mardi 31 août 2021

Pesticides : une consommation mondiale en hausse malgré 60 ans de protection intégrée des cultures

 Depuis sa naissance dans les années 1960, le concept d’IPM (Integrated Pest Management, protection intégrée des cultures) a visé, entre autres, à rationaliser et à réduire l’usage des produits chimiques contre les organismes nuisibles des cultures. Mais pourtant, 60 ans plus tard, la quantité de pesticides utilisés au niveau mondial continue d’augmenter. Pollution des sols, des eaux et de l’air, baisse des populations de pollinisateurs, impacts sanitaires sur les écosystèmes et populations humaines, développement de résistances chez les ravageurs des cultures… Face aux problèmes que pose la dépendance aux pesticides, des alternatives basées sur l’agroécologie sont possibles. Avec d’autres auteurs internationaux, des chercheurs du Cirad et d’INRAE publient une analyse de plus de 400 références scientifiques et plaident pour un tournant vers une protection des cultures basée sur les principes de l’agroécologie.

« Bonnes intentions, dures réalités » : le constat dressé par cette étude parue le mois dernier dans Agronomy for Sustainable Development est difficile à entendre, tant le concept d’IPM a été prégnant au cours des 60 dernières années dans le domaine de la protection des cultures. La consommation de pesticides au niveau mondial continue d’augmenter et les quelques réductions notables restent modestes et localisées. Ainsi, selon la FAO, l’usage des pesticides au niveau mondial a quasiment doublé entre 1990 et 2018, passant de 2,3 à 4,1 millions de tonnes*. Un fossé entre « théorie » et « pratique » qui ne se résorbe pas, et que les auteurs de l’article imputent en partie au flou autour du concept de l’IPM.

« Il existe une centaine de définitions de l’IPM. Chacun se réapproprie le concept comme il l’entend, note Jean-Philippe Deguine, agroécologue et entomologiste au Cirad et premier auteur de l’étude. Ce flou a engendré des interprétations diverses, alimenté la confusion sur le terrain, débouchant parfois sur la mise en place de stratégies contradictoires. »

L’étude dénonce l’absence fréquente de la mobilisation des processus écologiques dans les mesures actuelles de l’IPM. Face à un concept qui leur paraît désormais dépassé, les scientifiques plaident pour une protection agroécologique des cultures qui révolutionnerait les méthodes et acquis, tout en répondant aux enjeux actuels et futurs de l’agriculture, aussi bien au Nord qu’au Sud.

Intégration ou juxtaposition de techniques ?

En théorie, la protection intégrée promeut l’intégration harmonieuse de différentes techniques de contrôle des populations de bioagresseurs et les pesticides doivent être utilisés avec parcimonie. En pratique, les pesticides prévalent encore largement. A titre d’exemple, en France, dans 78 % des cas où l’usage de néonicotinoïdes est autorisé, au moins une alternative non chimique, si ce n’est plusieurs solutions possibles, existe et pourrait être utilisée.

« La plupart des agriculteurs ont une « aversion au risque » et ils justifient les traitements chimiques par des logiques économiques de court terme, explique Françoise Lescourret, directrice de recherche en agroécologie à INRAE sur le site d’Avignon et co-auteure de l’étude. Ils considèrent souvent que l’utilisation de pesticides les préserve du risque de perte de récolte alors que, sur le long terme, cette utilisation peut créer nombre de problèmes aux cultures et à l’environnement. »

Dès lors que la base de la protection des cultures est chimique, quelle place et quel impact peuvent avoir d’autres méthodes de lutte, comme la lutte biologique ? L’intégration des différents outils de lutte se fait rarement de manière optimale, selon Jean-Philippe Deguine. Il précise : « Dans la plupart des cas, on observe une superposition de plusieurs techniques de protection, plutôt qu’une véritable intégration, cohérente, ordonnée, compatible. Cela veut dire que les agriculteurs enchaînent souvent différentes techniques, d’abord chimiques, et éventuellement culturales, biologiques, etc. Ces enchaînements sont souvent incompatibles ou incohérents. Une lutte chimique impacte en effet aussi bien les agresseurs des cultures que les insectes auxiliaires qui peuvent les réguler ».

La protection agroécologique des cultures : mettre les principes de l’écologie au centre

Fortement déséquilibrés par l’usage des pesticides, de nombreux agroécosystèmes sont en perte de vitesse en terme de productivité, avec une forte érosion de la biodiversité. Pour restaurer la santé des écosystèmes et préserver la santé globale, il est urgent de remettre les principes de l’écologie au cœur de la protection des cultures.

Appliquer les principes de l’agroécologie à la protection des cultures signifie essentiellement améliorer la santé des sols et développer la biodiversité dans les parcelles cultivées et aux alentours (haies, zones « semi-naturelles » et autres infrastructures agroécologiques), afin de favoriser notamment la présence d’auxiliaires des cultures, c’est-à-dire les ennemis naturels des ravageurs des cultures.

Depuis une dizaine d’années, le Cirad teste la protection agroécologique dans différents systèmes de culture maraîchers et fruitiers. A la Réunion par exemple, la méthode a fait ses preuves en vergers de manguiers. Sur un total de 13 vergers de manguiers étudiés pendant trois années successives :

  • L’usage des pesticides a pu être très fortement réduit, voire quasiment supprimé**.
  • Les coûts de protection ont été réduits de plus de moitié.
  • La charge de travail a baissé de près de 30 %.
  • La biodiversité dans les champs et aux alentours a connu une forte augmentation (près de 800 espèces d'arthropodes et plus d'une centaine de plantes herbacées recensées dans les vergers agroécologiques).
  • La production, en termes de quantité de fruits, n’a pas été significativement réduite.

L’expérience est également concluante, à une plus large échelle, pour les bananeraies aux Antilles, où le Cirad, avec ses partenaires professionnels, a montré l’efficacité des plantes de couverture notamment, pour réduire l’usage des pesticides. Ceux-ci ont été réduits de plus de moitié par la filière.

Les expériences se multiplient également en France métropolitaine. Pour INRAE, les plateformes expérimentales de Dijon-Epoisses, pour les grandes cultures, et de Gotheron, pour l’arboriculture, placent la biodiversité planifiée – infrastructures paysagères, plantes de service, plantes de couverture, associations végétales dans l’espace et/ou le temps – au centre de systèmes sans pesticides.

« Bien sûr au-delà de ces exemples, il reste encore beaucoup à faire en terme de recherche pour développer une protection agroécologique efficace et utilisable pour la grande diversité des cultures », souligne les chercheurs. Certaines cultures sont largement impactées par une large diversité de bioagresseurs et d’autres espèces sont très sensibles à des pathogènes parfois très destructeurs. « Cela nécessite un fort investissement en recherche pour développer plus largement les solutions de protection agroécologique ».

L’objectif de la protection agroécologique des cultures vise à supprimer l’utilisation des pesticides à moyen terme. Pour y parvenir, les scientifiques recommandent notamment :

  • D’appliquer sur le terrain une stratégie de protection ordonnée, basée sur les principes de l’écologie et privilégiant la prévention des bioagressions
  • De n’envisager d’éventuels traitements chimiques qu’en dernier recours et en utilisant des produits respectant la biodiversité (abeilles et autres pollinisateurs, microorganismes et faune du sol, etc.)
  • D’investir davantage dans la formation aux techniques agronomiques préventives et de protection agroécologique et à la prévention des risques phytosanitaires
  • De favoriser les approches participatives avec les agriculteurs pour développer des solutions adaptées aux différents terrains et qui seront ainsi plus aisément appropriables.

Mais aussi et surtout, de développer des politiques publiques plus incitatives pour réduire l’usage des pesticides et soutenir la transition agroécologique.

 

* Source : FAO (2020)

mardi 24 août 2021

Le système des courants de l’océan Atlantique au bord de la rupture

 Cette circulation océanique, qui joue un rôle de thermostat de la planète, est de plus en plus affectée par les émissions de gaz à effet de serre.



Des hivers plus cléments au nord, des étés moins chauds au sud. La Circulation méridienne de retournement atlantique, un courant océanique aussi appelé AMOC, joue un rôle de thermostat de la planète. Mais ce système, dont fait partie le Gulf Stream, est aujourd’hui arrivé à son point de rupture, suggère une étude parue dans la revue Nature Climate Change, jeudi 5 août.

L’AMOC est en effet l’un des principaux systèmes de circulation océanique de la Terre. Tel un tapis roulant géant, ce courant transporte l’eau chaude et salée de l’équateur vers le nord. Cette eau se refroidit alors et devient ainsi plus dense. Lorsqu’elle est suffisamment lourde, elle s’enfonce vers des couches océaniques plus profondes et retourne vers le sud. Au total, ce courant déplace près de 20 millions de mètres cubes d’eau par seconde, soit près d’une centaine de fois le flux du fleuve Amazone.

En février déjà, une étude dans la même revue avait alerté sur la diminution de puissance de l’AMOC, au plus bas depuis un millénaire. Aujourd’hui Niklas Boers, climatologue à l’Institut de recherche de Potsdam (Allemagne) sur les effets du changement climatique, démontre que le point de non-retour est proche. « Alors que l’on savait que l’AMOC était à son plus faible niveau depuis au moins mille ans, la question restait ouverte de savoir si cet affaiblissement était simplement une variation du système ou s’il était associé à une perte de stabilité, explique-t-il. Il faut imaginer une chaise que l’on peut déplacer ou incliner ; dans le premier cas, sa stabilité ne sera pas affectée, dans le second cas, il y a un point d’inclinaison au-delà duquel la chaise va tomber : le point de basculement. »

Les résultats de l’étude montrent que l’affaiblissement de l’AMOC est associé à une baisse de stabilité, et que le courant s’est donc rapproché du seuil critique à partir duquel il pourrait s’effondrer. L’état des connaissances actuel ne permet toutefois pas de savoir si ce basculement est imminent ou s’il risque de survenir dans plusieurs siècles.

jeudi 12 août 2021

Le rapport du GIEC en 18 graphiques

https://www.lemonde.fr/blog/huet/2021/08/09/le-rapport-du-giec-en-18-graphiques/

A Saint-Rogatien, les cancers pédiatriques alimentent la suspicion sur les pollutions de l’environnement

 Quand trop d’enfants sont frappés par le cancer, l’attention portée à l’environnement a tendance à s’aiguiser. « S’il n’y avait pas eu tout ça, je n’aurais sans doute rien remarqué, je n’aurais pas fait attention », reconnaît Romain Gouyet. Le 17 janvier, alors qu’il se promène à vélo au milieu des champs, tout à côté de sa maison de Saint-Rogatien (Charente-Maritime), dans l’agglomération rochelaise, l’informaticien de 48 ans remarque un surprenant manège : du captage de Casse-Mortier, qui alimente plusieurs communes alentours : une gerbe d’eau est directement envoyée au fossé. « Spontanément, je me suis demandé pourquoi on gaspillait autant d’une eau censée être bonne pour la consommation », raconte Romain Gouyet. Peut-être, précisément, que cette eau n’était plus vraiment bonne pour la consommation.

A Saint-Rogatien, comme dans plusieurs communes du Grand Ouest de la France, l’accumulation de cancers pédiatriques, depuis quelques années, a rendu les habitants soupçonneux. Sur l’air qu’ils respirent, sur l’eau qu’ils boivent. Dans cette commune de 2 200 habitants, au cœur de la plaine céréalière d’Aunis, six enfants ont été victimes d’un cancer entre 2009 et 2018 – dont cinq depuis 2013. Selon une étude menée en octobre 2020 par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et le Registre des cancers de Poitou-Charentes, le nombre de cancers pédiatriques diagnostiqués à Saint-Rogatien entre 2008 et 2017 a été plus de quatre fois supérieur à la moyenne du département. Par rapport à cette référence, le taux de cancers des jeunes adultes (de 25 à 49 ans) de la commune a été le double de ce qui était attendu sur la même période.

Le surlendemain de la découverte de Romain Gouyet, au conseil municipal de Périgny, l’une des cinq communes alimentées par le captage de Casse-Mortier, l’un des élus de l’agglomération rochelaise, Guillaume Krabal, est interpellé. Il donne l’explication. Le captage, explique-t-il alors, « est situé au milieu d’une plaine agricole impactée par les herbicides et les pesticides, elle est très difficile à protéger et toujours à la limite des seuils de qualité de l’eau ». Début janvier, ajoute-t-il, l’agence régionale de santé (ARS) a été informée que le captage est contaminé par un herbicide très utilisé à l’automne sur les cultures céréalières, le chlortoluron : les seuils étaient « largement dépassés », déclare M. Krabal, et l’eau « plus du tout potable ».

mardi 10 août 2021

Climat: la demande d'électricité croît plus vite que les renouvelables, alerte l'AIE (Agence internationale de l'énergie)

 

La demande mondiale d'électricité croît plus vite que le déploiement des énergies renouvelables, amplifiant le recours aux énergies fossiles et d'abord au charbon, premières sources du réchauffement planétaire, alerte jeudi l'Agence internationale de l'énergie (AIE).

Avec la reprise économique, la demande d'électricité devrait croître de 5% en 2021, une hausse dont près de la moitié sera comblée par des combustibles fossiles, du gaz mais surtout du charbon, de quoi "porter les émissions de CO2 du secteur électrique à des niveaux record en 2022", pointe le rapport semestriel sur le marché électrique.

L'Asie - surtout la Chine et l'Inde - tire l'essentiel de la demande de courant, qui devrait repartir de 5% cette année et 4% l'an prochain, après avoir reculé de 1% en 2020 du fait de la pandémie.

La part d'origine renouvelable (barrages, éolien, solaire...) devrait croître fortement, de quelque 8% en 2021 et 6% en 2022, estime l'AIE sur la base des grandes tendances économiques et des mesures nationales connues.

Mais les renouvelables ne devraient couvrir qu'une moitié de la demande supplémentaire annoncée. Quelque 45% sera couverte par des énergies fossiles (40% en 2022), le reste par de l'énergie nucléaire.

Conséquence: les émissions de CO2 du secteur électrique, après avoir décru ces deux dernières années, devraient augmenter de 3,5% en 2021 et 2,5% en 2022, pour aboutir à un niveau record.

"L'électricité d'origine renouvelable croît de façon impressionnante en de nombreux endroits du monde, mais pas assez encore pour nous placer sur la voie du zéro émission net au milieu du siècle", constate Keisuke Sadamori, directeur Marchés et sécurité énergétique au sein de l'AIE. "Pour passer sur une trajectoire durable, nous devons relever massivement les investissements dans les technologies propres, en particulier les renouvelables et l'efficacité énergétique".

Si le monde veut atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, il doit commencer par réduire ses émissions dans le secteur électrique, le plus simple à décarboner. Pour l'AIE, cela signifie que la production issue du charbon, combustible le plus réchauffant de tous, doit baisser de plus de 6% par an en 2020-25; or à ce stade elle devrait croître de 5% cette année et de 3% en 2022, estime l'Agence.

Expertise collective Inserm. Pesticides et effets sur la santé : nouvelles données

 Résumé 

 Les pesticides regroupent l’ensemble des produits utilisés pour lutter contre les espèces végétales indésirables et les organismes jugés nuisibles. Qu’il s’agisse de pesticides autorisés aujourd’hui ou utilisés par le passé (dont certains sont rémanents), ils suscitent des inquiétudes concernant leurs effets possibles sur la santé humaine et plus largement sur l’environnement. Afin de mieux apprécier leurs effets sanitaires, l’Inserm a été saisi en 2018 par cinq directions générales ministérielles en vue d’actualiser l’expertise collective intitulée « Pesticides : Effets sur la santé » publiée en 2013. L’expertise collective de 2021 dresse un bilan des connaissances dans le domaine au travers d’une analyse critique de la littérature scientifique internationale publiée depuis 2013. Plus de 5 300 documents ont été rassemblés et analysés par un groupe d‘experts multidisciplinaire. L’expertise commence par une analyse sociologique de la montée des préoccupations concernant les pesticides et une présentation des connaissances sur l’exposition aux pesticides de la population française, puis elle aborde une vingtaine de pathologies dont les troubles du développement neuropsychologique et moteur de l’enfant, les troubles cognitifs et anxio-dépressifs de l’adulte, les maladies neurodégénératives, les cancers de l’enfant et de l’adulte, l’endométriose, et les pathologies respiratoires ainsi que thyroïdiennes. Une dernière partie est consacrée à des pesticides ou familles de pesticides particuliers : le chlordécone, le glyphosate et les fongicides inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHi). La présomption d’un lien entre l’exposition aux pesticides et la survenue d'une pathologie est appréciée à partir des résultats des études épidémiologiques évaluées et est qualifiée de forte, moyenne ou faible. Ces résultats sont mis en perspective avec ceux des études toxicologiques pour évaluer la plausibilité biologique des liens observés. 

 Exposition en milieu professionnel  

En considérant les études sur des populations qui manipulent ou sont en contact avec des pesticides régulièrement, et qui sont a priori les plus exposées, l’expertise confirme la présomption forte d’un lien entre l’exposition aux pesticides et six pathologies : lymphomes non hodgkiniens (LNH), myélome multiple, cancer de la prostate, maladie de Parkinson, troubles cognitifs, bronchopneumopathie chronique obstructive et bronchite chronique. Pour les LNH, il a été possible de préciser des liens (présomption forte) avec des substances actives (malathion, diazinon, lindane, DDT) et avec une famille chimique de pesticides (organophosphorés), et pour la maladie de Parkinson et les troubles cognitifs avec les insecticides organochlorés et les organophosphorés, respectivement. Il s’agit essentiellement de pesticides pour lesquels les études se sont appuyées sur des biomarqueurs permettant de quantifier l’exposition. Les études toxicologiques confirment que les mécanismes d’action de ces substances actives et familles de pesticides sont susceptibles de conduire aux effets sanitaires mis en évidence par les études épidémiologiques. Des liens ont été identifiés pour d’autres pathologies ou événements de santé avec une présomption moyenne. C’est le cas notamment pour la maladie d’Alzheimer, les troubles anxio-dépressifs, certains cancers (leucémies, système nerveux central, vessie, rein, sarcomes des tissus mous), l’asthme et les sifflements respiratoires, et les pathologies thyroïdiennes.

Exposition pendant la grossesse ou l'enfance  

Les études épidémiologiques sur les cancers de l’enfant permettent de conclure à une présomption fortede lien entre l’exposition aux pesticides de la mère pendant la grossesse (exposition professionnelle ou par utilisation domestique) ou chez l’enfant et le risque de certains cancers, en particulier les leucémies et les tumeurs du système nerveux central. Les études de cohortes mères-enfants ont permis de caractériser les liens entre l’exposition professionnelle ou environnementale (c’est-à-dire en population générale) des mères pendant la grossesse et les troubles du développement neuropsychologique et moteur de l’enfant. Il est difficile de pointer des substances actives en particulier, mais certaines familles chimiques de pesticides sont impliquées, avec un niveau de présomption fort, notamment les insecticides organophosphorés et les pyréthrinoïdes dont l’usage a augmenté en substitution aux insecticides organophosphorés. Le lien entre les organophosphorés et l’altération des capacités motrices, cognitives et des fonctions sensorielles de l’enfant est confirmé et les nouvelles études sur les pyréthrinoïdes mettent en évidence un lien entre l’exposition pendant la grossesse et l’augmentation des troubles du comportement de type internalisé tels que l’anxiété chez les enfants. Les données expérimentales sur des rongeurs suggèrent une hyperperméabilité de la barrière hémato-encéphalique aux pyréthrinoïdes aux stades les plus précoces du développement, confortant la plausibilité biologique de ce lien. De plus, comme le montrent les études récentes d’expologie, ces insecticides, qui ont été à la fois utilisés en agriculture mais également dans les sphères domestiques, induisent une contamination fréquente des environnements intérieurs.  

Exposition des riverains des zones agricoles 

 Les populations riveraines des zones agricoles peuvent être concernées par la dérive des produits épandus sur les cultures. En effet, des études suggèrent une influence de la proximité aux zones agricoles sur la contamination par les pesticides du lieu de vie, variable selon les substances, leur mode d’application et la manière d’estimer l’exposition. Des études écologiques ou cas-témoins avec géolocalisation reposant sur la caractérisation de l’activité agricole au voisinage des adresses de résidences suggèrent un lien entre l’exposition des riverains des terres agricoles et la maladie de Parkinson, et également entre la proximité résidentielle à des zones d’épandages de pesticides (rayon <1,5 km) et le comportement évocateur des troubles du spectre autistique chez l’enfant. Cependant, ces études présentent des limites importantes liées à l’évaluation fine de l’exposition ou à l’absence de données individuelles, ce qui rend le niveau de présomption faible.  

Focus sur le chlordécone, le glyphosate et les inhibiteurs de la succinate déshydrogénase 

 Le chlordécone, insecticide utilisé aux Antilles françaises dans le passé, persiste de nos jours dans les milieux naturels insulaires. La consommation des denrées alimentaires contaminées a entraîné une contamination de l’ensemble de la population. La présomption forte d’un lien entre l’exposition au chlordécone de la population générale et le risque de survenue de cancer de la prostate a été confirmée. En considérant l’ensemble des données épidémiologiques et toxicologiques disponibles, la causalité de la relation est jugée vraisemblable. 

Concernant l’herbicide glyphosate, l’expertise a conclu à l’existence d’un risque accru de LNH avec une présomption moyenne de lien. D’autres sur-risques sont évoqués pour le myélome multiple et les leucémies, mais les résultats sont moins solides (présomption faible). Une analyse des études toxicologiques montre que les essais de mutagénicité sur le glyphosate sont plutôt négatifs, alors que les essais de génotoxicité sont plutôt positifs, ce qui est cohérent avec l'induction d'un stress oxydant. Les études de cancérogenèse expérimentale chez les rongeurs montrent des excès de cas, mais ne sont pas convergentes. Elles observent des tumeurs différentes, pour les mâles ou les femelles, qui ne se produisent qu’à des doses très élevées et uniquement sur certaines lignées. D’autres mécanismes de toxicité (effets intergénérationnels, perturbation du microbiote...) sont évoqués qu’il serait intéressant de considérer dans les procédures d’évaluation réglementaire.  

Pour les fongicides SDHi, qui perturbent le fonctionnement mitochondrial par l’inhibition de l’activité SDH, un complexe enzymatique impliqué dans la respiration cellulaire et le cycle de Krebs, il n’existe à ce jour pratiquement aucune donnée épidémiologique portant sur les effets possibles de ces substances sur la santé des agriculteurs ou de la population générale. Les études toxicologiques ou mécanistiques montrent que certains SDHi pourraient être considérés comme des perturbateurs endocriniens au moins chez les modèles animaux utilisés (poissons). Alors que les SDHi ne présentent aucune génotoxicité, certains montrent des effets cancérogènes chez les rongeurs mais ce résultat est discuté sur la base d’un mécanisme de cancérogenèse non extrapolable aux humains. Des recherches sont nécessaires pour améliorer l'évaluation du potentiel cancérogène des SDHi, et plus généralement des composés non génotoxiques, et pour combler les lacunes dans les données humaines par le renforcement de la biosurveillance et l’exploitation des cohortes existantes.  

En conclusion, l’expertise souligne l'importance de réévaluer périodiquement les connaissances dans ce domaine. La confirmation et la mise en évidence de présomptions fortes de liens entre certaines pathologies et l’exposition aux pesticides doivent orienter les actions publiques vers une meilleure protection des populations. Ces questions relatives aux liens entre une exposition aux pesticides et la survenue de certaines pathologies s’inscrivent dans une complexité croissante, la littérature faisant apparaître une préoccupation concernant les effets indirects de certains pesticides sur la santé humaine par le biais des effets sur les écosystèmes. L’interdépendance en jeu mériterait d’être davantage étudiée et intégrée, au même titre que les aspects sociaux et économiques afin d’éclairer les prises de décisions lors de l’élaboration des politiques publiques.

Les fleuristes, victimes ignorées des pesticides : « Si l’on m’avait mise en garde, ma fille serait encore là »

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