact ni sur la santé humaine, ni sur celle des plantes, ni sur la biodiversité.

Un an dans les tiroirs ministériels

La mission suggère de lancer un autre plan en 2023, en même temps que les nouvelles règles de la politique agricole commune (PAC). Elle propose plusieurs scénarios avec des doses variables de mesures de différenciation des produits de l’agriculture non conventionnelle à soutenir, d’incitation conduisant à une réduction des pesticides pour tous les agriculteurs et de réglementation contraignante, qui restent à équilibrer dans le temps.

Cette analyse aurait pu rester ignorée du public. Le rapport, remis en mars 2021, a été rédigé à la demande du gouvernement qui doit lui-même répondre à un référé de la Cour des comptes au sujet de la piètre efficacité d’Ecophyto. Il est resté un an dans les tiroirs ministériels avant que France Nature Environnement ne l’obtienne après une demande auprès de la Commission d’accès aux documents administratifs.

En 2019, l’enveloppe du programme Ecophyto s’élevait à 81 millions d’euros, alimentée par la redevance pour pollutions diffuses prélevée sur les ventes des produits phytosanitaires. Cependant, les mesures destinées à soutenir des modes de culture moins consommateurs de pesticides ont représenté dans leur ensemble 643 millions d’euros, financées à 99 % par les agences de l’eau, l’Union européenne, le ministère de l’agriculture, les conseils régionaux et l’Office français de la biodiversité.

Les rapporteurs incluent l’aide à la reconversion aux cultures bio (plus de la moitié du total), les subventions aux mesures agro-environnementales et climatiques ainsi qu’à des équipements agricoles, à des actions diverses menées pour la préservation de l’eau, à de la recherche, et à quelques contrôles. Sur ce dernier point, ils regrettent leur nombre restreint et « le caractère faiblement dissuasif des suites » qui leur sont données.

Aperçu tronqué

Les crédits du plan Ecophyto restent modestes comparés aux 9 milliards d’euros d’aides en provenance de la PAC, plus les 600 millions du plan français de relance 2021-2022. Les critiques du rapport portent d’abord sur l’absence de leviers d’action solides. Au début, les pouvoirs publics ont misé sur une forme d’exemplarité contagieuse qualifiée de « diffusion par-dessus la haie ». L’amélioration des pratiques développées dans le réseau de fermes Dephy devait générer une bonne volonté généralisée, sans aucune contrainte à la clé. Ces exploitations volontaires ont certes réalisé des progrès nets – sans atteindre 50 % de réduction des pesticides –, mais cela n’a pas suffi à atteindre la « massification » espérée. Ecophyto II a ensuite tenté de convaincre 30 000 exploitants de devenir démonstrateurs. En vain.

En douze ans d’action publique, il n’a pas été possible d’établir des indicateurs fiables permettant de mesurer les progrès. Entre-temps, certaines molécules dangereuses ont été interdites, mais les effets sont malaisés à évaluer. Les tonnages de pesticides ne donnent en outre qu’un aperçu tronqué puisque les substances actives sont de plus en plus concentrées. L’alternative du nombre de doses unités (Nodu) reste une unité controversée. Les courbes montrent cependant la coïncidence des ventes de pesticides avec le montant de la redevance (dont la valeur représente moins de 2,5 % de la production agricole, selon le rapport). En 2018, l’annonce d’une augmentation a suscité une véritable ruée par anticipation.

Sans stigmatiser les agriculteurs, la mission passe en revue une série de responsabilités : conseillers des chambres d’agriculture, coopératives, industries chimiques, grande distribution et consommateurs qui exigent des fruits et légumes calibrés sans pesticides, mais à prix minimum. Elle propose d’ailleurs de mettre en place une production inspirée du bio, sans pesticides mais avec moins de contraintes agro-environnementales. Elle note que si un quart des surfaces cultivées passait du conventionnel à l’agriculture bio, près de la moitié de l’objectif d’une réduction de 50 % des produits phytosanitaires serait atteinte.

mercredi 9 mars 2022

Biodiversité en haute mer : « Donnons des droits au plancton pour rendre visible son activité »

 Alors que s’ouvre à New York la dernière phase des négociations intergouvernementales sur la protection de la biodiversité en haute mer, cinq chercheurs de l’Ecole normale supérieure plaident, dans une tribune au « Monde », pour reconnaître « la dignité de ce travail inlassable » du plancton qui produit l’oxygène nécessaire à la vie sur Terre, et séquestre du carbone.

Tribune. Ce 7 mars s’ouvre à New York la dernière session de la conférence intergouvernementale chargée d’élaborer un nouvel instrument juridique en vue de la protection et de la conservation à long terme de la biodiversité dans les zones maritimes situées en dehors des juridictions nationales (négociations dites « BBNJ », biodiversity beyond national jurisdiction).

Ces négociations, organisées par les Nations unies, devraient déboucher en juin sur un nouveau traité international. Son but : équilibrer deux points de vue en tension parmi les Etats. D’un côté, un principe de liberté, de l’autre, une nécessité de protection. Depuis le Mare liberum de Grotius en 1609, la liberté des mers porte sur l’exploitation des ressources et sur la circulation des biens et des personnes.

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Pour schématiser, les Etats du Nord prônent l’idée que les ressources de la haute mer forment des Res nullius, des choses appropriables et exploitables par le premier venu. Les pays en voie de développement préfèrent considérer ces parties de l’océan comme un patrimoine commun de l’humanité.

Plutôt que d’aborder le problème sous l’angle des prérogatives étatiques, nous aimerions adopter le point de vue de la biodiversité et de sa protection. Les trois grands enjeux de protection de la biodiversité en haute mer sont les ressources halieutiques, les ressources génétiques marines, et le maintien du rôle de régulation du climat par l’océan.

Les fonctions du plancton ont une valeur inestimable

Dans les deux premiers cas, la notion de ressource est mise au premier plan, mais dans le troisième c’est celle d’une fonction remplie par la biodiversité. Or la protection des ressources et la protection des fonctions de la biodiversité n’invitent pas à la même approche conceptuelle et juridique. En particulier, en plaçant l’idée de ressource au centre des débats juridiques, la discussion entérine une idée devenue dominante en économie de la biodiversité : la nature nous rendrait avant tout des services écosystémiques dont on peut estimer la valeur, et dont il est intéressant de protéger la biodiversité native pour continuer à en jouir.

L’idée de fonctions subsiste en arrière-plan, mais est occultée par la valeur économique des services rendus. Or il faut bien des capacités inhérentes aux écosystèmes et des conditions dans lesquelles ces capacités peuvent s’exercer pour que ces services soient fournis. Prenons le cas du plancton. Le plancton exerce deux fonctions principales. La première est la production d’oxygène par le phytoplancton (le plancton végétal), et représente la moitié de tout l’oxygène produit sur Terre.

La seconde est la séquestration du carbone par le phytoplancton et le zooplancton (le plancton animal), ce qui permet aux océans d’absorber environ 30 % du carbone émis par les activités humaines. Ces fonctions du plancton ont une valeur inestimable. Toutefois, il ne nous paraît pas approprié de simplement dire que la biodiversité marine, et le plancton en particulier, nous rendent des services.

Reconnaître le travail du plancton

Nous pensons que l’accent doit être plutôt mis sur le fait que le plancton travaille, si par « travail » nous entendons l’activité d’un agent en vue de la production d’un bien et d’une valeur ajoutée. Le travail est un facteur de production qui doit être rémunéré et dont la rémunération permet la reproduction de la force de travail. La reconnaissance du travail du plancton doit plus encore rendre envisageables des relations contractuelles et de réciprocité entre lui et nous, au-delà de la réception unilatérale d’un service.

Autrement dit, le plancton, à partir du moment où les fonctions qu’il remplit et les bénéfices qui en découlent sont reconnus comme relevant d’une forme de travail, devrait acquérir des droits qui appartiennent aux travailleurs. La reconnaissance de tels droits serait apte à modifier la nature des négociations en cours.

La notion de patrimoine commun de l’humanité vise assurément l’équité entre les Etats. Mais elle néglige une autre équité : celle qui pourrait prévaloir entre le travail de la nature et les services rendus aux humains. En appliquant la catégorie du travail au plancton, nous voulons rendre visible son activité et les conditions optimales pour l’accomplissement de ses fonctions.

Le plancton est le travailleur migrant par excellence

Pour défendre ses droits à la dignité, au repos, à des horaires soutenables, à une rémunération congrue, à des mesures de sécurité, un travailleur humain détient le droit de se syndiquer. Le syndicat transforme un rapport de force pur en un rapport de droit. Entre les Etats et la biodiversité, la force est actuellement du côté des intérêts humains, parce que la biodiversité, en tant que telle, ne détient pas de droits.

En second lieu, un syndicat permet de corréler le travail à des possibilités politiques : la représentation des intérêts, l’action en vue de leur préservation et la négociation entre les parties impliquées. Le plancton est une entité éminemment collective dans son fonctionnement biologique, dont le travail, les intérêts, et, nous espérons, bientôt les droits, devraient servir d’emblème aux négociations BBNJ.

Le plancton est le travailleur migrant par excellence, apatride, difficile à fixer à un endroit ; il traverse les zones maritimes de juridiction nationales et internationales. La reconnaissance de droits du plancton permettrait d’articuler le volet « ressources » et le volet « liberté » des négociations, de concilier les intérêts humains étatiques et les intérêts collectifs d’éléments de la nature.

La biodiversité, aujourd’hui appréciée essentiellement pour ses services écosystémiques, accomplit en réalité un travail. Notre approche juridique/heuristique du plancton implique avant tout de reconnaître la dignité de ce travail inlassable d’une multitude d’êtres qui peuplent l’océan au-delà de l’emprise des Etats.

Les signataires de la tribune sont : Sacha Bourgeois-Gironde, professeur à l’université Panthéon-Assas Paris-II, responsable de l’équipe Environnement : concepts et normes, ECN-team  Paris, Institut Nicod, Paris ; Roberto Casati, directeur de recherches au CNRS, directeur d’études de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Institut Nicod, Paris ; Emilie Flamme, chargée de mission à l’ECN-team – Paris, Institut Nicod, Paris ; Quentin Hiernaux, chercheur post-doctorant, à l’Institut Nicod, EHESS ; Eva Wanek, doctorante à l’Institut Nicod, CNRS-ENS, Paris.

lundi 7 mars 2022

LES ÉTUDES SCIENTIFIQUES S’ACCUMULENT SUR LES EFFETS NÉFASTES DES FONGICIDES SDHI

 Alors que les fongicides SDHI sont toujours commercialisés depuis l’alerte de scientifiques en 2017, les nouvelles études sur leur toxicité s’accumulent, révélant l'incapacité des tests règlementaires à détecter leurs effets néfastes. Abeilles, poisson zèbre, vers de terre… les données récentes montrent que ces substances, censées tuer uniquement les champignons, affectent en réalité l'ensemble du vivant.

Les fongicides SDHI, produits phare de l’agrochimie pour éliminer champignons et moisissures, sont toujours déversés en quantité industrielle dans les champs, en dépit de l’alerte scientifique sur les risques liés à ces pesticides donnée dès 2017.

Alors que le statu quo persiste au niveau des agences françaises et européennes en charge de l’évaluation de ces substances, la recherche poursuit ses travaux sur la toxicité de ces produits. Depuis 2019 et la publication de l’article de Paule Bénit, ingénieure de recherche à l’INSERM, démontrant in vitro l’effet toxique très inquiétant de ces pesticides sur des cellules humaines et animales, plusieurs dizaines d’études scientifiques ont été publiées sur les SDHI, apportant de nouvelles preuves irréfutables de leur dangerosité.

En 2017, Paule Bénit et Pierre Rustin, directeur de recherche au CNRS/INSERM, tous deux spécialistes des maladies mitochondriales, avaient lancé une alerte sur le mode d’action des SDHI, qui consiste à bloquer la respiration des cellules, et potentiellement agir sur les cellules de quasiment tous les organismes vivants. Or, perturber les mécanismes respiratoires vitaux des cellules, au sein des mitochondries, peut déclencher divers impacts dramatiques dans un organisme.

Lors du processus d’homologation des SDHI, les risques potentiels de ces molécules sont passés sous le radar des agences règlementaires, dont les tests restent obsolètes et peu approfondis. En se fondant principalement sur ces évaluations officielles, et sans prendre en compte le mécanisme d’action très particulier des SDHI sur les cellules, l’ANSES, l’agence sanitaire française, avait conclu en 2019  à « l’absence d’éléments » pour appliquer le principe de précaution et retirer du marché ces pesticides. POLLINIS s’est alors associée aux chercheurs Paule Bénit et Pierre Rustin pour déposer une pétition au Parlement européen, ce qui a permis au dossier des SDHI de garder une place sur l’agenda politique.

Aujourd’hui, une nouvelle salve d’études scientifiques viennent documenter les effets toxiques des SDHI sur la santé humaine et sur l’environnement, rappelant l’urgence de leur interdiction. Dans le domaine de la santé humaine, la chercheuse Donatienne d’Hose, de l’Université catholique de Louvain à Bruxelles, a, par exemple, mis en évidence qu’une exposition à court terme au boscalid et au bixafen, les deux SDHI les plus utilisés, provoquait des dysfonctionnement des mitochondries dans les cellules humaines1. Wanda van der Stel, chercheuse de l’université de Leiden aux Pays-bas, a également observé que les molécules SDHI carboxin, thifluzamide, mepronil, fenfuram et flutolanil affectaient in vitro la fonction respiratoire mitochondriale dans les cellules humaines2.

Toxiques pour le poisson zèbre

Concernant les effets sur le milieu aquatique, les chercheurs Constantin Yanicostas (INSERM ) et Nadia Soussi-Yanicostas (CNRS) ont mené une revue des connaissances de la toxicité pour le poisson zèbre (Brachydanio rerio) de neuf fongicides SDHI1 couramment utilisés3. Ces scientifiques ont répertorié, dans leur synthèse publiée en 2021, de multiples effets indésirables « chez les embryons, les larves/juvéniles et/ou les adultes, parfois à des concentrations pertinentes » pour l’environnement.

Les effets indésirables comprennent notamment la toxicité pour le développement, les anomalies cardiovasculaires, les lésions hépatiques et rénales, le stress oxydatif, les déficits énergétiques, les modifications du métabolisme, la microcéphalie, les défauts de croissance des axones – la fibre nerveuse des neurones – ou encore l’apoptose, c’est-à-dire la mort cellulaire programmée.

Par ailleurs, « d’autres voies d’effets indésirables, impliquant peut-être des cibles moléculaires insoupçonnées, sont également suggérées. » Les chercheurs estiment que « le manque de spécificité d’espèce de ces fongicides soulève des inquiétudes quant à leur toxicité envers les organismes non ciblés et, plus généralement, envers l’environnement. »

Vers de terre et abeilles impactés

La vie des sols peut aussi être dégradée par ces substances. Ainsi les nématodes, petits vers minuscules des sols, sont affectés par les SDHI. Selon les analyses de Fabien Schmitt, de l’université de Giessen en Allemagne, l’exposition au SDHI fluopyram, utilisé notamment pour lutter contre l’oïdium, diminue la résistance au stress thermique de Caenorhabditis elegans. Elle affecte l’expression des gènes de la longévité et le métabolisme énergétique4, et provoque un stress oxydatif, des dommages intestinaux ainsi qu’une apoptose5. La molécule, en combinaison avec le tébuconazole, se montre aussi extrêmement toxique pour les vers de terre non ciblés E. Andrei, selon Mirna Velki, de l’université d’Osijek en Croatie6.

Les pollinisateurs, maillon essentiel des écosystèmes, ne sont pas épargnés par ces molécules. En effet, le boscalid, l’un des SDHI les plus étudiés, se montre toxique pour les abeilles domestiques et sauvages. En combinaison avec un autre fongicide, la pyraclostrobine, il affecte le développement larvaire de l’abeille maçonne, Osmia lignaria 7Le boscalid réduit significativement le taux d’alimentation en pollen et réduit la survie chez les abeilles mellifères en fonction des quantités absorbées8.

Le produit Pristine, qui se compose de boscalid et de pyraclostrobin, a des effets sublétaux importants sur les performances d’apprentissage des abeilles 9. Sa consommation par les colonies d’abeilles a un impact sur la taille de la colonie et sur le comportement de butinage, en affectant à la fois les larves et les adultes. Elle réduit de manière significative la durée de vie des ouvrières et la taille de la colonie, avec des effets négatifs sur la santé observés même aux doses les plus faibles. «Les effets négatifs de l’exposition aux fongicides se produisent pendant de courtes durées d’exposition, ce qui indique la nécessité de réévaluer ces pesticides », conclut Adrian Fisher, auteur de ces études 10.

Face à ces impacts négatifs pour la santé et la biodiversité, étayés par la science, POLLINIS demande aux autorités publiques de prendre des mesures d’urgence, en imposant un moratoire sur les SDHI et une réévaluation de ces molécules. Après un premier examen de sa requête devant la commission des pétitions du Parlement européen en 2020, POLLINIS défendra de nouveau ces demandes devant les eurodéputés de cette même commission en mars 2022, et espère susciter un débat plus large au sein du Parlement européen sur les failles du système d’homologation des pesticides.

Liste des études citées dans l’article

1. D’hose et al. 2021. The Short-Term Exposure to SDHI Fungicides Boscalid and Bixafen Induces a Mitochondrial Dysfunction in Selective Human Cell Lines,  Molecules.

 

2. van der Stel et al. 2020. Multiparametric assessment of mitochondrial respiratory inhibition in HepG2 and RPTEC/TERT1 cells using a panel of mitochondrial targeting agrochemicals, Archives of Toxicology.

 

3. Yanicostas, C., & Soussi‐Yanicostas, N. 2021. SDHI Fungicide Toxicity and Associated Adverse Outcome Pathways: What Can Zebrafish Tell Us? International Journal of Molecular Sciences.

 

4. Schmitt et al. 2021. Effects of Pesticides on Longevity and Bioenergetics in Invertebrates—The Impact of Polyphenolic Metabolites. International Journal of Molecular Sciences.

 

5. Liu, Y., Zhang, W., Wang, Y., Liu, H., Zhang, S., Ji, X., & Qiao, K. (2022). Oxidative stress, intestinal damage, and cell apoptosis: Toxicity induced by fluopyram in Caenorhabditis elegans. Chemosphere, 286 (Pt 3). 

 

6. Velki, M. et al. 2019. Acute toxicities and effects on multixenobiotic resistance activity of eight pesticides to the earthworm Eisenia andrei. Environmental Science and Pollution Research International.

 

7. Kopit et al. 2021. Effects of Provision Type and Pesticide Exposure on the Larval Development of Osmia lignaria (Hymenoptera: Megachilidae). Environmental Entomology.

 

8. Fisher, A. et al. 2021. The active ingredients of a mitotoxic fungicide negatively affect pollen consumption and worker survival in laboratory-reared honey bees (Apis mellifera). Ecotoxicology and Environmental Safety.

 

9. DesJardins et al. 2021. A common fungicide, Pristine®, impairs olfactory associative learning performance in honey bees (Apis mellifera), Environmental Pollution.

 

10. Fisher, A. et al. 2021. Field cross-fostering and in vitro rearing demonstrate negative effects of both larval and adult exposure to a widely used fungicide in honey bees (Apis mellifera), Ecotoxicology and Environmental Safety.

mardi 1 mars 2022

« Plus d’excuses ni de greenwashing » après le rapport du GIEC, de nouveaux appels au sursaut

 Les pays vulnérables ont appelé lundi à la mise en place urgente de nouveaux financements pour s’adapter aux effets désastreux du changement climatique.

« Tableau désastreux », « risques terribles »« conséquences catastrophiques »« situation désespérée ». Les réactions au nouveau rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié lundi 28 février, ont donné lieu à une profusion d’adjectifs pour tenter de résumer la réalité décrite par les scientifiques : des impacts toujours plus ravageurs, généralisés et souvent irréversibles entraînés par le changement climatique d’origine humaine, qui poussent les sociétés et la nature jusqu’aux limites de leur capacité d’adaptation.

« J’ai vu de nombreux rapports scientifiques dans ma vie, mais rien de comparable à celui-ci », a réagi le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, décrivant « un atlas de la souffrance humaine »« Près de la moitié de l’humanité vit dans la zone de danger  maintenant. De nombreux écosystèmes ont atteint le point de non-retour, maintenant. Les faits sont indéniables », a-t-il martelé.

Les conclusions du rapport ressemblent à un « cauchemar », mais elles sont une « réalité quotidienne » pour les familles du Kenya et plus largement des pays du Sud, avertit Susan Otieno, directrice exécutive d’ActionAid Kenya. « Plus de 1,4 million d’animaux sont morts à cause de la sécheresse actuelle, privant les éleveurs de leur seul moyen pour subvenir aux besoins de leurs familles. Nous craignons que bientôt ce soit les enfants qui meurent de soif et de faim. »

« Si vous vouliez une bonne nouvelle pour changer, regardez ailleurs », a lancé Dave Reay, directeur du Climate Change Institute, de l’université d’Edimbourg (Ecosse). Utilisant la métaphore de l’effet domino, il juge que le changement climatique du XXIe siècle « menace de détruire les fondements de la sécurité alimentaire et en eau, de la santé humaine et des écosystèmes et, finalement, d’ébranler les piliers mêmes de la civilisation humaine ».

Après le constat, les appels sont se multipliés en faveur d’une action urgente. D’abord pour s’adapter aux impacts, mais aussi pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, notamment des principaux pays pollueurs, puisque le rapport montre que l’adaptation ne suffira pas. « La science du climat est unanime depuis des décennies : nous devons cesser de brûler des combustibles fossiles », rappelle Olha Boiko, coordinatrice du Climate Action Network Europe de l’Est, qui ajoute qu’avec la guerre en Ukraine, « nous voyons aujourd’hui comment la dépendance aux combustibles fossiles et les conflits sont imbriqués ».

« Il y a trois mois, à Glasgow, lors de la COP26, toutes les grandes économies ont convenu de renforcer leurs ambitions. Alors que nous entrons dans la zone de danger climatique, il est essentiel qu’elles présentent de nouveaux plans ambitieux en 2022. Il n’y a plus d’excuses ni de greenwashing », avertit Laurence Tubiana, l’une des architectes de l’accord de Paris sur le climat de 2015.

« Le déni et l’attente ne constituent pas des stratégies, mais une recette pour le désastre », a prévenu, quant à lui, John Kerry, envoyé spécial des Etats-Unis pour le climat. Jusqu’à présent, les efforts ont été « trop limités et trop fragmentés » pour répondre à l’ampleur des impacts actuels et à venir, indique-t-il, en écho au GIEC. Pour non plus « éviter la crise, mais ses pires conséquences », John Kerry appelle à « investir dans les communautés, construire des systèmes résistants au climat et préserver les écosystèmes essentiels au cours de cette décennie décisive ».

Promesse non tenue

Si cette adaptation n’est pas à la hauteur des défis du changement climatique, c’est à cause des pays riches, critique Mohamed Adow, directeur du think tank Power Shift Africa. « Les pays du Nord et pollueurs ont modifié la planète en brûlant des énergies fossiles et refusent à présent d’aider ceux qui en subissent les conséquences », regrette-t-il.

Les pays les plus vulnérables, les plus touchés par les impacts du changement climatique, demandent alors aux pays riches, majoritairement responsables de la crise climatique, de rembourser leur dette. Les pays développés n’ont en effet toujours pas tenu leur promesse, pourtant faite il y a douze ans, de mobiliser 100 milliards de dollars (89 milliards d’euros) par an à partir de 2020 pour aider les pays en développement à s’adapter au changement climatique et à réduire leurs émissions. Madeleine Diouf Sarr, présidente du groupe des pays les moins avancés (PMA), qui représente 46 des pays les plus pauvres, leur demande de « combler de toute urgence » ce « manque à gagner ».

Alors que les systèmes de financement actuels sont « insuffisants » mais aussi « inaccessibles » pour la majorité des petits Etats insulaires en développement, « il est primordial que les nations développées respectent l’engagement de doubler l’aide consacrée à l’adaptation », pris lors de la COP26, estime de son côté Gaston Browne, premier ministre d’Antigua-et-Barbuda, qui représente le groupe des îles. Aujourd’hui, seulement 25 % des fonds vont à l’adaptation, contre 65 % à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Les pays en développement ont, en outre, de nouveau réclamé un financement spécifique des « pertes et dommages », c’est-à-dire les dégâts irréversibles causés par le changement climatique auxquels il n’est plus possible de s’adapter, que le rapport du GIEC met en lumière.

En France, Clément Sénéchal, chargé de campagne climat pour Greenpeace, demande, lui aussi, un « partage de l’effort efficace et équitable », en mettant d’abord à contribution ceux qui émettent le plus de gaz à effet de serre, notamment les plus riches et les multinationales. Le WWF appelle les candidats à l’élection présidentielle à « tirer les leçons » de ce rapport et propose l’instauration d’un « passe climatique » à l’Elysée, afin d’« assurer que toutes les prochaines décisions soient adaptées à la crise écologique ».

Du côté des candidats à l’élection présidentielle, absorbés par la guerre en Ukraine mais aussi par le Salon de l’agriculture, seuls trois d’entre eux avaient réagi lundi en fin de journée sur Twitter. Yannick Jadot (Europe Ecologie-Les Verts) a indiqué que « nous devons agir, dès maintenant », tandis que Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) écrivait : « La guerre au pire moment, quand il faudrait s’unir face au chaos climatique. Enième alerte du GIEC : il faut bifurquer d’urgence. » « Sortons de l’inaction climatique et agissons urgemment pour protéger notre biodiversité », a pour sa part écrit Anne Hidalgo (Parti socialiste).

Climat : les quatre risques majeurs qui pèsent sur l'Europe

 Sur le continent, le réchauffement va continuer à augmenter plus vite que la moyenne mondiale, avertit le Giec dans un rapport publié lundi. Le sud est particulièrement menacé. La France fera face à des inondations plus destructrices et à davantage de vagues de chaleur extrême.

Les conséquences du changement climatique sont déjà perceptibles en Europe. Le Giec l'affirme avec un degré de « très haute confiance », selon l'échelle que les experts climat de l'ONU utilisent pour exprimer leur opinion, dans un nouveau rapport publié lundi qui dresse un tableau dramatique des impacts et sonne l'alerte sur les risques pour les décennies à venir. L'Europe n'y échappe pas.


Pertes de récoltes 

La sécheresse, les pluies excessives et la chaleur ont provoqué des baisses de la productivité des forêts , de l'élevage et des cultures : les pertes de récoltes liées ont triplé au cours des cinquante dernières années, et elles devraient s'accentuer à mesure que le mercure monte, prévient le Giec. C'est l'un des quatre risques clés identifiés pour l'Europe par les scientifiques qui anticipent des pertes substantielles de production agricole pour la plupart des régions du continent au cours du siècle. Des pertes qui ne seront pas compensées par des gains en Europe du nord, précisent-ils. En France, les dommages liés à la sécheresse -qui coûte déjà 1,2 milliard d'euros par an- pourraient être multipliés quasiment par cinq.

Une chaleur extrême mortelle

Autre risque majeur pour le continent, les vagues de chaleur extrême seront plus meurtrières. Dans un monde plus chaud de 1,5 °C, un seuil que la planète devrait dépasser d'ici à 2030, elles pourraient entraîner la mort de 30.000 personnes par an, et jusqu'à trois fois plus si le réchauffement atteint 3 °C, selon le Giec. En France, le nombre de personnes mortellement touchées passerait d'environ 1.500 à plus de 5.000 d'ici à 2050, si les émissions de gaz à effet de serre étaient plus élevées qu'aujourd'hui.

La biodiversité est tout autant menacée. Le réchauffement va réduire l'habitat pour les écosystèmes terrestres et marins et modifier « de manière irréversible » leur composition, préviennent les experts. Les herbiers sous-marins de Méditerranée pourraient ainsi disparaître d'ici à 2050 si les émissions ne sont pas réduites rapidement. Et les zones à risque d'incendies vont s'étendre à travers l'Europe. Dans la région méditerranéenne, côté français, les surfaces brûlées pourraient augmenter de 90 % si le réchauffement est de 2 °C par rapport à 1,5 °C.

De l'eau plus rare

Dans ce même scénario de 2 °C, plus d'un tiers de la population européenne sera exposé à un manque d'eau. A 3 °C, le risque sera deux fois plus important, avec, en première ligne, l'Europe centrale occidentale et l'Europe du sud ainsi que de nombreuses villes, dit le Giec, qui évoque des pertes économiques « significatives » dans les secteurs dépendants de l'eau et de l'énergie.

Des inondations et une montée des eaux

Si la planète se réchauffe au-delà de 3 °C, le nombre de personnes affectées par les précipitations et les inondations fluviales pourrait être deux fois plus élevé, les coûts liés aux dommages pourraient aussi doubler. Quant aux dommages causés par les inondations côtières, le Giec indique qu'ils risquent d'être multipliés au moins par dix en Europe d'ici à la fin du siècle, et même davantage sans adaptation et avec des émissions élevées. La France est un des pays européens les plus menacés, et d'ici à 2100, le prix à payer pourrait dépasser les 53 milliards d'euros par an, prévient le Giec citant une étude.

Le rapport du Giec montre que l'adaptation de l'Europe au changement climatique progresse, mais « elle demeure insuffisante face à la rapidité des changements », explique Gonéri Le Cozannet, ingénieur au BRGM et coauteur, notamment du volet sur l'Europe. La prise en compte de l'élévation du niveau de la mer en est un exemple. « En France, de nombreuses actions servent à se préparer à l'adaptation et évaluer les risques, mais le pays est moins efficace pour mettre en oeuvre ces mesures », note-t-il.

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