Pollutions diffuses des eaux et de l'air, atteintes à la biodiversité liées à l'usage de pesticides, émissions de gaz à effet de serre... Bien que l'agriculture conventionnelle assure globalement notre sécurité alimentaire, elle présente de nombreuses fragilités, tant d'un point de vue social qu'environnemental.
A l'heure où la crise du Covid-19 met en lumière la complexité et les limites des chaînes d'approvisionnement agricole à l'échelle planétaire et interroge sur les impacts environnementaux de notre système alimentaire, l'agroécologie constitue l'une des solutions portées par les pouvoirs publics pour assurer la transition de l'agriculture vers un modèle durable. Mais cette transition est-elle rentable pour les agriculteurs ? France Stratégie évalue le niveau d'exigence réel des différents cahiers des charges se présentant comme agroécologiques ou s'inscrivant dans ces pratiques. Surtout, elle montre que la transition agroécologique peut être rentable à moyen terme.
Des ambitions environnementales variables
L'agroécologie repose sur l'optimisation de l'utilisation des ressources et services apportés par la nature pour réduire au maximum l'utilisation d'intrants de synthèse : engrais, pesticides ou antibiotiques. On distingue deux grandes familles de cahiers des charges relevant de l'agroécologie :
- Les labels publics ou marques privées relevant de l'agroécologie et pouvant donner lieu à des signes particuliers sur les produits, reconnaissables par les consommateurs, par exemple : la certification européenne Agriculture biologique (AB), la certification Haute valeur environnementale (HVE) et l'initiative privée de la marque Lu, Lu'Harmony ;
- Les cahiers des charges s'inscrivant dans l'agroécologie mais ne donnant pas lieu à un « label » présent sur les produits alimentaires, par exemple : les mesures agro-environnementales et climatiques systèmes (MAEC systèmes), le réseau de fermes expérimentales DEPHY et la démarche privée de la coopérative Terrena, Agri CO2.
Parmi ces cahiers des charges, certains impliquent une refondation totale des systèmes de production, comme l'AB ou la HVE, quand les autres se limitent essentiellement à ajouter des contraintes aux modes de production conventionnels.
Il existe également des labels publics donnant lieu à des signes particuliers sur les produits, reconnaissables par les consommateurs, mais qui ne relève pas explicitement de l'agroécologie, comme le Label rouge ou la certification de conformité produit.
Des bénéfices économiques pour la plupart des exploitations agroécologiques
Les exploitations agroécologiques présentent en général des résultats économiques à moyen terme supérieurs à ceux d'exploitations conventionnelles. L'agriculture biologique (AB) apparaît clairement comme la plus performante d'un point de vue économique avec des gains de marge directe de + 103 % en moyenne au terme de la transition, hors aides publiques. Les coûts de mécanisation et de main d'œuvre, liés à l'arrêt d'usage de pesticides, sont compensés par la disparition des charges liées aux engrais et produits phytosanitaires, et par le prix de commercialisation avantageux des produits bio. Par exemple, l'étude Agriscopie conduite en Occitanie de 2011 à 2014 met en évidence des réductions de charges opérationnelles liées à l'arrêt d'usage des pesticides et intrants de l'ordre de 183 euros / ha / an alors que dans le même temps les charges de structures liées à la main d'œuvre et à la mécanisation augmentent de 110 euros / ha / an.
L'AB assure également à l'agriculteur une meilleure stabilité économique. Un exemple pour s'en convaincre : en 2016, l'excèdent brut d'exploitation (EBE) des exploitations conventionnelles en viande bovine était de 3 euros par hectare contre 180 euros en bio. D'autres exploitations agroécologiques sont rentables à moyen terme, notamment certains MAEC systèmes et certaines fermes DEPHY. Pour généraliser ces résultats, les auteurs ont ensuite modélisé une exploitation en grandes cultures de 100 hectares, en fonctionnement conventionnel d'abord puis avec les contraintes supplémentaires de cinq cahiers des charges : AB, DEPHY économe et DEPHY très économe en intrants, HVE B et Lu'Harmony. Grâce à quoi ils ont pu estimer et comparer les marges directes globales de cette exploitation type, en conventionnel et sous référentiel. Une manière donc de simuler sa transition agroécologique pour en tester la rentabilité. Résultat : l'AB est le seul référentiel (parmi ceux testés) à apporter des bénéfices à moyen terme à l'exploitant, avec un gain de marge directe de l'ordre de 25 % au terme de la transition (hors aides de la PAC toujours). L'agriculture biologique apparaît donc comme la plus performante d'un point de vue économique et environnemental.
Réorienter les aides publiques de la PAC
Les aides de la politique agricole commune (PAC) assurent la rentabilité des exploitations européennes de manière générale. Certaines subventions spécifiques sont de plus dédiées aux référentiels agroécologiques. L'AB par exemple bénéficie d'aides à la conversion. Ces aides ne sont pas proportionnées au service environnemental rendu par les exploitations, ni même toujours au manque à gagner effectif lié à leur transition agroécologique. Pour le montrer, les auteurs de l'étude ont confronté le montant des aides attribuées aux exploitations à leur « score d'exigence environnementale »... et constaté leur décorrélation. En grandes cultures par exemple, les montants totaux d'aides à l'hectare sont plus importants pour le référentiel MAEC système que pour le référentiel AB. Autrement dit : c'est la production moins exigeante du point de vue environnemental qui reçoit plus.
L'agroécologie est un mode de production qui peut être à la fois rentable et respectueux de l'environnement, tout en répondant aux attentes de nombreux consommateurs. Réussir une transition agroécologique soutenable à l'échelle nationale implique un ajustement des subventions de la PAC, un soutien accru à la conversion vers l'agriculture biologique et un changement radical et durable de nos modes de consommation. France Stratégie propose donc trois recommandations, pour récompenser les engagements environnementaux forts :
- Soutenir en priorité les labels qui sont tout à la fois associés à des hauts scores d'exigence environnementale et qui génèrent des bénéfices économiques, comme l'AB ;
- Mieux informer les exploitants agricoles et les consommateurs des bénéfices économiques générés par ces labels à haut score d'exigence environnementale ;
- Analyser les coûts de la transition agroécologique pour les différentes exploitations, en développant un système de suivi sur le moyen terme.