La tragédie des biens communs, ou tragédie des communaux, est un concept décrivant un phénomène collectif de surexploitation d'une ressource commune que l'on retrouve en économie, en écologie, en sociologie, etc. La tragédie des biens communs doit se produire dans une situation de compétition pour l'accès à une ressource limitée (créant un conflit entre l'intérêt individuel et le bien commun) face à laquelle la stratégie économique rationnelle aboutit à un résultat perdant-perdant.
L'expression a été popularisée par un article éponyme du biologiste Garrett Hardin paru dans Science en 1968, intitulé « The Tragedy of the Commons »2 et considéré comme une contribution majeure de la pensée écologique.
Définition
Le philosophe grec Aristote avait déjà mis en avant le problème de la tragédie des communs : « Ce
qui est commun à tous fait l'objet de moins de soins, car les Hommes
s'intéressent davantage à ce qui est à eux qu'à ce qu'ils possèdent en
commun avec leurs semblables3. »
La tragédie des biens communs concerne des ressources,
généralement naturelles, qui sont soit en libre accès (n'importe qui
peut contester l'exploitation), soit propriété d'une communauté
d'acteurs. Elles possèdent deux particularités :
- il est coûteux et difficile d'attribuer des droits de propriété
individuels sur la ressource. Par exemple, il serait très délicat de
faire respecter un droit de propriété sur une partie de l'océan ;
- la ressource est un bien rival. Si un pêcheur pêche un poisson dans l'océan, celui-ci ne sera plus disponible pour les autres pêcheurs.
La tragédie des biens communs ne peut donc s'appliquer, dans un
marché libre, qu'aux ressources ne pouvant être appropriées par
personne : la capacité d'absorption de CO2 de l'atmosphère, la biodiversité, l'océan... ou la bande passante d'Internet (du point de vue des utilisateurs finaux payant un forfait illimité) en sont des exemples.
Exemple
L'exemple
typique utilisé pour illustrer ce phénomène est celui d'un champ de
fourrage commun à tout un village, dans lequel chaque éleveur vient
faire paître son propre troupeau. Hardin décrit l'utilité que chaque
éleveur a à ajouter un animal de plus à son troupeau dans le champ
commun comme étant la valeur de l'animal, tandis que le coût encouru par
ce même éleveur est seulement celui de l'animal divisé par le nombre d'éleveurs ayant accès au champ.
En clair, l'intérêt d'accaparer le plus de ressources communes possible
dépasse toujours le prix à payer pour l'utilisation de ces ressources.
Rapidement, chaque éleveur emmène autant d'animaux que possible paître
dans le champ commun pour empêcher, autant que faire se peut, les autres
éleveurs de prendre un avantage sur lui en utilisant les ressources
communes, et le champ devient vite une mare de boue où plus rien ne
pousse.
Solutions
Trouver une solution à la tragédie des biens communs fait partie des problèmes récurrents de la philosophie politique
et de l'économie politique. Pour schématiser, il existe, trois
solutions pour éviter la surexploitation des ressources : la
nationalisation, la privatisation (selon Hardin) et la gestion par des communautés locales.
Nationalisation
L'idée, apparue dans les années 19704,
est que l'État devienne propriétaire de la ressource. Il peut alors
intervenir de deux manières, en règlementant l'accès à la ressource, ou
bien en l'exploitant directement lui-même. La mise en place de mesures
de restrictions d'accès peut se traduire entre autres par une limitation
des dates durant laquelle l'exploitation est autorisée (périodes de
chasse), la limitation des moyens employés (taille maximum des filets de
pêche), ou bien même par l'interdiction d'accès pure et simple (espèces
protégées). La gestion directe de l'exploitation par l'État consiste
généralement à confier le monopole d'exploitation à une entreprise publique.
La nationalisation a souvent été préconisée et suivie, en particulier dans les pays en développement5.
Mais les résultats n'ont pas toujours été satisfaisants, ainsi la
nationalisation des forêts a-t-elle eu des effets désastreux dans de
nombreux pays en développement en proie à la déforestation6. Ces problèmes touchent également d'autres ressources et sont aggravés par la corruption.
Dans l'essai original de Hardin, celui-ci propose que les
utilisateurs de la ressource commune et, par extension, du problème de
la surpopulation,
choisissent une solution mutuellement coercitive approuvée
unanimement ; dans le cas de la surpopulation, ce serait de renoncer
collectivement au droit de procréer. Dans Managing the Commons paru en 1979, Hardin et John A. Baden discutent de cette solution7. Un seul pays a appliqué dans une certaine mesure cette préconisation : la République populaire de Chine avec la politique de l'enfant unique.
Dans son article originel, Hardin rejetait l'éducation comme moyen de
réduire la croissance démographique, mais depuis il est apparu que
l'augmentation des opportunités économiques et éducatives pour les
femmes entraîne une réduction du taux de natalité.
Ainsi, plusieurs pays développés (par exemple le Japon) cherchent à
l'heure actuelle à augmenter leur taux de natalité à la suite d'une
diminution excessive de celui-ci[réf. nécessaire].
Privatisation
Une solution différente est de convertir la ressource commune en propriété
privée pour inciter le(s) propriétaire(s) à une gestion rationnelle de
cette ressource. Historiquement, cette solution a été appliquée du XIIe au XIXe siècle en Angleterre aux terres communes, lors du mouvement des enclosures. C'est la solution qui est préconisée par les libéraux en suivant le principe lockéen
de l'appropriation initiale par le travail : le premier qui transforme
une ressource non appropriée par son travail devient le propriétaire
légitime de cette ressource (en oubliant le critère de légitimité de
Locke : « à condition qu'il en reste autant et de même qualité pour les autres »[réf. nécessaire]).
Bien que d'apparence opposée au principe de nationalisation, ce qui est appelé privatisation de la ressource nécessite généralement l'intervention de l'État. Il s'agit de créer un droit de propriété
sous forme de quota de prélèvements échangeables, plutôt que d'être
propriétaire du support de la ressource. Cette solution est largement
utilisée pour la gestion des pêcheries, avec semble-t-il un certain
succès8.
Toutefois, toutes les ressources ne sont pas adaptées pour être gérées
par un tel système, et dans certains pays le manque de fiabilité des
institutions en rend la mise en œuvre illusoire.
Gestion par les acteurs locaux
Une solution alternative, mise en évidence et analysée par Elinor Ostrom, est la gestion des ressources par les acteurs locaux à travers des normes sociales
et des arrangements institutionnels. Les communautés d'individus qui
vivent à proximité de la ressource seraient incitées à trouver des
règles limitant l'exploitation sur le long terme. Pour que ces règles
soient respectées, des mécanismes de surveillance
et de sanctions à l'égard de ceux qui surexploitent sont généralement
nécessaires. Il existe dans la réalité une très grande diversité de
situations, de telle sorte qu'il est impossible de préconiser une
solution unique. Ainsi, selon les caractéristiques de la ressource et de
l'environnement économique, les acteurs peuvent mettre en place des
systèmes de gestion très différents.
Ainsi des indiens Salish,
qui géraient leurs ressources naturelles à l'aide d'un système localisé
où chaque famille avait la responsabilité d'un lieu et des ressources
qui s'y trouvaient. L'accès à la nourriture était la principale source
de richesse, et la capacité à être généreux avait une valeur morale
élevée, ce qui donnait un intérêt à la conservation des ressources[réf. nécessaire].
Une autre solution économique au problème est celle du théorème de Coase, où les individus qui font usage des biens communs se paient les uns les autres de manière à ne pas surexploiter la ressource9.
Critique du modèle de Hardin
Hardin
estimait que l'homme est prisonnier d'un système qui l'oblige à
accroître l'exploitation sans limites, dans un monde pourtant limité. La
validité de ce modèle a été contestée à partir des années 1970, tant
sur le plan théorique qu'au niveau empirique
10. Hardin aurait effectué une confusion entre les concepts de
propriété commune et de ressources en
libre accès.
Une ressource en régime de propriété commune appartient à un groupe
d'individus qui peut généralement exclure les non-membres de l'usage,
tandis qu'il n'existe aucune restriction d'entrée et d'usage pour une
ressource en situation de libre accès. Les règles limitant
l'exploitation, présentes dans de nombreuses ressources en propriété
communes, ont ainsi été ignorées par Hardin.