Le préfet s'apprête à autoriser une réouverture partielle du site
sinistré. Et ce, alors que l'exploitant ne s'est pas encore mis en
conformité avec la mise en demeure qu'il lui a adressée le 8 novembre et
qui révèle des failles accablantes.
« Je ne suis pas dans la disposition d'esprit d'examiner un redémarrage », déclarait Pierre-André Durand devant la mission d'information
de l'Assemblée nationale sur l'accident Lubrizol, le 30 octobre
dernier. Un peu plus d'un mois après, le préfet de Seine-Maritime
s'apprête à signer un arrêté de réouverture du site après avoir obtenu,
mardi 10 décembre, un avis favorable du conseil départemental de
l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst).
Cette réouverture va intervenir alors que l'exploitant ne s'est pas
encore conformé à l'arrêté de mise en demeure signé par le même préfet,
le 8 novembre dernier, et alors que les causes du sinistre restent
toujours inconnues.
« Nous devons rassurer la population »
Auditionné par la commission d'enquête du Sénat le 22 octobre 2019, le PDG de Lubrizol avait fait part de son intention de « continuer à exploiter les installations non impactées par l'incendie ». « Pour pouvoir faire cela, nous devons rassurer la population locale »,
avait ajouté Éric Schnur après avoir indiqué que l'incendie de son
usine, classée Seveso seuil haut, ne présentait pas de différence
significative avec un incendie de maison.
En écho à ces déclarations, le préfet avait repoussé l'idée d'un redémarrage à court terme de l'établissement. « Lubrizol, comme Normandie Logistique,
doit nettoyer ses pollutions, doit remettre en état son site, doit
rendre compte d'un certain nombre d'infractions qui ont été constatées
administrativement et pénalement », avait expliqué Pierre-André Durand devant les députés. Et d'ajouter : « Évidemment, je n'ai pas de dossier entre les mains. Clairement, on n'est pas dans cette séquence ».
Le point de vue du représentant de l'État dans le département a, semble-t-il évolué rapidement alors que ni l'enquête judiciaire ni l'enquête administrative
n'ont pourtant avancé la moindre explication sur les causes de la
catastrophe. Le préfet a mis à l'ordre du jour du Coderst, qu'il
préside, le projet de réouverture partielle de l'usine. « Cette
réouverture partielle ne porte que sur deux ateliers chargés de mélange
de produits (…). Elle s'accompagne d'une réduction drastique des
stockages de produits finis conditionnés (passant de 8 600 t à 561 t,
soit une baisse de 93 %) ainsi que d'une diminution du stockage des
matières premières (de 27 % à 89 % selon les types de produits) », explique la préfecture, qui précise que l'activité de stockage au cœur de l'incendie n'est pas concernée par la réouverture.
Les services de l'État annoncent, en outre, la prise en compte du
retour d'expérience de l'incendie à travers l'édiction de prescriptions
supplémentaires en matière de sécurité incendie. « Tous les stockages
seront équipés d'un cuvette de rétention d'eau d'une capacité
suffisante, de détection incendie et de moyens d'extinction
prépositionnés ». Ce que la réglementation exige mais qui s'est
révélé défaillant dans l'usine puisque les services de secours se sont
trouvés à cours de réserve d'eau lors du sinistre, tandis que des
effluents chargés de produits dangereux se sont déversés dans la Seine,
justifiant le déclenchement du plan Polmar. La préfecture annonce
également la mise en place d'un plan d'action en matière de sûreté à la
suite de « l'audit qui a été transmis aux services de l'État ». Un audit dont on ne connaît ni l'auteur, ni la teneur.
« Simulacre de démocratie environnementale »
Le Coderst, qui réunit des représentants des services de l'État, des
collectivités territoriales, des associations, des représentants de
fédérations professionnelles et des personnalités qualifiées, s'est
prononcé à une large majorité (19 voix sur 24) pour le projet de
réouverture du site. Seuls se sont opposés les représentants de France
Nature Environnement (FNE), de l'UFC-Que Choisir, de la Métropole de
Rouen et d'un médecin spécialisé en santé environnementale.
« C'est un simulacre de démocratie environnementale », dénonce
Alain Chabrolle, vice-président de France Nature Environnement (FNE),
qui estime que seize membres du Coderst relèvent directement des
services de l'État. Yvon Robert, président de la Métropole, a justifié
son refus de réouverture par un long communiqué. Parmi les raisons
invoquées figure la question du respect des prescriptions déjà imposées.
« C'est la première condition indispensable d'un rétablissement de la confiance », avertit M. Robert.
La question est effectivement centrale quant au sérieux de
l'industriel mais aussi des services de l'État. Or, le préfet a pris un arrêté de mise en demeure
le 8 novembre dernier demandant à l'exploitant de se conformer à toute
une série de prescriptions qu'il ne respectait pas. Ces prescriptions
étaient toutes antérieures au sinistre, révélant au minimum la
mansuétude dont l'industriel a bénéficié de la part des services de
l'État, dont Emmanuel Macron a pourtant salué l'efficacité.
Les « considérant » de l'arrêté permettent de prendre la mesure de ces
manquements : incomplétude du plan de défense incendie et du plan
d'opération interne (POI), absence de système de détection incendie dans les stockages extérieurs, insuffisance des dispositifs de confinement des eaux d'extinction.
Établissement non conforme depuis 2014
Ces deux dernières prescriptions étaient contenues dans l'arrêté du
24 juillet 2019 que le préfet a pris pour valider la deuxième
augmentation de capacité du site en dispense d'évaluation environnementale.
Mais certaines étaient beaucoup plus anciennes et révèlent l'absence de
conformité de l'établissement depuis au moins 2014. C'est le cas de
l'absence de prise en compte par l'exploitant de l'incendie généralisé
des bâtiments A4, A5, et de leurs stockages extérieurs, dans l'étude de
dangers. Cette information est accablante puisque le sinistre s'est
déroulé précisément dans ces installations.
On aurait donc pu s'attendre à ce que le préfet s'assure de la mise
en conformité de l'installation avec ces prescriptions avant de donner
son feu vert à la réouverture. Or, le délai de mise en conformité laissé
à l'exploitant n'était pas encore expiré (et ne le sera pour le dernier
que le 8 janvier) au moment où la Dreal a rendu son rapport
préparatoire à la réouverture. Il est manifeste que Lubrizol n'a pas
devancé ces échéances. « Les travaux sont en cours », a déclaré au Coderst la représentante de Lubrizol, selon FNE qui parle « d'un joli numéro entre le préfet et l'industriel ». « La faute de l'État continue et s'aggrave », réagit l'ancienne ministre de l'Environnement, Delphine Batho.
« Une reprise partielle des activités de Lubrizol à Rouen serait
un marché de dupes. D'ici trois à quatre ans, l'usine serait
définitivement fermée, avant même d'être dépolluée », assure Robin
des bois. Selon l'association, qui a dressé un panorama de toutes les
activités de l'industriel dans le monde, la stratégie de développement
du secteur lubrifiants de Lubrizol passe par « une solution de
dépannage à Rouen en attendant que les autres unités, notamment en
Chine, puissent se substituer aux productions globales du site sinistré
et amputé ».
Une humanité en proie à l'explosion démographique et qui - tels ces vers de farine qui s'empoisonnent à distance dans le sac qui les enferme bien avant que la nourriture commence à leur manquer - se mettrait à se haïr elle-même parce qu'une prescience secrète l'avertit qu'elle devient trop nombreuse pour que chacun de ses membres puisse librement jouir de ces biens essentiels que sont l'espace libre, l'eau pure, l'air non pollué.
jeudi 12 décembre 2019
jeudi 5 décembre 2019
Deux pesticides « tueurs d’abeilles » interdits en France
Le tribunal administratif de Nice annule l’autorisation de mise sur le
marché accordée par l’Anses à deux insecticides à base de sulfoxaflor,
apparenté aux néonicotinoïdes.
C’est un camouflet pour l’Agence
nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et
du travail (Anses). Le tribunal administratif de Nice, dans un jugement
rendu public mercredi 4 décembre, vient d’interdire deux insecticides
(Closer et Transform) à base de sulfoxaflor, apparenté aux
néonicotinoïdes.
L’Anses
avait autorisé leur commercialisation en septembre 2017, provoquant la
protestation des apiculteurs français qui dénoncent des produits
« tueurs d’abeilles ». Le tribunal confirme ainsi, sur le fond, un
premier jugement rendu en référé en novembre 2017 suspendant
l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de ces produits développés
par Dow AgroSciences, filiale du géant américain de l’agrochimie Corteva
(issu de la fusion entre Dow Chemical et DuPont).
Un recours avait été déposé par les
associations Générations futures – qui mène la fronde contre les
pesticides en France – et Agir pour l’environnement, ainsi que par
l’Union nationale de l’apiculture française.
Pour
motiver sa décision, le tribunal a conclu à l’absence de certitude
quant à l’innocuité de l’insecticide. Il estime que l’AMM accordée par
l’Anses à Dow AgroSciences ne garantit pas que les doses utilisées sans
contrôle au moment de leur épandage ne présentent pas de danger pour les
abeilles. Le jugement rappelle que « les études scientifiques menées par l’Autorité européenne de sécurité des aliments [EFSA],
la Commission européenne, ainsi que des organisations non
gouvernementales ont identifié des risques importants de toxicité pour
les insectes pollinisateurs ». Dans deux rapports publiés en
mars 2015 et février 2019, l’EFSA avait pointé des risques élevés pour
les abeilles et les bourdons lors de l’utilisation de sulfoxaflor.
« L’Anses a méconnu le principe de précaution »
Le
Closer et le Transform sont utilisés contre les pucerons pour les
grandes cultures, les fruits et les légumes. Le fabricant recommande
d’épandre ces insecticides à raison d’une seule dose par an, au plus
tard cinq jours avant la floraison. Outre les dangers que font courir
aux pollinisateurs les insecticides, le tribunal a estimé qu’il était
impossible de vérifier si cette recommandation était appliquée.
L’absence d’application du Closer et du Transform pendant la floraison (présentée par Dow AgroSciences et l’Anses comme une « mesure d’atténuation du risque ») n’est pas jugée « suffisante » par le tribunal, dès lors qu’elle n’est assortie d’« aucune obligation pour les utilisateurs du produit ». Ainsi, le juge estime qu’en autorisant la mise sur le marché des deux pesticides « l’Anses a méconnu le principe de précaution ».
« Nous espérons que cette décision incitera
le gouvernement et les agences évaluatrices à réfléchir à deux fois
avant de délivrer des autorisations de mises sur le marché de produits
dont les utilisations pourraient s’avérer désastreuses pour la
biodiversité ou pour la santé humaine », réagit François Veillerette, le directeur de Générations futures.
Pour l’association, le jugement souligne les « errements » de l’Anses qui, « malgré la loi biodiversité de 2016 prévoyant l’interdiction des pesticides à base de néonicotinoïdes [à partir de septembre 2018], a continué à autoriser la mise sur le marché de pesticides à base de nouveaux néonicotinoïdes ». L’Anses, comme le fabricant Dow AgroSciences, peuvent faire appel de la décision.
Devant l’imminence de l’interdiction du chlorpyrifos en Europe, les fabricants contre-attaquent
Malgré des données démontrant l’extrême toxicité de cet insecticide, les fabricants veulent prolonger son existence.
L’arrêt de mort d’un pesticide prend
rarement la forme d’une réglementation européenne. C’est ainsi,
pourtant, que le chlorpyrifos devrait bientôt disparaître.
La Commission européenne s’apprête à demander aux Etats membres de
voter l’interdiction de cet insecticide au dossier scientifique fort
chargé. Mais, alors que les données démontrant son extrême toxicité pour
le cerveau du fœtus et du jeune enfant s’accumulent, les fabricants
font pression sur les autorités pour prolonger son existence légale,
comme le montrent des documents que Le Monde s’est procurés. L’autorisation du chlorpyrifos dans l’Union européenne (UE) arrive en effet à échéance le 31 janvier 2020.
A la tête de cette opération de lobbying, le groupe américain Corteva, entité née de la fusion de Dow, inventeur du produit, et de DuPont. « La
réglementation ne doit pas se fonder sur une pression publique
provoquée par des militants qui n’ont pas confiance dans le système
réglementaire légal, mais sur des preuves solides », ont argué les représentants de la firme auprès des responsables du dossier à la Commission qu’ils ont rencontrés en janvier, indique un compte-rendu interne de la direction générale de la santé.
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