Herbicide, insecticide ou fongicide, ils sont partout, dans les sols des
parcelles agricoles, des prairies et des haies et dans les vers de
terre qui y vivent. Un constat inédit et préoccupant que dressent des
chercheurs INRAE et leurs collègues au travers d’une vaste campagne
d’analyse alors même que la réduction de l’utilisation des produits
phytosanitaires est plus que jamais d’actualité dans une perspective
sanitaire et environnementale.
Les pesticides de synthèse, une réalité qui ne
faiblit pas qu’il s’agisse des quantités utilisées ou des surfaces
traitées malgré un enjeu majeur à vouloir en réduire l’utilisation et à
en limiter les impacts sur la santé et l’environnement.
Au sud de Niort (79), des chercheurs INRAE et leurs
collègues ont analysé la teneur en pesticides des sols, et des vers de
terre qu’ils abritent, dans la zone atelier Plaine et Val de Sèvre, une
grande plaine de 450 km ², véritable laboratoire à ciel ouvert utilisé
pour étudier les interactions entre les activités agricoles et
l’environnement. Ils se sont intéressés à des parcelles agricoles
conduites de façon conventionnelle ou biologique, ainsi qu’à des
prairies et des haies n’ayant jamais reçu de traitements
phytosanitaires. Une démarche originale riche d’enseignements.
Des pesticides de synthèse omniprésents dans les sols…
Tous les prélèvements de sol contenaient au moins
un pesticide de synthèse. En tête, un herbicide, le diflufénican, suivi
d’un insecticide, l’imidaclopride et de deux fongicides, le boscalid et
l’époxiconazole. Détectés dans plus de 80 % des échantillons, ces
pesticides de synthèse étaient présents des concentrations parfois
élevées voire supérieures aux doses recommandées.
Le mélange le plus communément retrouvé associait
un insecticide, l’imidaclopride, un herbicide, le diflufénican et un
fongicide, boscalid, époxiconazole ou prochloraze, c’est-à-dire des
produits différents par leurs caractéristiques chimiques, leur mode
d’action voire les cultures sur lesquels ils sont appliqués. La grande
majorité des échantillons de sol (83 %) contenait cinq pesticides ou
plus, ils étaient un peu plus d’un tiers (38 %) à en renfermer 10 ou
plus tandis que la moyenne s’élevait à 8,5 pesticides par échantillon.
et dans les vers de terre….
La quasi-totalité (92 %) des vers de terre de l’espèce étudiée (Allolobophora chlorotica)
contenait au moins un pesticide, un tiers (34 %) en incluait cinq ou
plus. En tête un insecticide, l’imidaclopride, retrouvé dans 79 % des
organismes.
En moyenne 3,5 pesticides ont été détectés par
individu, moins que pour les sols mais à des concentrations plus élevées
pour certains d’entre eux, comme le diflufénican ou l’imidaclopride.
Comme dans les échantillons de sol, le mélange le
plus communément retrouvé associait un insecticide, l’imidaclopride, un
herbicide, le diflufénican et un fongicide, l’époxiconazole, retiré
depuis du marché ou le cyproconazole.
quel que soit le couvert végétal ou son mode de conduite
Le profil de contamination des échantillons de sols
différait selon le couvert végétal. Dans des sols sous céréales, un
nombre plus élevé de pesticides que dans les sols sous prairies ou haies
a été décelé et des concentrations relativement élevées d’herbicide -
diflufénican, insecticide – imidaclopride et fongicides - boscalid,
époxiconazole, prochloraze and pendiméthaline y ont été relevées.
Les sols traités recelaient un plus grand nombre de
produits phytosanitaires que les sols non traités. Cependant, parmi les
93 échantillons collectés dans des habitats non traités, 83 % d’entre
eux contenaient plus de trois pesticides. En moyenne, pas moins de six
pesticides ont été détectés dans les sols sous céréales AB. Même constat
pour les prairies AB où l’on a retrouvé en moyenne cinq pesticides.
Le profil de contamination des vers de terre
différait essentiellement selon le type d’habitat : prélevés sous
céréales, ils contenaient plus de pesticides que leurs homologues
récoltés sous prairies ou haies et les concentrations d’insecticide –
imidaclopride, herbicide – diflufénican et fongicide – cyproconazole
étaient plus élevées que sous prairies ou haies.
Dans 46 % des cas, les cocktails de pesticides
présentaient un risque élevé de toxicité chronique pour les vers de
terre, que ce soit dans les sols des cultures céréalières traitées ou
dans des habitats non traités et communément considérés comme des
refuges pour la faune. Un risque susceptible plus largement d’altérer la
biodiversité des écosystèmes et d’en modifier les fonctions.
Parcelles traitées ou non, habitats naturels… aucun
espace, agricole ou naturel, ne semble épargné par les pesticides.
Rémanence des produits phytosanitaires, contamination des parcelles
voisines, accumulation par les organismes vivants non cibles… autant de
points que ces résultats suggèrent d’explorer plus avant, tout comme ils
invitent à considérer la question de la réduction de l‘utilisation des
pesticides à l’échelle du paysage.
Des sols et des vers de terre, en pratique
Les chercheurs ont choisi 60 zones de 1 km² dans lesquelles ils ont
prélevé, courant 2016, des échantillons de sol et des vers de terre :
• 180 échantillons de sol ont été collectés sur 5 centimètres de
profondeur : 60 échantillons dans des champs de céréales, traitées (53)
ou non (7), 60 dans des prairies traitées (26) ou on (15) voire conduite
en AB (11) et 60 sous des haies.
• 155 vers de terre ont été prélevés : 52 dans des champs de céréales
traités (45) ou non (7), 52 dans des prairies traitées (30) ou non (12)
voire conduites en AB (10) et 51 sous haies. Ils appartiennent à
l’espèce Allolobophora chlorotica, très fréquente dans les premiers cm de sol.
Trente-et-un pesticides d’usage courant soit 29 autorisés en agriculture
et deux interdits trois ans avant ces travaux, ont été recherchés : 9
insecticides, 10 fongicides et 12 herbicides. Ils ont été sélectionnés
d’après leur utilisation par les agriculteurs de la région dans les 5
années précédant ces travaux.
Vous avez dit imidaclopride ?
Parmi les 31 substances évaluées par les chercheurs, l’imidaclopride, un
pesticide de la famille des néonicotinoïdes, fréquemment pointé du
doigt pour des problèmes de sécurité environnementale, alimentaire et
sanitaire, est au cœur de nombreux projets de recherche INRAE.
En 2019, des chercheurs du CNRS, de l’Inra et de l’Institut de l’abeille
étaient les premiers à montrer que des résidus de ces insecticides,
notamment l’imidaclopride, restaient détectables dans le nectar de colza
de 48 % des parcelles étudiées, soulignant que le risque persiste pour
les abeilles.
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Cette même année, un groupe de travail de l’Anses, dont certains
chercheurs de l’Inra ont fait partie, ont publié une liste
d’alternatives, chimiques ou non, à l’utilisation de néonicotinoïdes.
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En septembre 2020, Philippe Mauguin, président directeur général d’INRAE
et Alexandre Quillet, président de l’ITB, remettaient à Julien
Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’alimentation, le plan
national de Recherche et Innovation pour trouver des solutions
alternatives aux néonicotinoïdes opérationnelles contre la jaunisse de
la betterave sucrière.
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