La protéine Crispr-Cas9, "ciseau à ADN" capable de corriger les mutations génétiques, a été accueillie comme une révolution scientifique. Mais d'après une nouvelle étude, elle provoquerait des mutations de l'ADN à distance de la portion corrigée, aux conséquences potentiellement graves.
La technique expérimentale Crispr-Cas9, utilisée pour modifier des gènes défectueux et sur laquelle la médecine fonde de grands espoirs, est moins précise que ce qu'on pensait et cause des mutations inattendues, selon une étude parue lundi 16 juillet 2018. Ces ciseaux génétiques ont provoqué des mutations "importantes" et "fréquentes" lors d'expériences menées sur des souris et des cellules humaines dans le cadre de l'étude, publiée dans la revue Nature Biotechnology.
CRISPR-CAS9. Crispr-Cas9 est une découverte majeure dévoilée en 2012, attribuée à un duo féminin franco-américain, Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, et fréquemment citée pour l'attribution du prix Nobel. Il s'agit d'une protéine bactérienne qui lui sert de système immunitaire rudimentaire. Elle a en effet pour principale caractéristique de pouvoir reconnaitre et couper une séquence d'ADN particulière. Modifiée par les chercheurs pour qu'elle reconnaisse la séquence de leur choix, Crispr-Cas9 peut ainsi potentiellement corriger des mutations et devenir le pivot de thérapies géniques pour traiter de nombreuses maladies génétiques.Des mutations restées jusque-là non détectées car trop éloignées du site modifié
Des travaux précédents concluaient que les mutations imprévues au niveau de la portion d'ADN éditée par Crispr-Cas9 restaient rares, expliquent les auteurs de la nouvelle publication. "En conséquence, Crispr-Cas9 a été supposé être raisonnablement précis et les premiers essais cliniques approuvés utilisant des cellules ainsi modifiées sont en cours", écrivent-ils. Cependant, les analyses faites "dans la plupart de ces études" portaient sur des régions courtes "autour des sites cibles potentielles", ce qui "limitait la portée de l'évaluation". Ils posèrent donc l'hypothèse que ces études "pourraient avoir raté une proportion substantielle" d'erreurs générées à distance par Crispr-Cas9.Pour approfondir cette question, les chercheurs ont mené une étude systématique complète sur des cellules humaines et de souris. Ils découvrent alors effectivement que Crispr-Cas9 provoquait fréquemment des mutations étendues, mais à une plus grande distance du site cible. Certains de ces changements étaient de fait trop éloignés du site cible pour être observés avec des méthodes standards. Ont ainsi été constatés de grands réarrangements génétiques tels que des délétions et insertions indésirables de portions d'ADN. Ce type de modifications pourrait conduire à l'activation ou à la désactivation de gènes importants, et entraîner des conséquences potentiellement lourdes. Les changements involontaires causés dans l'ADN par cette technique "ont été largement sous-estimés jusqu'à maintenant", a déclaré dans un communiqué Allan Bradley, du Wellcome Sanger Institute en Angleterre, où l'étude a été menée.
Les recherches doivent se poursuivre
"Envisager d'utiliser cette technique en thérapie génique doit s'accompagner de beaucoup de précautions, en surveillant les éventuels effets négatifs", a-t-il poursuivi. "Cette étude souligne qu'en matière d'édition du génome, il est essentiel de vérifier que les modifications qui interviennent sont celles et seulement celles qu'on a voulu provoquer. Cela a toujours été une évidence", a commenté un chercheur qui n'a pas participé à l'étude, Robin Lovell-Badge, du Francis Crick Institute de Londres. Pour autant, "ces résultats ne justifient pas qu'on panique ou qu'on perde la foi dans ces techniques", a-t-il poursuivi. L'ensemble des chercheurs insiste sur le fait qu'il est nécessaire de poursuivre les recherches sur Crispr-Cas9 avant toute application clinique.IMMUNISATION. De 65 à 79% de la population serait immunisée contre la protéine Crispr-Cas9, selon une étude encore pré-publiée (encore non revue par un comité de lecture) de janvier 2018. Et 46% de la population possèderait aussi des globules blancs spécifiquement dirigés contre ces protéines. "Une solution possible est de développer un système Cas9 à partir de bactéries qui ne colonisent pas ou n'infectent pas les humains", expliquait un des auteurs, Matthew Porteus, hématologue en pédiatrie à l'Université de Stanford en Californie.