Conséquence de ce dérèglement, ses eaux attirent de nombreuses espèces et essences non endémiques qui provoquent des pertes catastrophiques de biodiversité.
La Méditerranée vit des poussées de fièvre qui provoquent chez elle des symptômes inédits. Il arrive désormais à la Grande Bleue de se couvrir de nappes de « morve de mer » causées par des efflorescences de phytoplancton qui barbouillent de beige la surface de l’eau, quand elle ne se métamorphose pas en soupe de méduses au fur et à mesure que celles-ci prolifèrent lors d’épisodes plus longs et plus fréquents. Ainsi, en Tunisie, dans le golfe de Gabès, les pêcheurs se plaignent d’en rapporter davantage que de poissons dans leurs filets…
Ce n’est qu’un des bouleversements que subit la Méditerranée, frappée de plein fouet par le changement climatique et soumise aux pressions des populations massées sur son littoral. Elle n’est pas encore tropicale, « mais elle est en voie de le devenir dans sa partie orientale », souligne le WWF dans une revue de littérature scientifique qu’il lui a consacrée, le 8 juin. Car ses eaux se réchauffent 20 % plus vite que la moyenne mondiale.
La Méditerranée serait-elle de surcroît devenue la mer qui attire le plus de faune et de flore non endémiques autour du globe, au détriment des espèces endémiques ? Le rapport déplore en particulier un taux de mortalité de 80 % , voire 100 %, des grandes nacres (Pinna nobilis) au cours des années 2010 dans plusieurs sites, notamment en Espagne, en Italie, en Corse. Un pathogène apporté par des courants marins serait en grande partie responsable de ce carnage.
La plupart des nouveaux venus viennent de la mer Rouge ou de l’océan Indien via le canal de Suez : 986 espèces exotiques, dont 126 poissons, auraient emprunté cette voie, qui devrait être encore plus fréquentée avec l’expansion de cette infrastructure. Leurs intrusions semblent leur réussir. Il a fallu à peine une vingtaine d’années pour que le barracuda (Sphyraena viridensis) et le mérou sombre (Epinephelus marginatus) deviennent abondants devant les côtes de Ligurie, en Italie.
Cependant, ces prédateurs font pâle figure face à un herbivore d’allure anodine de 12 à 14 centimètres de long, le poisson-lapin, dont deux espèces (Siganus rivulatus et Siganus luridus) qui nagent en grands bancs dévastent les habitats des espèces indigènes. Des études récentes ont souligné une réduction de 60 % à 65 % des algues qu’ils broutent en grandes quantités, et de divers invertébrés sur un millier de kilomètres de littoraux turcs et grecs où le poisson-lapin s’est établi.