mardi 30 novembre 2021

Le vieillissement de la population française va s'accentuer

 La population française culminerait à 69,3 millions d'habitants en 2044, avant de décliner à 68,1 millions en 2070, selon les projections de l'Insee publiées ce lundi. En 2040, l'Hexagone compterait 51 personnes de 65 ans ou plus pour 100 personnes de 20 à 64 ans, contre 37 en 2021.

Un peu plus nombreuse mais surtout plus âgée : d'ici à 2070, la France pourrait gagner 700.000 habitants et compter 68,1 millions personnes contre 67,4 millions actuellement. Les plus de 65 ans représenteraient alors 29 % de la population contre un cinquième aujourd'hui du fait du vieillissement des générations du « baby-boom ». Tel est le scénario central des dernières prévisions démographiques de l'Insee rendues publiques ce lundi.

Ces résultats corrigent nettement ceux présentés en 2016. L'institut tablait alors sur une population de… 76 millions de Français à horizon 2070. Mais les hypothèses de travail de l'Insee ont changé : « L'évolution constatée depuis 2014 a conduit à revoir à la baisse les gains d'espérance de vie. Par ailleurs, le taux de fécondité est lui aussi moins élevé que celui retenu comme hypothèse centrale dans les précédentes projections réalisées en 2016 », explique Isabelle Robert-Bobée, responsable de la division des enquêtes et études démographiques de l'Insee.

1,8 enfant par femme

Selon les nouvelles prévisions, en 2070, l'espérance de vie à la naissance des femmes serait de 90 ans, au lieu de 93 ans, et celle des hommes de 87,5 ans, contre 90,1 ans auparavant.

Par ailleurs, le taux de fécondité qui était à 1,84 en 2021 reculerait à 1,8 enfant par femme, alors que la prévision antérieure tablait sur une remontée à 1,95. « La pandémie de Covid n'est pas vue comme un facteur impactant les prévisions de long terme, la tendance sur les gains d'espérance de vie à venir reproduit celle observée avant l'épidémie », précise l'experte.

Détérioration du ratio entre actifs et retraités

Selon l'Insee, 2044 marquerait toutefois un point de rupture dans l'évolution de la démographie française. Jusqu'à cette période, la population augmenterait rapidement, de 1,9 million de personnes atteignant à cet horizon un pic de 69,3 millions dont un quart pourrait avoir au moins 65 ans contre un cinquième aujourd'hui.

« La poursuite du vieillissement de la population jusqu'en 2040 est quasi certaine », souligne l'Insee. Elle devrait entraîner une détérioration du ratio entre actifs et retraités. Selon les calculs de l'institut, en 2040, il y aurait 51 personnes de 65 ans ou plus pour 100 personnes de 20 à 64 ans, contre 37 en 2021. Une détérioration qui ne devrait pas échapper au Conseil d'orientation des retraites.

Des décès plus nombreux que les naissances

Après 2044, le nombre d'habitants en France déclinerait : les décès deviendraient plus nombreux que les naissances à partir de 2035. Et l'apport migratoire estimé, sur l'ensemble de la période, à 70.000 par an ne compenserait plus ce « déficit naturel ». Ce qui entraînerait une diminution de la population de 45.000 personnes par an.

L'analyse par tranches d'âge montre que « d'ici à 2070, la pyramide des âges serait largement modifiée ». Les plus de 75 ans seraient 5,7 millions plus nombreux qu'aujourd'hui. Le nombre des moins de 60 ans diminuerait en revanche de 5 millions. « Le poids de chaque catégorie d'âge rapporté à l'ensemble de la population ne change pas par rapport aux projections de 2016 », relève Isabelle Robert-Bobée.

En 2070, la moitié de la population française serait constituée des 20-64 ans. Les plus de 75 ans représenteraient 18 % des Français et les moins de 20 ans 20 % contre un quart aujourd'hui. « Il y aurait moins de population en âge de travailler mais aussi moins de personnes âgées, avec pour conséquence un ralentissement de la croissance potentielle mais aussi des dépenses liées au vieillissement», relève Mathieu Plane, économiste à l'OFCE.

« Les défenseurs de la “grande Sécu” n’ont pas dit leur dernier mot »

 Tribune. L’annonce d’une prochaine « grande Sécu » par le ministre de la santé, Olivier Véran, à six mois de l’élection présidentielle, avait suscité l’espoir de ceux qui, depuis plus de dix années, dénonçaient le caractère économiquement irrationnel et socialement injuste du « double payeur » pour un même soin, et prêchaient dans le désert.

Hélas, la douche froide n’a pas tardé : M. Véran aurait déjà abandonné l’idée. Le tir de barrage nourri des acteurs de la complémentaire santé semble avoir emporté la décision. Les défenseurs de la « Sécu » n’ont cependant pas dit leur dernier mot. C’est à nous de nous mobiliser.

Souvenons-nous de l’accord national interprofessionnel [effectif depuis le 1er janvier] 2016, sous un gouvernement de gauche, qui instaurait une complémentaire santé d’entreprise pour tous les salariés, moyennant des niches fiscales qui venaient ajouter au mitage de l’impôt.

Poursuite du désengagement

Ce dispositif, présenté comme une « grande avancée sociale » en contrepartie de la dérégulation accrue du marché du travail, a été perçu comme la poursuite du désengagement de la Sécurité sociale au profit d’organismes qui, bien que se réclamant de la solidarité, se calaient sur les pratiques assurantielles les plus banales – sélection des risques, tarification à l’âge et à la famille –, loin de la solidarité instaurée par les fondateurs de la Sécurité sociale.

Thomas Saunier, directeur général de l’assureur complémentaire Malakoff Humanis, a vendu la mèche puisqu’il a distingué la « Sécu », emblématique de la « solidarité », des organismes maladie complémentaires, relevant de la « liberté » (Le Monde du 18 novembre). Pour autant, il faut rappeler les faits historiques, loin de la communication des groupes qui s’opposent, de tribunes de presse en plateaux de télévision, au projet de « grande Sécu ».

Lire aussi  Article réservé à nos abonnés « Grande Sécu » : décryptage d’un projet clivant

Les fondateurs de la « Sécu », Pierre Laroque et Ambroise Croizat, souhaitaient dès 1945 généraliser le régime d’Alsace-Moselle à l’ensemble du pays, et ce malgré le traumatisme de l’invasion allemande. Autrement dit, ils désiraient, comme Keynes à propos des rentiers, l’euthanasie de la mutualité. Certes le mouvement mutualiste a suppléé aux défaillances de l’Etat avant-guerre (même si des projets d’assurances sociales obligatoires ont vu péniblement le jour, mais en restant restreints dans leur ambition).

Il aura fallu un intense lobbying de la mutualité pour qu’en 1947, la loi dite Morice« prise dans l’intérêt de la Mutualité » (à l’époque les choses étaient dites brut de décoffrage, sans artifice de communicants), réserve une place aux mutuelles, au nom du ticket modérateur. Un ticket modérateur bien politique car on saisit mal pourquoi un tel ticket modérerait la consommation de soins dès lors qu’il est réassuré par des « complémentaires santé ». Sous les atours scientifiques, c’est bien de politique dont il s’agissait.

Mépris de classe

Mais cette défaillance était organisée : petit patronat, mutuelles et syndicats de médecins libéraux ont lutté pied à pied contre l’avènement des assurances obligatoires. Avec les mêmes arguments qu’aujourd’hui : hostilité à la « médecine de caisse », « déresponsabilisation » de patients portés au consumérisme dès lors que « tout est gratuit », encouragement à la paresse et l’oisiveté, apologie de la « liberté de choix ».

Les urgences hospitalières sont devenues l’ultime recours pour [les plus démunis], la médecine de ville ne parvenant plus à répondre à la demande en raison de la pénurie organisée des professionnels

L’histoire de la Sécurité sociale est aussi rémanente que lassante : la coalition libérale, hier comme aujourd’hui, ressasse toujours les mêmes arguments, empreints de mépris de classe. Paradoxalement, l’avènement de la Sécurité sociale a permis à la profession médicale de considérablement s’enrichir, après que soit adoptée la convention nationale entre la « Sécu » et les syndicats de médecins libéraux…

Les années 1970 à 2000 furent des années fastes pour les médecins. Ce qui n’a pas empêché certains syndicats de réclamer, en 1979-1980, sous le gouvernement néolibéral de Raymond Barre, la création du secteur 2, dit à honoraires libres, devenu au fil du temps l’un des premiers obstacles à l’accès aux soins des plus démunis.

Les urgences hospitalières sont devenues l’ultime recours pour ces derniers, la médecine de ville ne parvenant plus à répondre à la demande en raison de la pénurie organisée des professionnels, de sa mauvaise répartition sur le territoire et de la banalisation des dépassements d’honoraires.

Hypocrisie historique

Ce « Yalta » historique est aujourd’hui arrivé à son terme. La pandémie a jeté une lumière crue non seulement sur les inégalités d’accès aux soins, mais aussi sur les inégalités face à la prévention. Les opposants à la « grande Sécu » cherchent à préserver leurs positions et leurs emplois. C’est bien compréhensible. Cependant, ces exigences ne peuvent rivaliser avec les impératifs de santé publique.

Lire aussi (1995) : Article réservé à nos abonnés Il était une fois… Cette « Chère Sécu », si lointaine et si proche

Le déploiement à partir de 2016 de l’accord national interprofessionnel a, d’une certaine façon, mis un terme à cette hypocrisie historique : les retraités et les fonctionnaires ont constaté que la pseudo-généralisation de la complémentaire d’entreprise se traduisait pour eux par un renchérissement insoutenable de leurs primes de mutuelles, lesquelles ont beaucoup d’argent pour financer, par exemple, des stades de foot ou d’onéreuses courses transatlantiques.

La « Sécu », c’est 5 % de frais de gestion ; les assurances-maladie complémentaires, c’est de 15 à 25 centimes d’euro pour 1 euro de prime qui s’évaporent dans les « frais d’acquisition de marché » (la publicité, en d’autres termes). Il suffit de compter le nombre de stades de football qui portent le nom d’une mutuelle ou d’un institut de prévoyance…

A l’heure où l’efficience est à l’ordre du jour, cette rente a eu son temps. Il est plus qu’urgent de passer à une vraie grande Sécurité sociale qui prend en charge à 100 % et de façon obligatoire un large périmètre de soins et de prévention. La création d’une « grande Sécu » mérite un débat public, mobilisons-nous pour qu’il ait lieu ! la « Sécu » doit redevenir un objet politique, et non l’affaire de gestionnaires et de comptables myopes, guidés par les pressions de l’industrie de l’assurance.

Ce texte a été signé par 43 professionnels de santé et 26 personnalités issues des mondes de l’université, de la recherche, de l’éducation populaire, du cinéma

lundi 29 novembre 2021

Arsenic, cadmium, chrome… Tous les Français sont contaminés aux métaux lourds, y compris les enfants

 Une étude de Santé publique France révèle que les niveaux d’imprégnation progressent et dépassent ceux observés dans la plupart des pays européens et d’Amérique du Nord.

Arsenic, cadmium, chrome, cuivre, mercure, nickel… Une quantité impressionnante de métaux lourds aux multiples effets néfastes sur la santé est présente dans l’organisme de l’ensemble de la population française, y compris les enfants. Et à des niveaux qui progressent et dépassent souvent ceux observés chez nos voisins européens et en Amérique du Nord.

Ce tableau inquiétant est issu de la grande enquête épidémiologique Esteban (Etude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition), pilotée depuis plusieurs années par Santé publique France (SPF). Les résultats ont été publiés jeudi 1er juillet, après un volet centré sur le plomb en 2020 et les polluants dits « du quotidien » en 2019. C’est, en outre, la première fois qu’une étude permet de mesurer à l’échelle du pays le niveau d’exposition des enfants à ces métaux. La précédente, l’étude nationale nutrition santé (ENNS), réalisée entre 2006 et 2007, ne concernait que des adultes.

Les travaux ont été menés entre avril 2014 et mars 2016 sur un large échantillon (1 104 enfants et 2 503 adultes âgées de 6 à 74 ans), représentatif de la population française. Ils s’appuient sur des prélèvements biologiques (urines, sang et cheveux) et un questionnaire sur les habitudes de vie ou alimentaires. Leur analyse croisée a permis de quantifier la présence de ces métaux dans la population et de mieux connaître les sources d’exposition.

Santé publique France rappelle que ces métaux ne sont pas anodins : ils peuvent être à l’origine de l’apparition de maladies chroniques (avec des effets osseux, rénaux, cardiovasculaires ou encore neurotoxiques), de déficience immunitaire ou encore de cancers.

Le cadmium, toxique cumulatif

Les principaux résultats montrent que la contamination est généralisée, en augmentation et supérieure aux autres pays. L’exposition de la population à ces métaux concerne « l’ensemble des participants adultes et enfants » : plus de 97 % à 100 % de détection selon les substances. Pour le mercure et le nickel, les niveaux de concentration mesurés chez les adultes sont équivalents à ceux retrouvés dans l’étude ENNS de 2006-2007.

Ils sont en revanche en augmentation pour l’arsenic, le cadmium et le chrome. Avec des dépassements des valeurs guides sanitaires pour l’arsenic et le cadmium, également constatés pour le mercure (et le plomb, dans l’étude de 2020). Pour le cadmium, près de la moitié de la population adulte française présente des niveaux supérieurs à la valeur recommandée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).

Le cas du cadmium est aussi emblématique que problématique. Il est classé cancérogène pour l’homme depuis 2012 par le Centre international de recherche sur le cancer, et mutagène et toxique pour la reproduction selon la réglementation européenne. C’est un toxique cumulatif : le risque d’apparition d’effets délétères est lié à la dose qui s’accumule dans l’organisme dans le temps. Il a des effets toxiques sur les reins, le squelette, l’appareil respiratoire, et est fortement suspecté d’être un perturbateur endocrinien.

A l’instar des autres métaux, on le retrouve dans l’environnement (sols, air, eaux), du fait de sa présence dans la croûte terrestre. Mais les sources de pollution sont également d’origine anthropique, liées aux activités industrielles et surtout agricoles. Le cadmium est en effet contenu dans les roches phosphatées utilisées pour fabriquer des engrais. Et la France est l’un des principaux consommateurs d’engrais phosphatés. Au point que leur utilisation est devenue la principale cause de contamination des sols au cadmium, et donc de l’alimentation, qui représente 90 % de l’exposition à cette substance pour les non-fumeurs.

Les « céréales au petit-déjeuner » en cause

Depuis plus de dix ans, les agences sanitaires alertent sur la nécessité de réduire son exposition. En 2009, l’Autorité européenne de sécurité des aliments a fixé un niveau hebdomadaire d’ingestion – 2,5 microgrammes/kg – à ne pas dépasser. Convaincue qu’il présente « un risque inacceptable pour l’homme et l’environnement », la Commission européenne a décidé de durcir sa réglementation en introduisant une limite pour la teneur en cadmium des engrais phosphatés. Passée de 60 milligrammes (mg)/kg en 2018 à 40 mg/kg cette année, elle doit encore être réduite de moitié d’ici à 2030.

Jusqu’ici, aucune étude n’avait mesuré le cadmium chez les enfants, hormis dans certaines situations locales de sites et sols pollués. SPF révèle que c’est « la consommation de céréales au petit-déjeuner » qui augmente les niveaux d’imprégnation chez les enfants. Chez les adultes, les niveaux sont plus élevés par rapport à ceux de 2006-2007. « Les hypothèses sont en cours d’évaluation, précise Clémence Fillol, responsable de l’unité surveillance des expositions à SPF. Mais l’explication pourrait être liée à l’augmentation des concentrations dans les sols et notamment agricoles, par l’apport d’engrais minéraux phosphatés et fertilisants riches en cadmium et à l’augmentation des concentrations dans l’alimentation. »

SPF relève en outre une « surimprégnation » au cadmium de la population en France par rapport aux autres pays européens et nord-américains. C’est un autre enseignement de l’étude Esteban : la France se distingue des autres pays. A l’exception du nickel et du cuivre, les niveaux mesurés pour les adultes et les enfants sont « plus élevés que dans la plupart des pays étrangers (Europe et Amérique du Nord) ». Pour l’arsenic, les niveaux moyens sont 30 % supérieurs aux pays du nord de l’Europe mais inférieurs à ceux du sud comme l’Espagne. Pour le cadmium, ils sont deux fois supérieurs aux autres pays, et même un peu plus pour le chrome.

Poissons, fruits de mer, tabac

Comment expliquer cette « surimprégnation » française ? Pour SPF, elle est d’abord à chercher dans les habitudes alimentaires. « La France est un pays consommateur de poissons et de produits de la mer dans des proportions plus importantes que les pays d’Europe du Nord, mais moins que ceux d’Europe du Sud, ce qui se voit dans les comparaisons pour l’arsenic et le mercure, notamment », explique Clémence Fillol. Or les mers et les océans sont de plus en plus pollués à l’arsenic, au mercure ou au chrome.

Une des hypothèses privilégiées par SPF pour expliquer l’élévation des niveaux d’arsenic et de chrome chez les Français depuis l’étude de 2006 réside précisément dans « l’augmentation des concentrations en arsenic et chrome dans les poissons et produits de la mer ». Les habitudes de consommation alimentaire de poissons et fruits de mer n’ont en effet pas changé depuis 2006. Quant à la consommation de tabac, une autre source d’exposition à ces métaux, elle a même diminué.

Aussi, SPF rappelle que si les poissons et produits de la mer ont « beaucoup de qualités nutritionnelles, leur consommation influence les concentrations en arsenic, cadmium, chrome et mercure ». L’agence nationale de santé publique ne va toutefois pas jusqu’à remettre en cause les recommandations du Programme national nutrition santé de consommer deux fois par semaine du poisson, dont un gras (pourtant susceptible de contenir davantage de métaux), en variant les espèces et les lieux de pêche.

Elle préfère insister sur le tabac et « la nécessité d’ancrer davantage la lutte contre le tabagisme », y compris passif, afin de réduire l’exposition au cadmium ou au cuivre. Pour le cadmium, l’étude souligne que « le tabac entraîne une augmentation de plus de 50 % d’imprégnation chez les fumeurs ». De manière générale, SPF juge qu’« il est nécessaire de poursuivre les mesures visant à diminuer les expositions de la population générale à ces substances en agissant en particulier sur les sources d’exposition ». Outre l’alimentation et le tabac, SPF a identifié d’autres sources : les plombages dentaires pour le mercure ou les implants médicaux pour le chrome.


mercredi 10 novembre 2021

Fleuves français : est-il possible de retrouver un bon état écologique ?

 Les dernières décennies ont été marquées par une recrudescence importante de l’« eutrophisation » ; on peut comparer ce phénomène à une forme d’indigestion des écosystèmes marins, gavés de quantités excessives d’azote et de phosphore.

Dans le sillage de nombreuses activités humaines (industrielles, agricoles ou domestiques), ces nutriments, utilisés en particulier comme engrais pour les cultures, sont en effet déversés dans les cours d’eau et les nappes phréatiques ; ils progressent ensuite vers le milieu marin.

Cette arrivée en masse de nutriments se traduit par le développement de végétaux, comme les macroalgues de type algues vertes ou de microalgues de type phytoplancton, qui peuvent être nuisibles ou toxiques.

Cette prolifération végétale tous azimuts peut provoquer en particulier une diminution de la concentration en oxygène dans l’eau et des changements de biodiversité conduisant ainsi à un état écologique dégradé, avec une modification de la structure et du fonctionnement des écosystèmes concernés.

Une alimentation équilibrée, le secret de santé du phytoplancton

Le plancton végétal (ou phytoplancton) est responsable de la production de la moitié de l’oxygène sur Terre. Il est à l’origine de la vie dans les mers et les océans. Il contribue aussi à absorber le dioxyde de carbone, réduisant ainsi l’effet de serre.

Premier maillon de la chaîne alimentaire en milieu marin, le phytoplancton doit lui aussi s’astreindre à un régime alimentaire équilibré. À l’instar de nos « cinq fruits et légumes par jour » préconisés chez les humains, il doit se nourrir d’un duo ou d’un trio de nutriments – phosphate, nitrate (pour tous) et silice (pour les organismes dits siliceux) – mais en « portions » bien précises.

S’il « mange » trop de l’un ou trop de l’autre, sa composition change et c’est tout l’écosystème marin qui s’en trouve perturbé.

Croissance vertigineuse

Si le phénomène de l’eutrophisation peut être d’origine naturelle – il se produit alors à des échelles de temps longues, géologiques –, la révolution industrielle, la croissance démographique et la concentration urbaine, sans oublier le développement de modèles d’agriculture plus intensive ont conduit à une eutrophisation dite « anthropique » qui se produit sur des échelles de temps (trop) courtes.

Aujourd’hui, on considère que les flux sortants à la mer ont quasiment doublé au cours du XXᵉ siècle aussi bien pour l’azote que pour le phosphore.

Au niveau mondial, le nombre et l’emprise des zones marines très pauvres en oxygène ont triplé depuis les années 1960. Un recensement de 2010 les porte à près de 500 avec une emprise géographique de 245 000 km2.

Parallèlement, on observe une augmentation de la diversité, de la fréquence, de l’importance et de l’extension géographique des proliférations de microalgues toxiques ces dernières décennies.

La reconquête de l’eau, une priorité publique

Lutter contre l’eutrophisation est donc une priorité pour la reconquête de la qualité des eaux côtières qui, avec les zones estuariennes, sont les environnements les plus productifs au monde. Environ 26 % de la biomasse végétale y prend place, alors que la surface de ces zones ne représente que 8 % de la surface de la Terre.

Ainsi, les effets de l’eutrophisation sont particulièrement marqués dans ces lieux, ce qui n’exclut pas des effets directs et indirects sur les zones plus au large.

Cette lutte contre l’eutrophisation constitue l’un des combats à l’échelle européenne de la directive-cadre stratégie pour le milieu marin (DCSMM) qui vise à maintenir ou à restaurer le fonctionnement des écosystèmes pour parvenir au bon état écologique des eaux marines.

Missionnées dans ce cadre pour fournir son expertise scientifique, les équipes de recherche de l’Ifremer dressent tous les 6 ans une évaluation de l’état des eaux en matière d’eutrophisation.

Un nouveau baromètre pour pister l’eutrophisation

Dans le dernier rapport d’évaluation DCSMM (2018) remis à l’Europe, nous avons utilisé le modèle EcoMARS3D qui a la particularité de coupler modèles biologique et physique, tout en nous appuyant sur les données in situ, mais aussi les produits dérivés des images satellites.

Ces approches multiples participent à affiner notre diagnostic.

Si les données in situ ont l’avantage d’être très fiables, elles demeurent parcellaires. Afin d’améliorer leur résolution spatiale et temporelle, une solution consiste à les compléter grâce à des informations provenant de capteurs installés sur des satellites (on parle alors de l’observation de la couleur de l’eau) et grâce à la modélisation.

La combinaison de ces différentes sources d’informations permet de définir un seuil de chlorophylle-a – indice-clé pour évaluer le risque d’eutrophisation que l’on déduit en cartographiant le plancton – à ne pas dépasser afin d’être compatible avec le bon état écologique, puis de définir la concentration de nutriments en mer qui y correspond.

À partir de cette concentration en mer, il est alors possible d’évaluer le flux de nutriments maximal acceptable en provenance du bassin versant.

Cette modélisation, réalisée en collaboration avec le consultant en ingénierie Actimar, permet de proposer des scénarios de réduction des apports de nutriments dans les cours d’eau afin d’aider à la prise de décision quant aux mesures à engager pour réduire l’eutrophisation.

De moins 80 % à moins 10 % de réduction de nutriments nécessaire

En s’appuyant sur ce nouveau modèle et en étant conscient de toutes les limitations qu’implique une telle approche, nous avons esquissé des scénarios spécifiques pour 45 fleuves représentatifs des principales sources de nutriments en France

L’objectif : calculer le taux de réduction en nutriments nécessaire afin de se rapprocher du « bon état écologique » au regard des critères définis par la Directive-cadre sur l’eau (DCE) et la Directive-cadre stratégie pour le milieu marin (DCSMM). Ce « bon état » des eaux marines désigne le bon fonctionnement des écosystèmes, au niveau biologique, physique, chimique et sanitaire, permettant un usage durable du milieu marin.

Les résultats obtenus montrent que pour ramener la façade Manche-Atlantique au-dessous des seuils de très bon état et bon état pour le nitrate, les apports des principaux fleuves – Garonne, Dordogne, Loire et Seine – doivent être réduits drastiquement : à savoir plus de 60 % pour le bon état et plus de 80 % pour le très bon état.

Certains petits fleuves côtiers (Bresle, Arques, Yar-Douron, Haute-Perche, Falleron, Sallertaine, Vie, Seudre) peuvent se contenter d’un abattement limité, voire nul car les activités susceptibles de contribuer aux apports des nutriments sont plus faibles sur les bassins versants concernés.

S’agissant du phosphore, les abattements préconisés sont plus faibles, entre 10 et 20 % pour les principaux fleuves, excepté la Seine qui avoisine les 60 %. Ce phénomène s’explique par des mesures de déphosphatation appliquées plus précocement et à une dynamique différente de ces nutriments, plus facile à limiter que l’azote.

Quant à la Méditerranée, son caractère de mer « oligotrophe », très pauvre en nutriments, la préserve d’une eutrophisation massive. Cette mer fermée reçoit en effet moins d’apports en nutriments que les autres façades maritimes françaises. Ses deux principales sources de nutriments sont les eaux de surface de l’Atlantique provenant du détroit de Gibraltar et le Rhône. Les problèmes restent de ce fait très ponctuels et cantonnés autour de l’embouchure du fleuve.

Une régénération possible (mais lente)

Ces chiffres marquent l’étendue des efforts à accomplir pour limiter l’eutrophisation côtière, mais attestent aussi de progrès sensibles grâce notamment à une diminution de la présence de phosphates dans l’eau.

Sur ce plan, la stratégie consistant à éliminer les phosphates des lessives avec une interdiction de vente prononcée en France dès 2007 a porté ses fruits. Du côté des nitrates, une amélioration a pu être constatée, mais le défi reste maintenant de parvenir à mieux juguler les apports azotés diffus liés au ruissellement, de la terre vers la mer.

Même si on coupait tous les robinets d’apports de nutriments dans les cours d’eau en même temps, la situation ne s’améliorerait pas instantanément. Il faut avoir conscience que, face au phénomène d’eutrophisation, le temps de régénération des écosystèmes est long – les nutriments emprisonnés dans les nappes et les sédiments sont par exemple relargués avec un effet retard.

La modélisation, une aide précieuse

D’où la nécessité de ne pas baisser la garde devant cette prolifération végétale galopante qui n’est pas qu’un problème français et se révèle une source de préoccupation à l’échelle mondiale.

En tant que scientifiques, nous visons à améliorer constamment les connaissances sur ces phénomènes pour offrir – comme avec le modèle EcoMARS3D – des outils précieux d’aide à la décision. Nous poursuivons notre travail de modélisation pour le rendre encore plus efficient à l’horizon 2024, date de la prochaine évaluation de la DCSMM.

Parallèlement, dans le cadre de la convention OSPAR pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est, nous optimisons aussi des outils de modélisation pour définir cette fois les seuils aval à ne pas dépasser afin de faire cap sur une amélioration de la qualité des eaux à l’échelle de l’Atlantique nord-est.

D’amont en aval, la boucle est bouclée pour mieux circonscrire la croissance d’un plancton devenu parfois indésirable alors qu’il est source de vie.

Méditerranée : On sait pourquoi les sardines sont atteintes de nanisme

 L’Ifremer a déterminé pourquoi les sardines de Méditerranée souffrent de nanisme. L’origine du problème est liée à une alimentation dégradée

  • Perte de taille conséquente, chute de la biomasse, les sardines inquiètent depuis des années en Méditerranée.
  • Le petit pélagique tient une place importante dans la chaîne alimentaire et pour la filière économique de la pêche.
  • L’Ifremer a déterminé que la baisse du nombre et de la qualité du plancton, liée notamment au réchauffement climatique, est à l’origine de ce changement de métabolisme.

Le phénomène inquiète la filière depuis des années. La taille de sardines a fortement diminué en Méditerranée au cours des dernières années, passant en moyenne de 15 à 11 cm. Et la proportion est pire encore en termes de poids, puisque la biomasse de ces petits pélagiques a chuté de 30 à 10 grammes en moyenne.

Après plusieurs années de recherche, l’Ifremer a confirmé l’hypothèse émise au cours des dernières années. « Ce n’est ni la pêche, ni les prédateurs naturels [thon ou dauphin], ni un virus qui en est la cause, mais leur alimentation, souligne l’institut. Le plancton est moins nourrissant, ce qui vient d’être confirmé par les résultats du projet scientifique Mona Lisa. »

Chute de 15% de la quantité de micro-algues

Le souci a été identifié. Il est situé à la base de la chaîne alimentaire. « Les images par satellite montrent clairement une baisse de la quantité de micro-algues au milieu des années 2000, allant jusqu’à 15%. C’est-à-dire au moment où on commençait à observer la baisse de taille des sardines », précise Jean-Marc Fromentin, chercheur à l’Ifremer, à Sète.

Des micro-algues moins nombreuses, un plancton plus petit et moins énergétique. Le problème se répercute à chaque niveau de la chaîne. Leur origine provient très certainement de changements environnementaux régionaux importants et notamment l’augmentation globale de la température de 0,5°C en 30 ans en moyenne en lien avec le changement climatique.

Pour démontrer la corrélation entre le changement d’alimentation et celle du métabolisme de la sardine, l’Ifremer a mené une expérience avec 450 de ces poissons dans la station expérimentale de Palavas-les-Flots, près de Montpellier. Ils ont été répartis en quatre groupes, avec comme variable la taille et la quantité des aliments. Les poissons nourris avec des proies de même taille et même quantité que par le passé ont retrouvé leur taille d’avant 2008.

Des sardines plus petites, un problème de taille pour les pêcheurs

« Avec des aliments de petite taille, la sardine consomme ses proies en mode « filtration » au travers de ses branchies, ce qui implique une nage soutenue pendant une assez longue période, détaille l’Ifremer. Avec des aliments de grande taille, la sardine gobe ses proies une par une, ce qui requiert un temps de nage soutenue bien moins long et donc une moindre dépense d’énergie. »

La filière connaît désormais l’origine du problème. Mais ce défaut dans la chaîne trophique a des conséquences très inquiétante pour les professionnels. Ils se retrouvent confrontés à l'absence de débouchés pour écouler ces prises plus petites


lundi 8 novembre 2021

Gisèle Jourda : « Personne n’a intérêt à ce que l’on sache que les sols sont pollués »

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Prosulfocarbe : pourquoi la filière bio dénonce l’utilisation de cet herbicide

 Très volatil, ce produit de traitement sur céréales, épandu en automne, contamine les cultures bio. La filière bio vient de demander aux préfets l’interdiction de l’herbicide dans douze départements.

« Ma récolte de sarrasin, sur 8 hectares, l’an dernier, a dû être détruite. » Josué Diesny, éleveur laitier bio à Nocé, dans le Perche ornais, a évalué le préjudice de sa ferme, le Gaec du Pis Vert, à 6 500 €. La faute au prosulfocarbe utilisé chaque automne, dans la foulée des semis de blé, par des agriculteurs conventionnels. Cet herbicide très volatil se retrouve dans les champs bio, contaminant les récoltes de pommes, de poires, la roquette, le cresson ou le blé noir (sarrasin).

En début d’année, la coopérative Biocer a dû expédier au méthaniseur environ 60 des 90 tonnes de sarrasins bio collectées. Dont la récolte du Gaec du Pis Vert. Des lots étaient devenus impropres à la consommation après que des analyses ont révélé la présence de résidus de prosulfocarbe dépassant jusqu’à cent fois la limite maximale autorisée (vingt-cinq fois en moyenne). La coopérative de l’Eure, qui collecte 25 000 tonnes de céréales bio en Normandie et dans les Hauts-de-France, chiffre la perte à 80 000 €.

Les cultivateurs installés en Normandie, Beauce et Picardie, qui ont livré leur récolte, n’ont pas été rémunérés. Ils n’ont pas été remboursés par leur assurance, faute de pouvoir identifier les responsables de la pollution. Résultat ? « Cet automne, la moitié de la récolte de sarrasin a été avancée pour éviter les épandages de prosulfocarbe, explique Guillaume Roche, responsable développement filière chez Biocer. Mais nous avons des craintes pour le sarrasin qui n’a pas encore été récolté, alors que les semis de blé viennent de démarrer. Les deux lots seront séparés. »


« Pas de risque sanitaire »


La coopérative Centre bio a connu la même mésaventure. Cette filiale d’Axéréal a été contrainte de détruire 51 tonnes de sarrasins bio contaminés au prosulfocarbe. La perte a été chiffrée à 53 000 €. Les vergers, y compris conventionnels, sont aussi touchés. La Fédération nationale des producteurs de fruits à cidre (FNPFC) a retrouvé l’herbicide sur les pommes dans toutes les régions de production. Le prosulfocarbe se volatiliserait jusqu’à 3 km au-delà de sa pulvérisation.

Le 14 octobre, avant le redémarrage des épandages automnaux, la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab), les Groupements d’agriculteurs biologiques (Gab), Forébio (coopératives bio) et l’association environnementaliste Générations futures ont réclamé à douze préfets de l’Ouest (Mayenne, Sarthe, Loire-Atlantique, Orne, Côtes-d’Armor, Maine-et-Loire, Vendée et Ille-et-Vilaine) et du Centre de la France « l’interdiction immédiate (et temporaire) de tous les produits à base de prosulfocarbe » ou, du moins, « la mise en œuvre de mesures drastiques de restriction d’utilisation, dont l’efficacité devra être démontrée » .

Ils avaient déjà demandé, en juin, la suspension de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) du produit commercial. En vain. « Les niveaux de contamination n’entraînent pas de risque sanitaire pour les consommateurs » , précise Charlotte Grastilleur, directrice générale déléguée au pôle produits réglementés de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses). L’Anses a encadré l’usage de l’herbicide (buse anti-dérive, traitement à plus de 500 m d’une culture voisine, restrictions horaires pour un usage en hygrométrie élevée). Mais le prosulfocarbe, deuxième herbicide le plus consommé après le glyphosate, resterait volatil après l’épandage. Une fois déposé sur la culture.

Interrogé, le ministère de l’Agriculture dit « lancer un groupe de travail pour approfondir les questions soulevées par le projet GeRiCo (gestion du risque de contamination) piloté par la Fnab, entre 2019 et 2021 » et ce « afin de proposer des solutions répondant aux besoins des agriculteurs bio pour ces cas les plus complexes » . La substance active, autorisée jusqu’au 31 octobre 2022, est en cours de réévaluation au niveau européen.

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