Un collectif d'associations et de professionnels pointe l'absence de
volet santé environnementale dans la stratégie cancers. Parmi eux, le
cardiologue Pierre Souvet, président de l'Association Santé
Environnement France. Entretien.
Actu-Environnement :
Le Gouvernement a présenté début février une nouvelle stratégie contre
le cancer. Prend-elle correctement en compte les risques ?
Pierre Souvet : Il y a des choses sur les facteurs individuels
mais rien sur les facteurs collectifs. Or, la pollution
environnementale est un facteur de risques : de cancers, de maladies
cardio-vasculaires ou pulmonaires notamment. Que vous fumiez est un
facteur de risque mais le fait d'être exposé à la pollution de l'air en
est un autre. L'expérience de Tokyo, qui a décidé en 2000 de réduire la
pollution aux particules, est extraordinaire. Après l'interdiction du
diesel en ville, la pollution particulaire a baissé de 44 %. La
mortalité par cancer du poumon a baissé de 4,9 %, la mortalité
pulmonaire de 22 % et la mortalité cardio-vasculaire de plus de 10 %. Je
n'ai pas de médicament capable de réduire une mortalité à ce point. Il
faut donc traiter les facteurs de risques environnementaux comme les
facteurs individuels.
AE : Quels sont les facteurs de risques environnementaux ?
PS : Les trois grands facteurs sont la pollution de l'air, les pesticides et les perturbateurs endocriniens,
sachant qu'il y a des liens croisés entre eux. Il y a aussi les risques
émergents : ondes électromagnétiques, nanoparticules, polluants
persistants, problèmes liés au changement climatique. Ce sont des
facteurs de risques qui peuvent se surajouter à une pathologie. La
contamination chimique à laquelle on est soumis participe à l'éclosion
de pathologies, notamment cancéreuses. Si vous êtes exposés à des
pesticides, vous avez plus de risques d'avoir des cancers du cerveau ou
des leucémies. Avec la 5G, comme pour les nanos,
on lance la technologie sans aucun recul. On n'a rien qui prouve que
c'est dangereux mais, à ce stade, on ne peut pas dire non plus que ça ne
l'est pas, car aucune étude fiable n'est disponible.
AE : Quels sont les inconvénients liés à l'absence de prise en compte des risques collectifs ?
PS : Pour une vraie politique de prévention, il faut aussi prendre en compte ces facteurs de risques et ne pas seulement dire « il ne faut pas fumer ».
Selon les chiffres de l'Assurance maladie, on est passé de 123
milliards d'euros (Md€) de remboursement en 2012 à 142 Md€ en 2018. Les
projections montrent qu'il y aura 232 000 patients de plus malades d'un
cancer en 2023, sans compter les pathologies cardio-vasculaires et les
autres maladies chroniques. C'est un enjeu financier colossal qu'on ne
peut pas résoudre avec une politique de soin ou de prévention a minima.
Seulement 1 à 2 % du budget santé de la France est consacré à la
prévention. Il y a moins d'un équivalent temps plein dédié à la santé
environnementale au ministère de la Santé. On est confronté à une vraie
difficulté à faire prendre en compte cette dimension « prévention ».
Pourtant, les jeunes professionnels de santé, qui maîtrisent mal le
sujet faute d'avoir reçu une formation adaptée, souhaitent développer ce
versant de la santé. Les choses devraient pouvoir changer dans le
premier cycle des études médicales via le quatrième plan national santé environnement.
AE : Comment expliquez-vous que les pouvoirs publics ne donnent pas à la prévention l'importance qu'elle devrait avoir ?
PS : Je ne l'explique pas. On est en inadéquation total entre
les enjeux et les moyens. Si l'on ne veut pas que la carte verte soit
remplacée par la carte bleue, il faut développer la prévention
pour réduire les coûts humains, financiers, et sociaux. Car, souvent,
les inégalités environnementales se cumulent avec les inégalités
sociales. Il est clair que des lobbys ont freiné l'évolution. Mais il y a
maintenant une prise de conscience, notamment des villes, sur le sujet.
On a réussi avec la vignette Crit'Air 1 à exclure les diesels. Ceux-ci,
même neufs, restent très polluants à travers les particules ultrafines.
AE : Le défaut d'action des pouvoirs publics ne vient-il pas du manque d'information ?
PS : Il y a deux ans, nous avons demandé avec le Criigen
à la ministre de la Santé de généraliser et de territorialiser les
registres du cancer. Il n'existe qu'une vingtaine de registres et,
curieusement, il n'y en a pas dans les grandes villes. Les risques ne
sont pas les mêmes dans un bassin industriel que dans une zone agricole
ou urbaine. La ministre a répondu que les registres n'étaient pas conçus
pour être des outils d'alerte ou d'action, et qu'ils n'étaient pas non
plus conçus à des fins de surveillance. Comment faire une politique de
santé publique sans données ? C'est indispensable pour avoir une
politique efficace et réactive. Il y a des endroits où il faut des
actions plus ciblées sur les pesticides, d'autres sur la pollution de
l'air ou ailleurs sur les perturbateurs endocriniens.
AE : Ce défaut de données explique-t-il l'absence d'actions sur
des zones où les cancers pédiatriques se sont multipliés comme à
Sainte-Pazanne en Loire-Atlantique ?
PS : Oui, on réagit mal
et trop tard. Ça fait des années que le problème a été signalé dans
cette zone. Les pouvoirs publics ont élargi le territoire pour que le
pourcentage de cancers paraisse moins important. Il y a pourtant un vrai
problème. Et il en existe ailleurs mais qu'on ne connaît pas, faute de
données.
AE : Comment peut-on territorialiser la santé environnementale ?
PS : Il faut donner la compétence aux collectivités locales.
Cela permettra de faire des diagnostics territoriaux
santé-environnement. A priori, on n'obtiendra rien de plus durant cette
mandature. L'enjeu est de lancer la discussion avec les régions,
métropoles, EPCI et communes pour savoir quel est l'échelon le plus
approprié. Il est quand même déjà possible d'agir via les
contrats locaux de santé. Subventionnés par les agences régionales de
santé (ARS), ils permettent aux villes de faire des diagnostics pour
adapter leur politique et intégrer cette dimension prévention qui manque
tant.
Propos recueillis par Laurent Radisson, journaliste
Rédacteur en Chef délégué aux marchés HSE