L’alouette des champs ou la linotte mélodieuse font traditionnellement
résonner leur chant dans les campagnes françaises. Mais pour combien de
temps encore ? Deux études récentes dressent un constat alarmant : les
populations d’oiseaux vivant en milieu agricole ont perdu un tiers de
leurs effectifs en 17 ans.
« Nous pulvérisons les ormes, et aux printemps suivants nul merle ne chante, s’alarmait
l’écologiste américaine Rachel Carson en 1962 alors que le DDT, un
puissant insecticide, décimait les populations d’oiseaux aux États-Unis,
non qu’ils aient été touchés directement mais parce que le poison a
fait son chemin, pas à pas, de la feuille de l’orme au ver, puis du ver
au merle ».
Depuis, la responsabilité du DDT dans la mortalité accrue des oiseaux a
été démontrée et le « poison » interdit dans de nombreux pays. Mais le
problème est loin d’être réglé.
Toutes les espèces sont concernées
Les
études pointant du doigt les effets de l’agriculture intensive et de
l’utilisation massive de pesticides sur la biodiversité se multiplient.
Deux d’entre elles, menées récemment par le Muséum national d’histoire
naturelle sur tout le territoire français et par le CNRS à l’échelle
locale, présentent à leur tour un bilan inquiétant : en 17 ans, un tiers
des oiseaux ont disparu des campagnes françaises.
« La situation est catastrophique, se désole Benoît Fontaine, biologiste de la conservation au Centre d’écologie et des sciences de la conservation (Cesco) du Muséum national d’histoire naturelle. Nos campagnes sont en train de devenir de véritables déserts. » « Les populations d’oiseaux s’effondrent littéralement dans les plaines céréalières, et cela concerne toutes les espèces, renchérit Vincent Bretagnolle, écologue au Centre d’études biologiques de Chizé et directeur de la zone atelier « Plaine et val de Sèvre ». Les perdrix se sont presque éteintes de notre zone d’étude… »
Poussée par une tradition naturaliste particulièrement forte, la
Grande-Bretagne commence à suivre les populations d’oiseaux selon des
méthodes standardisées et rigoureuses à partir des années 1970. La
France lui emboîte le pas. C’est dans cette tradition que le Muséum
national d’histoire naturelle initie en 1989 un vaste programme, le Suivi temporel des oiseaux communs
(Stoc) sur tout le territoire français. Deux fois par an, au printemps,
plusieurs centaines d’ornithologues bénévoles recensent les oiseaux
qu’ils voient et entendent au petit matin dans des aires de 4 kilomètres
carrés situés en ville, en forêt ou à la campagne. Alouette des champs,
hirondelle de fenêtre, mésange noire, pigeon ramier… 175 espèces
d’oiseaux communs sont inventoriées dans tous les milieux. « À
partir de 2001, nous avons changé notre méthode d’échantillonnage avec
un tirage aléatoire des sites à surveiller, ce qui permet d’obtenir une
image plus fidèle de ce qui se passe sur le territoire français », indique Benoît Fontaine.
Un bilan plus lourd en zone agricole
Parallèlement, dans les Deux-Sèvres, un programme de suivi intensif de la faune et de la flore
se met en place dès 1993, dans la zone atelier « Plaine & val de
Sèvre ». Mais cette fois-ci, les 450 kilomètres carrés de la zone
étudiée sont entièrement agricoles. « Au départ, nous suivions des oiseaux des plaines céréalières menacés comme l’outarde canepetière et le busard cendré, raconte Vincent Bretagnolle. Mais
à partir de 1995, nous nous sommes progressivement intéressés à
l’ensemble des oiseaux car ils ont une position intermédiaire dans la
chaîne trophique, étant quasiment tous prédateurs d’insectes mais aussi,
pour certains, prédatés par des rapaces. » Au total, 160 zones de
10 hectares chacune sont soumises chaque année à l’expertise
d’ornithologues chevronnés, selon un protocole spatial et temporel bien
défini. Une centaine d’espèces y sont identifiées, à la vue et au chant.
« Sur ces terres agricoles, nous suivons aussi les plantes, les
mammifères et les insectes, ce qui nous permet d’avoir une vision de
tous les compartiments de l’écosystème et de leurs interactions », précise le chercheur.
Les dernières données de ces programmes de recherche sont
catastrophiques : de nombreuses espèces d’oiseaux sont en déclin dans
tous les milieux, et clairement en chute libre dans le milieu agricole.
Le programme Stoc révèle ainsi que les oiseaux communs des milieux
agricoles ont perdu 33 % de leurs effectifs depuis 2001.
Le pipit farlouse, par exemple, un passereau qui se nourrit
d’invertébrés, a perdu 68 % de ses troupes en 17 ans, tandis que la
linotte mélodieuse, friande d’invertébrés à la belle saison et de
graines de plantes adventices en hiver, a vu disparaître 27 % de ses
effectifs sur la même période. Du côté de la plaine céréalière des
Deux-Sèvres, même constat. Les populations d’oiseaux familières des
zones cultivées, comme l’alouette des champs ou la perdrix grise,
s’effondrent littéralement, avec respectivement −50 % et −90 % de leurs
effectifs en 25 ans.
« Ce qui est véritablement alarmant, c’est que tous les oiseaux du
milieu agricole régressent à la même vitesse, même les plus généralistes
ou les oiseaux des milieux boisés, qui ne diminuent pas ou peu dans
leur milieu de prédilection, analyse Vincent Bretagnolle. Cela signifie que c’est la qualité globale de l’écosystème agricole qui se détériore. »
Les pesticides pointés du doigt
Les raisons de ce déclin sont en effet à chercher du côté de l’intensification de l’agriculture,
les paysages devenant toujours plus homogènes – des champs de maïs et
de blé à perte de vue – et toujours aussi massivement arrosés de
pesticides, malgré le plan Écophyto qui vise à réduire de moitié leur
utilisation en France d’ici à 2020. « Les surfaces dédiées à la
monoculture n’ont cessé d’augmenter en France, conduisant à la
destruction des milieux favorables aux oiseaux et aux insectes. Et en
2009, la Politique agricole commune a donné un coup d’arrêt aux
jachères, ce qui est également néfaste pour la biodiversité, décrypte Benoît Fontaine. Dernier facteur nuisible : les pesticides. »
Si, dans les années 1960, c’est le DDT qui fait parler de lui, ce sont
aujourd’hui les néonicotinoïdes, des insecticides qui contaminent
l’ensemble de l’écosystème, mais aussi le glyphosate (Roundup),
l’herbicide le plus utilisé au monde, qui inquiètent. Tous les deux
concourent à la disparition des plantes et des insectes et donc aux
ressources alimentaires des oiseaux, surtout au printemps. « Il n’y a quasiment plus d’insectes, c’est ça le problème numéro un », martèle Vincent Bretagnolle.
Et le constat est le même partout. Deux études récentes ont révélé que
l’Allemagne et l’Europe auraient perdu 80 % d’insectes volants et
421 millions d’oiseaux en 30 ans.
Alors que faire ? Pour Benoît Fontaine, « la diminution des
pesticides va être aussi motivée par les préoccupations de santé
humaine, mais la solution viendra du monde agricole ». Justement,
dans la zone atelier « Plaine & Val de Sèvre », Vincent Bretagnolle
s’est associé aux agriculteurs pour expérimenter des modèles agricoles
alternatifs, basés sur l’agroécologie et les potentialités de la
biodiversité.
« Profitant de la mise en place du plan Écophyto, en 2008, nous
avons convaincu des exploitants de réduire d’un tiers ou de moitié les
intrants chimiques sur certaines parcelles, rapporte le chercheur. Résultat : les rendements sont maintenus, ce qui augmente les revenus des agriculteurs et la biodiversité. »
D’autres études montrent que les subventions pour les prairies et les
haies sont également favorables à la biodiversité et donc, là encore, au
maintien de la productivité des parcelles. Désormais, les acteurs du
monde agricole doivent se saisir de ces outils et changer leurs
pratiques à grande échelle. « Le printemps silencieux annoncé par Rachel Carson pourrait devenir une réalité si nous ne réagissons pas très vite, conclut Vincent Bretagnolle.
La situation est inquiétante, d’autant qu’aujourd’hui, il ne s’agit pas
seulement d’interdire un pesticide, mais de changer de paradigme. » ♦