mardi 24 novembre 2020

Un pesticide SDHI épinglé pour ses effets sur le développement cérébral

 Selon des travaux publiés dans la revue « Chemosphere », l’exposition de poissons-zèbres au fongicide bixafen, commercialisé par Bayer, altère le développement de leur cerveau et de leur moelle épinière. 

Les fongicides dits « inhibiteurs de la succinate déshydrogénase » (ou SDHI) présentent-ils des risques sanitaires et environnementaux incontrôlables ? Depuis trois ans, une vive controverse oppose un groupe de chercheurs du monde académique, qui alertent sur les risques que font peser ces pesticides, et les autorités sanitaires pour qui cette alerte n’est pas suffisamment étayée. Cette dispute suscite une intensification de la recherche sur ces substances. En témoignent des travaux tout juste publiés dans la revue Chemosphere, montrant sur un modèle animal la toxicité pour le développement cérébral de l’un des SDHI les plus populaires, le bixafen, commercialisé par Bayer. Un résultat d’autant plus frappant que les concentrations testées par les chercheurs sont relativement faibles et, surtout, que les propriétés neurotoxiques de ce pesticide n’ont pas été évaluées par les autorités sanitaires avant son autorisation, il y a un peu moins d’une décennie.

Conduits par la biologiste Nadia Soussi-Yanicostas (CNRS), chercheuse au laboratoire NeuroDiderot (hôpital Robert-Debré, Inserm, université de Paris), les auteurs ont utilisé un modèle animal devenu ces dernières années la star des laboratoires : le poisson-zèbre (Danio rerio). Ils ont exposé des embryons de ce petit vertébré à de faibles concentrations de bixafen et ont analysé les effets de ce traitement sur le développement de leur système nerveux central (cerveau et moelle épinière). « Le poisson-zèbre est un excellent modèle pour anticiper ce qui peut se produire chez l’humain, car une grande part des mécanismes de construction du système nerveux ont été bien conservés au cours de l’évolution », explique Mme Soussi-Yanicostas. Les chercheurs ont utilisé des embryons transgéniques aux neurones fluorescents, afin de pouvoir observer in vivo, par microscopie, l’effet du traitement sur le développement du cerveau et de la moelle épinière.

 

Le rapprochement entre la FAO et le lobby des pesticides inquiète scientifiques et ONG

 L’agence onusienne a signé une « lettre d’intention » formalisant un rapprochement stratégique avec CropLife, l’association qui représente les principaux fabricants de pesticides dans le monde. 

L’annonce en octobre de la signature d’une lettre conjointe entre l’Agence des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) et CropLife International (CLI), principale association représentant les intérêts des fabricants de pesticides (Bayer Crop Science, Corteva, Syngenta, BASF), suscite des réactions en cascade. Jeudi 19 novembre, deux courriers ont été remis à la FAO – l’un signé par près de 300 scientifiques et universitaires, l’autre par 350 organisations de la société civile –, demandant à l’agence onusienne de renoncer à se rapprocher de CropLife. Les deux lettres sont adressées au directeur général de la FAO, Qu Dongyu, élu en juin 2019 à la tête de l’organisation.

« Votre proposition de renforcer la collaboration entre la FAO et CropLife mine la politique de la FAO pour réduire les risques associés à l’usage de pesticides dans le monde », écrivent les scientifiques dans leur courrier. Selon les auteurs de cette missive – parmi lesquels des agronomes, des professeurs en sciences de l’environnement et en toxicologie, ou encore David Michaels, l’ancien responsable de l’agence américaine pour la santé au travail, OSHA –, ce partenariat représente « un conflit d’intérêts fondamental avec la mission et le mandat des Nations unies pour protéger la biodiversité, soutenir les biens publics et respecter et protéger les droits humains comme le droit à la santé, à un environnement de travail sûr, à un air et à une eau propres ». La lettre des associations, signée notamment par le réseau Pesticide Action Network (PAN), l’Insitute for Agriculture and Trade Policy (IATP) et Les Amis de la Terre, renchérit : une telle collaboration signifierait que « la FAO renonce à son rôle de leader mondial du soutien aux approches agricoles innovantes », selon ses signataires.

 

lundi 16 novembre 2020

Les bisphénols issus des microplastiques affectent le cerveau – et il y en a de plus en plus dans l’océan

 

Des tonnes de plastique sont produites chaque année, et la plupart des déchets finissent dans les océans et les mers comme la Méditerranée. Un des gros problèmes de cette pollution aux plastiques n’est pas ce que nous pouvons voir à l’œil nu – les sacs ou les emballages – mais bien ce que nous ne pouvons pas voir : les petits morceaux appelés « microplastiques », et aussi les molécules qui les composent. Des microplastiques ont été détecté pour la première fois dans des tissus humains. Ils présentent un risque pour notre santé, car ils libèrent de petites quantités de molécules toxiques, comme le tristement célèbre bisphénol A.

Le bisphénol A perturbe notamment le développement du cerveau. Nous étudions comment il affecte les animaux marins et leur développement, et comment ces informations pourraient être importantes pour les humains.

D’où vient la toxicité du bisphénol A ?

La toxicité de molécules chimiques comme le bisphénol A repose sur leur petite taille et leur facilité à traverser les membranes cellulaires. De plus, leur structure est très similaire aux hormones, les œstrogènes par exemple. Dans une situation normale, les hormones contrôlent notre système endocrinien en se liant sur des récepteurs spécifiques qui régissent de nombreuses étapes de la vie animale. Si on imagine ces « récepteurs nucléaires » comme de grosses pièces de Lego, le bisphénol A et les autres « perturbateurs endocriniens » sont de petites pièces de Lego qui s’accrochent très facilement au récepteur. Avec pour conséquence d’activer ou d’inhiber certains processus hormonaux, ce qui aura un effet indésirable dans notre corps.

Nous avons bien sûr besoin d’hormones au cours de notre vie, mais uniquement à certains moments, par exemple lorsqu’une femme accouche pour les œstrogènes, et à une dose spécifique. Plusieurs études ont montré qu’être exposé à des perturbateurs endocriniens d’une manière chronique, même en petites quantités, peut dérégler les récepteurs nucléaires, et donc le système endocrinien. Ce dérèglement du système endocrinien a été associé à des problèmes de santé très variés : infertilité, cancer du sein, diabètes, obésité, maladies cardiovasculaires, malformations congénitales, et maladies associées au développement du cerveau. En ce qui concerne ce dernier, quelques études ont associé la présence des bisphénols avec des troubles du comportement, par exemple l’autisme, ou le fait que ces molécules peuvent affecter nos capacités cérébrales.

Comment ces molécules impactent-elles le développement du cerveau ?

Les premiers effets du bisphénol A sur le développement ont été découverts par hasard

En 1992, le Dr Feldman et son groupe de recherche de l’université de Stanford pensaient que leurs cultures de levure produisaient une molécule œstrogénique. Il s’est avéré que ce n’était pas la levure qui synthétisait l’œstrogène, mais plutôt la dissolution du tube en plastique où les levures poussaient.

En 1998, la généticienne Patricia Hunt de la Case Western Reserve University remarquait un changement bizarre dans les œufs des souris femelles qu’elle étudiait : 40 % des œufs montraient une anomalie dans leurs chromosomes (taux bien plus élevé que ce qui est observé habituellement). Hunt remarqua alors que ses cages de souris recouvertes de plastique polycarbonate semblaient fondre, et découvrit que les cages avaient été lavées par erreur avec un détergent hautement alcalin. Après un véritable travail de détective, Hunt et ses collègues ont prouvé que les anomalies chromosomiques des œufs étaient créées par le bisphénol A dissous du plastique endommagé.

Depuis 1998, plusieurs travaux ont montré la toxicité du bisphénol A en utilisant des modèles vertébrés comme la souris et le poisson-zèbre, et quelques modèles invertébrés comme le ver Caenorhabditis elegans et le crustacé Daphnia magna.

Les bisphénols affectent le développement du cerveau d’ascidie

Dans notre laboratoire, on utilise les embryons d’ascidie pour étudier l’effet du bisphénol A sur le développement. Les ascidies sont des animaux marins « filtreurs », c’est-à-dire qu’ils se nourrissent en filtrant l’eau de mer. Les microplastiques sont suffisamment petits pour être absorbés par les ascidies, qui ingèrent aussi par conséquent les molécules toxiques associées.

Difficile à imaginer vu leurs apparences, mais les ascidies sont considérées comme des « cousins » de l’humain parmi les invertébrés, d’un point de vue « phylogénétique » : des études en évolution ont montré que les ascidies appartiennent au groupe des « chordés », c’est-à-dire que l’embryon d’ascidie possède un cerveau centralisé lié à un tube nerveux et une corde dorsale. La simplicité et la transparence des embryons d’ascidie, ainsi que la présence de récepteurs nucléaires dans leur génome, font de ces animaux un système puissant pour découvrir les mécanismes impliqués dans les « modes d’action » des perturbateurs endocriniens. Une fois les mécanismes connus, on peut non seulement comprendre plus en détail l’effet de la pollution sur la faune marine, mais aussi comprendre comment ces perturbateurs endocriniens peuvent affecter les vertébrés, dont les humains, vu qu’ils partagent les mêmes récepteurs.

Au cours de ma thèse, nous avons découvert que le bisphénol A induit une toxicité neuro-développementale chez l’embryon d’ascidie. Plus précisément, la présence du bisphénol A dans le milieu marin provoque une malformation du cerveau de la larve, en diminuant la pigmentation et la taille des cellules sensorielles (celles qui permettent à la larve de nager dans la bonne direction). Alors qu’en absence de bisphénol A, ces cellules se forment ensemble et se séparent à la fin du développement, avec bisphénol A elles ne se séparent jamais – ce qui nous indique aussi une fenêtre d’action du bisphénol A très précise dans le temps. Le bisphénol E et bisphénol F provoquent aussi le même effet.

Un récepteur très sensible dans le cerveau

Mais la découverte plus importante de cette étude est la présence d’un récepteur nucléaire dans le cerveau de la larve d’ascidie, précisément au moment où les cellules sensorielles se développent. Il est appelé estrogen-related receptor ou « ERR » et il peut lier fortement le bisphénol A.

Dans le cerveau humain et celui du poisson-zèbre, ce récepteur lie aussi le bisphénol A. Chez l’humain, le récepteur ERR est très souvent associé aux cancers du sein et de la prostate, mais jusqu’à présent peu d’études se concentrent sur son rôle potentiel dans le cerveau.

Pour vérifier notre hypothèse selon laquelle le récepteur ERR peut être impliqué dans le développement du cerveau de la larve d’ascidie, nous avons exposé les embryons à d’autres molécules connues pour se lier à ce récepteur ERR (le diéthylstilbestrol et le tamoxifène). Nous avons observé un effet similaire – une malformation des cellules sensorielles du cerveau.

Il reste maintenant beaucoup de travail à faire : tout d’abord il faut prouver la liaison du bisphénol A au récepteur ERR de l’ascidie ; puis, il faut établir le rôle de ce récepteur nucléaire dans le cerveau et répondre à la question : comment est-il impliqué dans les malformations du cerveau lorsqu’il est lié par le bisphénol A ? La réponse à cette question aidera non seulement à mieux comprendre l’effet de la présence de molécules issues du plastique dans les animaux marins, mais aussi à mieux comprendre la complexité du mode d’action des perturbateurs endocriniens chez les vertébrés, afin de prouver aux agences gouvernementales à quel point elles peuvent être dangereuses pour l’environnement, et par conséquent limiter encore plus la production et l’utilisation de ces plastiques.

 « Nous sommes liés à l’océan. Et quand nous retournons à la mer – que ce soit pour naviguer ou pour la regarder, nous revenons d’où nous venons. » (John F. Kennedy, 1962)

 

 

 

mercredi 4 novembre 2020

Des pesticides retrouvés partout dans l'environnement, même dans les vers de terre

 Plusieurs études ont été consacrées à la rémanence des produits phytosanitaires dans l’air et l’eau, mais peu de travaux avaient été menés sur les sols et encore moins à l’échelle d’un paysage agricole comprenant des parcelles traitées mais aussi des champs bio, des prairies et des haies. On sait désormais que les pesticides migrent dans tout l’environnement.

Spécialiste des vers de terre à l’Institut national pour la recherche agronomique, l’alimentation et l’environnement (Inrae), Céline Pelosi se penche depuis longtemps sur les impacts des pesticides sur ces acteurs essentiels de la fertilité des sols. “On s’est aperçu qu’il n’y avait pas eu de recherches faites sur la présence de "cocktails" de multiples pesticides dans les sols non traités, les haies et les petits bois considérés comme des refuges pour la faune et la flore et on a voulu corriger ce manque”, explique la chercheuse. Ses travaux viennent d’être publiés dans la revue scientifique Agriculture, Ecosystems & Environment. Ils révèlent une contamination ubiquitaire n’épargnant aucun élément de la nature.

La zone atelier Plaine et val de Sèvres est une plaine céréalière de 450 km² située à quelques kilomètres de la ville de Niort (Deux-Sèvres) qui est suivie depuis des décennies par le CNRS. L’endroit idéal pour lever le nez de la parcelle agricole et considérer tout ce qui l’entoure. Au printemps 2016, les chercheurs ont choisi 60 zones de 1 km² où ils ont prélevé des échantillons de sol sur 5 centimètres de profondeur, capturé des vers de terre (de l’espèce Allolobophora chlorotica vivant à la surface du sol et donc plus exposée aux épandages de pesticides que les espèces vivant plus en profondeur). 53 prélèvements ont été faits sur des champs de céréales traités aux pesticides, 7 sur des parcelles en bio, 34 dans des prairies traitées, et 26 sur des prairies permanentes non traitées. 60 sols de haies ont également été récupérés. Au total, 180 échantillons de sol et 155 vers de terre (qui étaient absents de 25 lieux échantillonnés) ont été analysés.

Une présence ubiquitaire à des teneurs très élevées

Les chercheurs ont procédé à une analyse multi-résidus. Ils ont cherché 31 produits phytosanitaires répandus, la grande majorité d’entre eux en usage actuellement et 2 interdits d’usage depuis quelques années. Aucun des échantillons de sol n’est indemne de traces de pesticides et 90 % contiennent plusieurs molécules en mélange d’herbicide, fongicide et insecticide. Ce sont bien des pesticides d’usage courant qui ont été retrouvés le plus souvent à des concentrations invraisemblablement élevées. Ainsi, l’herbicide diflufénican a été retrouvé dans 162 échantillons sur 180 avec un record de concentration de 1361 nanogrammes par gramme (ng/g) alors que la valeur maximale attendue dans les sols est de 405 ng/g.

 

 

Les fleuristes, victimes ignorées des pesticides : « Si l’on m’avait mise en garde, ma fille serait encore là »

  Dès 2017, des tests menés par  60 millions de consommateurs  sur des roses commercialisées par dix grandes enseignes en France révélaient ...