mardi 27 mars 2018

La dégradation des terres a atteint un stade critique

La détérioration systémique des sols met en péril la sécurité alimentaire, le climat et la stabilité des sociétés, alertent une centaine d’experts de 45 pays.

C’est un signal d’alarme que lancent les experts de la biodiversité : l’activité humaine est à l’origine d’une détérioration massive – et lourde de conséquences – des terres à l’échelle planétaire. Les terres, ce sont les sols, mais aussi ce qui les recouvre : les forêts, les prairies ou encore les zones humides.

Leur constat découle d’un travail de longue haleine : pendant trois ans, une centaine d’experts de 45 pays ont décortiqué et analysé plus de 3 000 références sur la dégradation et la restauration des terres – des publications scientifiques, mais aussi des données provenant de sources gouvernementales et de savoirs indigènes et locaux. Leurs observations, qui constituent la première étude mondiale sur l’état des sols, ont été regroupées dans un rapport d’un millier de pages approuvé lors de la 6e session plénière de la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), qui s’est déroulée du 17 au 24 mars à Medellin (Colombie).
La plate-forme, souvent qualifiée de « GIEC de la biodiversité », en référence au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, a été créée en 2012 sous la tutelle des Nations unies et rassemble actuellement 129 Etats membres. Elle a pour vocation d’éclairer les gouvernements et l’opinion publique sur les enjeux liés aux changements de la biodiversité, et réalise pour cela une synthèse régulière des connaissances scientifiques.
En l’occurrence, les experts alertent sur une situation plus qu’alarmante : nous faisons face à un phénomène systémique et généralisé de dégradation des terres, qui touche l’ensemble des surfaces terrestres de la planète. L’exemple des zones humides est peut-être le plus parlant : plus de la moitié a disparu depuis le début du XXe siècle. Selon les estimations de l’IPBES, si moins d’un quart des étendues terrestres échappent encore, aujourd’hui, aux effets substantiels de l’activité humaine, cette part tombera à 10 % en 2050. Il s’agira, pour l’essentiel, de zones non adaptées à une exploitation humaine (déserts, régions montagneuses, toundra et territoires polaires).
Mettre en place des mesures visant à réduire – voire à éviter – la dégradation des terres, et à restaurer celles d’ores et déjà dégradées, constitue pour les experts une « priorité d’urgence » pour protéger la biodiversité et les services écosystémiques, vitaux pour la vie sur Terre.

Sixième extinction de masse

Car les retombées négatives sont déjà visibles et multiples : la détérioration des terres constitue la première cause de disparition des espèces animales et végétales, contribuant de fait à la sixième extinction de masse. Elle participe également à l’exacerbation du changement climatique, en raison notamment de la déforestation et de la diminution de la capacité de stockage de carbone des sols. De plus, les terres dégradées concourent à l’altération de la sécurité alimentaire et de la santé des êtres humains, affectant le bien-être de plus de 3,2 milliards d’hommes et de femmes. Les experts entrevoient de surcroît des répercussions lourdes en termes de migrations et de conflits au sein des populations touchées.
Qui faut-il blâmer pour ces faits alarmants ? La consommation effrénée de la plupart des pays développés, assortie de celle, en hausse, des pays en développement, estime l’IPBES. Le tout dans un contexte d’augmentation de la population mondiale. L’expansion de l’agriculture est de fait visée – « notamment dans ses formes les plus intensives », souligne Florent Kohler, qui a participé à l’élaboration du rapport et de son résumé. L’anthropologue pointe la « part de plus en plus insoutenable des cultures fourragères », notamment celles du maïs et du soja. Mais d’autres facteurs ont également leur part de responsabilité, comme l’exploitation forestière, l’extraction minière et pétrolière, ou encore l’urbanisation excessive et incontrôlée.
« Il faut une prise de conscience massive pour que les terres – et plus spécifiquement les sols – soient enfin considérées à leur juste valeur, et non plus comme un simple substrat sur lequel on bâtit, on cultive, ou dans lequel on creuse pour extraire des matières premières, estime Hélène Soubelet, directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, qui fait partie de la délégation française. Nos terres (…) représentent un bien commun extrêmement précieux et l’avenir de l’humanité dépend de leur protection. »
« Il faut que, collectivement, nous construisions une société plus sobre… mais pas seulement du fait d’une certaine élite : il faut que ce soit un mouvement global de nos concitoyens », ajoute-t-elle, recommandant pour cela la mise en place de mesures simples, favorisant la transition. « Il existe déjà des solutions et il suffirait de les mettre en œuvre pour que la situation s’améliore », note-t-elle, citant pour exemple les pratiques agrgo-écologiques (qui préconisent l’arrêt des pesticides et des labours profonds), l’incorporation, dans le prix des aliments, du coût écologique de leur production, l’intégration de la valeur des sols dans la planification urbaine, ainsi que le développement d’une économie circulaire.

Réduire le gaspillage alimentaire

D’autres leviers d’action ont également été mis en avant dans le rapport de l’IPBES, comme le recours à une alimentation moins carnée et la réduction du gaspillage alimentaire.
Par ailleurs, les experts estiment que les bénéfices économiques que l’humanité tirera de la protection et de la restauration des terres seront dix fois supérieurs aux coûts investis. Mais les bénéfices attendus ne sont pas uniquement d’ordre monétaire, ils « touchent également à l’humanité elle-même, à ses conditions d’existence, à l’épanouissement des individus », insiste Florent Kohler.
Attaché aux dimensions éthiques qu’englobent les questions environnementales, l’anthropologue se réjouit de l’intégration, dans le rapport, du concept de solidarité écologique, qui pose pour principe que les hommes sont solidaires entre eux, avec les générations futures, mais aussi avec les écosystèmes dont ils font partie. Cela implique de prendre pleinement conscience de l’impact de la consommation sur les ressources planétaires.
Sauvegardées, ces terres pourraient garantir une absorption et un stockage non négligeable du carbone atmosphérique, et contribuer à maintenir le réchauffement climatique sous la barre des deux degrés, tel que défini dans l’accord de Paris sur le climat.



Une mer de plastique 3 fois plus grande que la France

Une nouvelle étude révèle que le l'amas de déchets plastique flottant entre Hawaï et la Californie est bien plus large qu’estimé lors de précédentes recherches.

C'est un amas de déchets perdu dans les eaux internationales et dont la responsabilité est rejetée par tous les pays. Le huitième continent est une immensité de plastique qui a pris place dans tous les océans. Principalement situées dans le Pacifique Nord, ces soupes de déchets sont aussi présentes dans l'Océan Indien, le Pacifique Sud, l'Atlantique Nord et l'Atlantique Sud. La formation localisée dans le Pacifique Nord, entre Hawaï et la Californie, est la plus connue et la plus grande.
Selon une étude publiée dans la revue Scientific Reports jeudi 22 mars 2018, la taille de ce vortex serait 4 à 16 fois supérieure à ce que laissait penser les précédentes recherches. Cette seule zone mesurerait environ 1,6 million de km2, soit trois fois la taille de la France, selon les chercheurs. En estimant qu'un kilomètre carré contient plus d'un kilo de plastique, les chercheurs ont conclu que cette gigantesque décharge, aussi nommé "grande zone d'ordures du Pacifique" (Great pacific garbage patch, GPGP), contient 80.000 tonnes de déchets de masse flottante et non compacte. Au total, les explorateurs ont évalué que pas moins de 1800 milliards de morceaux de plastique flottaient dans ce magma. Et il augmente selon eux "de façon exponentielle".
Le plastique représentait 99,9% des déchets récoltés lors de l'étude. Mais contrairement à ce qu'ils imaginaient, les chercheurs ont eu la surprise de découvrir que plus des trois quarts des débris trouvés dans ce vortex mesuraient plus de 5 cm. Les précédentes recherches avaient davantage mis en lumière les micro-plastiques. Se confiant à l'AFP, Laurent Lebreton, l'un des principaux auteurs de l'étude et membre de la fondation Ocean Cleanup, affirme que tous ces résultats représentent "plutôt une bonne nouvelle car les gros débris sont bien plus faciles à collecter que les micro-plastiques".

Société de consommation

C'est le capitaine Charles Moore qui, le premier, a découvert cette plaque de plastique en 1997. Elle est aussi bien composée de micro-plastiques d'une taille inférieure à 5 millimètres que de gros objets pouvant atteindre les 50 centimètres. Cette agglomération de déchets est formée par les mouvements de l'eau, appelés gyres océaniques. La pression des courants et les vents faibles favorisent leur agrandissement progressif. 80 % de ces déchets sont d'origine humaine (la production de plastique dépasse 320 millions de tonnes par an).
Il s'agit avant tout des déchets engendrés par le tourisme : des restes de pique-nique, des emballages de boissons, des mégots ou encore des jeux de plages. Le rejet des eaux usées entraîne également les déchets urbains vers les mers et les océans. Mais une bonne part des déchets retrouvés dans les eaux provient également de la pêche : ce sont des résidus de filets, de cordages ou de nasses. "Les gens voient la quantité de matériel de pêche et pointent du doigt l'industrie de la pêche, mais ils mangent aussi du poisson, explique Laurent Lebreton à l'AFP. Ce n'est pas la question d'un secteur ou d'une région, c'est principalement notre mode de vie et de consommation, les plastiques à usage unique, la société du tout-jetable".

L’écosystème en danger avec la "pêche fantôme"

La première victime de cette pollution océanique est l'espèce animale. Les tortues marines sont les plus sensibles aux déchets. Très souvent elles s'étouffent avec des sacs en plastique qu'elles confondent avec des méduses. C'est d'ailleurs la première cause de mortalité chez cette espèce marine.
Les animaux peuvent aussi s'emmêler dans tous les matériaux de pêche que l'on retrouve en mer ou dans les océans. Les phoques et les otaries sont particulièrement victimes d'enchevêtrement. Ce phénomène surnommé la " pêche fantôme " est également un risque non négligeable pour la conservation du stock de poisson dans certaines zones. Il entraîne une perte économique importante. Les filets ou cordages s'accrochent également aux récifs coralliens et les brisent.
Les micro-plastiques, quant à eux, sont ingurgités par les poissons. Ainsi, les débris sont transformés par l'effet du sel, du soleil et des mouvements de l'eau et deviennent semblables aux planctons pour les animaux marins, causant leur intoxication, leur empoissonnement ou encore leur noyade. Ces micro-plastiques sont aussi de formidables éponges puisqu'ils captent tous les polluants. En mangeant les poissons intoxiqués, l'Homme absorbe donc, malgré lui, des plastiques pollués.

La chasse aux plastiques

Pour lutter contre ce huitième continent, de nombreuses initiatives se mettent en place. Avec un financement plus important que prévu, le projet Ocean Cleanup pourrait voir le jour cette année au lieu de 2020. "Ces résultats nous fournissent des données-clés pour développer et tester notre technologie de nettoyage, mais il souligne également l'urgence de s'attaquer au problème de la pollution aux plastiques", a affirmé à travers un communiqué Boyan Slat, fondateur de Ocean Cleanup. Ce jeune néerlandais de 23 ans met actuellement au point un système d'une trentaine de barrières flottantes, de chacune un à deux kilomètres de long, entre Hawaii et la Californie. Ces barrières devront bloquer les déchets. Elles seront attachées à une ancre flottante de 12 mètres de long qui évoluera dans l'eau au gré des courants, tout comme les déchets plastiques. Cette invention permettrait de nettoyer environ la moitié du Pacifique nord en 5 ans. Mais ces barrières ne pourront pas ramasser les morceaux inférieurs à un centimètre, ce qui ne résout en rien le problème des micro-plastiques.
Une autre association, Sea Cleaner, envisage de créer un voilier de 70 mètres de long, 49 mètres de large et 61 mètres de haut, capable de ramasser jusqu'à 600 mètres cubes de déchets plastiques dans les zones contaminées. Le navigateur Yvan Bourgnon, l'initiateur du projet, a pu le présenter à la COP22, à Marrakech, au Maroc. Pour financer ce projet, qu'il a nommé le projet Manta, Yvan Bourgnon a lancé une campagne participative afin d'appeler à la conscience universelle. En quelques semaines, l'objectif financier était atteint. Un premier prototype de 1/10ème sera mis à l'eau dans le courant de l'année 2018. Cet essai sera destiné à affiner et tester le système du collecteur de déchets. Selon Yvan Bourgnon, une centaine de Manta serait nécessaire pour ramasser l'ensemble des plaques de plastique du 8ème continent.


lundi 26 mars 2018

Pollution industrielle : l'état de santé des habitants de Fos-sur-Mer inquiète

Dans la zone industrielle de Fos-sur-Mer, l'état de santé de la population est "fragilisé", estime l'Agence régionale de santé.

Les habitants de la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer connaissent "un état de santé fragilisé, dans une zone fragilisée par la pollution environnementale", a estimé Muriel Andrieu-Semmel, de l'ARS Paca, le 20 mars 2018 à Istres (Bouches-du-Rhône). "On n'a pas besoin de démontrer par une étude qu'une part de cet état de santé est liée à l'environnement pour adapter notre action, on en est convaincus", a ajouté la responsable du département santé environnement de l'Agence régionale de santé (ARS), lors d'une conférence de presse.

Trois fois plus de risque de cancer ?

L'ARS a présenté les conclusions de l'agence gouvernementale Santé Publique France, qu'elle avait chargée en mars 2017 d'analyser les conclusions d'une étude indépendante aux résultats alarmants sur la santé des habitants de Fos-sur-Mer et Port-Saint-Louis du Rhône. Celle-ci, baptisée Fos-Epséal et menée par une équipe franco-américaine, avait été accueillie avec méfiance en raison de son approche inhabituelle en France : elle impliquait étroitement les riverains dans la réalisation même du questionnaire de santé.
Cette étude a démontré "la nécessité de partager les données avec les populations", a assuré Muriel Andrieu-Semmel. "On doit aussi faire participer les habitants, on ne peut plus se permettre de se réunir sur ces sujets sans un représentant de la population de la zone". Un an plus tôt, la publication Fos-Epseal avait provoqué de fortes inquiétudes dans le pourtour de l'Étang de Berre, puisqu'elle concluait que les femmes interrogées dans la zone avaient trois fois plus de cancer que la moyenne nationale, ou encore que 63% de l'échantillon interrogé déclarait une maladie chronique, contre 36% en France.

L'Etat promet d'intervenir

Les scientifiques de Santé Publique France concluent que malgré certains "biais", notamment sur la sélection des 800 répondants, l'étude publiée dans le Journal of Public Health a eu "le mérite de mettre en évidence certains signaux comme la prévalence du diabète de type 1 qu'on n'atteint pas par une approche épidémiologique classique". "La participation des habitants au processus de recherche permet d'augmenter la rigueur de l'étude", a réagi dans un communiqué l'équipe Fos-Epséal le 20 mars, se disant prête à apporter des informations complémentaires pour répondre à certaines critiques du rapport de SPF.
Les résultats de Fos-Epséal "vont dans la même direction" que ceux relevés par ailleurs par l'Observatoire régional de santé (ORS) qui a noté sur les deux communes une mortalité par cancer supérieure de 34% chez les hommes à la moyenne nationale de 2009 à 2013. Pierre Verger, directeur de l'ORS Paca, a toutefois observé que "contrairement à l'étude Epseal, aucune différence significative n'est retrouvée chez les femmes", pour la mortalité par cancers notamment.
Une étude plus ciblée sur les cancers professionnels et environnementaux dans le département, Revela 13, doit rendre des premiers résultats publics au premier trimestre 2019, a annoncé l'ARS. "Il y a un tribut important payé par les travailleurs", estime Muriel Andrieu-Semmel. L'État a aussi promis d'intervenir auprès des pollueurs pour renforcer la surveillance des émissions polluantes des industriels de Fos-Berre-Lavéra et les faire réduire.

Le déclin massif de la biodiversité menace l’humanité

L’érosion continue de la vie sauvage met en danger les conditions de vie des populations, alertent les experts mondiaux de l’IPBES, le « GIEC de la biodiversité ».

Partout sur la planète, le déclin de la biodiversité se poursuit, « réduisant considérablement la capacité de la nature à contribuer au bien-être des populations ». Ne pas agir pour stopper et inverser ce processus, c’est mettre en péril « non seulement l’avenir que nous voulons, mais aussi les vies que nous menons actuellement ». Tel est le message d’alerte délivré par la Plate-Forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), réunie du 17 au 24 mars à Medellin (Colombie), pour sa 6e session plénière.

Créée en 2012 sous la tutelle des Nations unies et rassemblant aujourd’hui 129 Etats, cette structure est qualifiée de « GIEC de la biodiversité », en référence au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Sa mission est d’établir régulièrement la synthèse des connaissances disponibles sur la biodiversité (la variété des formes de vie sur la Terre), sur les impacts de son érosion et sur les pistes d’action possibles pour la préserver.
Elle livre le résultat d’un travail colossal, qui s’est étalé sur trois années. L’IPBES a divisé le globe en quatre régions : l’Afrique, les Amériques, l’Asie-Pacifique et l’Europe-Asie centrale – à l’exception, donc, des pôles et des océans. Chacune a fait l’objet d’un rapport de 800 à 1 000 pages, réalisé par plus de 550 experts bénévoles de 100 pays, à partir de plus de 10 000 publications scientifiques, mais aussi de sources gouvernementales ou non gouvernementales, ou encore de savoirs autochtones.
Pour chaque zone géographique, cette analyse est synthétisée dans un « résumé à l’intention des décideurs » d’une quarantaine de pages, négocié mot à mot et voté par les représentants des Etats membres. C’est ce document, qui constitue une sorte de consensus politique, qui doit servir de base à l’action des gouvernements, même s’il n’a pas de valeur contraignante.

« Au cœur de notre survie »

« La biodiversité et les contributions apportées par la nature aux populations semblent, pour beaucoup, éloignées de nos vies quotidiennes. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité, observe le président de l’IPBES, le Britannique Robert Watson. Elles sont le socle de notre alimentation, de notre eau pure et de notre énergie. Elles sont au cœur non seulement de notre survie, mais aussi de nos cultures, de nos identités et de notre joie de vivre. »
On pourra juger restrictive cette approche, qui envisage la nature à l’aune des seuls services qu’elle rend à l’humanité, sans considérer que la survie des espèces animales et végétales est en elle-même précieuse. Mais l’objet des quatre rapports est de sensibiliser l’opinion et les décideurs à une chute de la biodiversité qui « met en danger les économies, les moyens d’existence, la sécurité alimentaire et la qualité de vie des populations partout dans le monde ». Aucune des régions étudiées n’échappe à une régression spectaculaire de sa faune et de sa flore, avec des projections alarmantes.
  • Afrique
« L’Afrique est le dernier endroit sur Terre avec un large éventail de grands mammifères, mais jamais par le passé il n’y a eu autant de plantes, poissons, amphibiens, reptiles, oiseaux et grands mammifères menacés qu’aujourd’hui, par une série de causes humaines et naturelles », note la chercheuse sud-africaine Emma Archer. Quelque 500 000 km2 de terres sont déjà dégradées du fait de la déforestation, de l’agriculture non durable, du surpâturage, des activités minières, des espèces invasives ou du réchauffement.
Cela, alors qu’en zone rurale la subsistance de plus de 62 % des habitants dépend de la bonne santé des milieux naturels et que la population du continent est appelée à doubler d’ici à 2050, pour atteindre 2,5 milliards de personnes. Le défi est immense : à la fin du siècle, certaines espèces de mammifères et d’oiseaux pourraient avoir perdu plus de la moitié de leurs effectifs, et la productivité des lacs (en poissons) avoir baissé de 20 % à 30 %, en raison du dérèglement climatique.
  • Asie-Pacifique
En Asie-Pacifique, la biodiversité est confrontée à des menaces sans précédent, allant des phénomènes météorologiques extrêmes et de l’élévation du niveau de la mer aux espèces exotiques envahissantes, à l’intensification de l’agriculture, à la surpêche et à l’augmentation des déchets et de la pollution. Malgré quelques succès pour protéger ces écosystèmes vitaux – les aires marines protégées ont augmenté de 14 % en vingt-cinq ans et le couvert forestier a progressé de 23 % en Asie du Nord-Est –, les experts craignent qu’ils ne suffisent pas à enrayer le déclin de la biodiversité et des services que retirent les 4,5 milliards d’humains qui vivent dans ces pays.
Aujourd’hui, 60 % des prairies d’Asie sont dégradées, près de 25 % des espèces endémiques sont menacées et 80 % des rivières les plus polluées par les déchets plastiques dans le monde se trouvent dans cette zone. Si les pratiques de pêche se poursuivent au même rythme, la région ne comptera plus de stocks de poissons exploitables d’ici à 2048. Jusqu’à 90 % des coraux souffriront d’une grave dégradation avant le milieu du siècle.
  • Amériques
Sur le continent américain aussi, l’impact du dérèglement climatique sur la biodiversité va s’intensifier d’ici au milieu du siècle, devenant un facteur de déclin aussi puissant que le changement d’affectation des terres. Les populations d’espèces indigènes ont décru de 31 % depuis la colonisation par les Européens, et ce taux pourrait monter à 40 % au milieu du siècle. Par rapport à leur état originel, plus de 95 % des prairies d’herbes hautes d’Amérique du Nord, 50 % de la savane tropicale et 17 % de la forêt amazonienne en Amérique du Sud ont été transformés en des paysages dominés par l’homme.
Les auteurs notent que, jusqu’ici, « les peuples autochtones et les communautés locales ont créé une diversité de systèmes de polyculture et d’agroforesterie » qui ont bénéficié à la biodiversité. Mais ces savoirs locaux sont eux aussi en voie d’extinction.
  • Europe-Asie centrale
Enfin, en Europe et Asie centrale, la situation n’est guère meilleure : 42 % des animaux terrestres et des plantes ont enregistré un déclin de leurs populations au cours de la dernière décennie, de même que 71 % des poissons et 60 % des amphibiens.
La première cause de cette hécatombe réside dans l’intensification de l’agriculture et de l’exploitation forestière, et particulièrement dans l’usage excessif de produits agrochimiques (pesticides, engrais). Résultat : la région consomme plus de ressources naturelles renouvelables qu’elle n’en produit, l’obligeant à en importer massivement d’autres zones du monde. Le rapport souligne aussi le rôle du changement climatique, qui sera l’un des principaux fléaux pesant sur la biodiversité d’Europe et d’Asie centrale dans les prochaines décennies.
Ces quatre rapports confirment que la Terre est en train de subir sa sixième extinction de masse : selon les scientifiques, les disparitions d’espèces ont été multipliées par 100 depuis 1900, soit un rythme sans équivalent depuis l’extinction des dinosaures il y a 66 millions d’années. Mardi 20 mars, une étude du Muséum national d’histoire naturelle et du Centre national de la recherche scientifique alertait sur la « disparition massive » des oiseaux dans les campagnes françaises – leurs populations se sont effondrées d’un tiers en quinze ans – tandis que, fin 2017, des chercheurs montraient que le nombre d’insectes volants a décliné de 75 % à 80 % en Allemagne depuis le début des années 1990.

Développer les aires protégées

N’y a-t-il donc aucun espoir ? Les scientifiques veulent croire qu’il est encore possible d’agir pour enrayer ce déclin. Ils appellent, pêle-mêle, à développer les aires protégées, à restaurer les écosystèmes dégradés (notamment les forêts), à limiter les subventions à l’agriculture et à l’exploitation forestière intensives, à intégrer la protection de la biodiversité dans toutes les politiques publiques, à sensibiliser davantage le grand public ou encore à poursuivre les efforts de conservation. En Europe, ces politiques ont par exemple conduit à sauver d’une extinction locale les populations de bisons ou de lynx ibériques, et à réhabiliter les régions boisées des Açores, de Madère et des Canaries.
« Pour la première fois, en Europe, nous indiquons qu’il faut une transformation plus radicale des modes de vie et de consommation, sans quoi nous n’atteindrons pas les objectifs de développement durable et de protection de la biodiversité », souligne Sandra Lavorel, écologue des écosystèmes (université de Grenoble), qui a participé à la rédaction du rapport. « L’un des chapitres importants de notre travail est celui de la gouvernance. La question de la biodiversité doit être prise en charge à tous les échelons, Etats, communautés, citoyens », complète Jérôme Chave, écologue au CNRS, qui a contribué à la synthèse sur les Amériques.
Un cinquième rapport sera publié lundi 26 mars, sur l’état des sols du monde, de plus en plus dégradés par la pollution, la déforestation, l’exploitation minière et les pratiques agricoles. Enfin, lors de sa prochaine réunion plénière en mai 2019, l’IPBES produira son bilan mondial de la biodiversité et non plus des analyses régionales. Une session que la France a proposé d’accueillir.



jeudi 15 mars 2018

Biodiversité : le WWF annonce des pertes massives même avec un réchauffement limité

"Même si l'augmentation des températures moyennes à l'échelle de la planète reste limitée à 2°C, un grand nombre d'écorégions prioritaires perdra une part importante des espèces [près de 25%] qui y vivent dès que le climat leur deviendra inadapté", révèle une étude du WWF publiée ce mercredi 14 mars dans la revue scientifique Climatic Change.
Si le réchauffement est supérieur à 2°C, fourchette haute résultant de l'Accord de Paris, les conséquences seront bien plus désastreuses encore. "Dans un monde à +4,5°C, près de 50% des espèces qui peuplent actuellement les écorégions sont menacées d'extinction au niveau local d'ici 2080", explique l'ONG. Ce réchauffement correspond au scénario dans lequel aucun effort n'est fait pour ralentir le rythme actuel des émissions de gaz à effet de serre.
Les 35 écorégions prioritaires étudiées par cette étude sont les régions abritant "une grande partie de la biodiversité la plus remarquable". Certaines d'entre elles sont très fragiles face au choc climatique, même dans le scénario à +2°C. Il s'agit de l'Amazonie et du plateau de Guyane, du Sud-Ouest de l'Australie, des forêts du Miombo au centre du continent africain, de la côte Est de l'Afrique et de la Méditerranée. Cette dernière verrait près d'un tiers des plantes, mammifères et amphibiens menacés si aucune possibilité d'adaptation ne leur ait laissé, indique le WWF.
L'étude insiste en effet sur la nécessité de mettre en place des mesures d'adaptation spécifiques dans ces régions. "Des efforts redoublés de conservation au niveau local seront nécessaires afin de renforcer la résilience des espèces au changement climatique, de protéger et de rétablir les corridors biologiques qui favorisent la dispersion, et de sécuriser les zones qui demeureront des habitats adaptés même lorsque les températures progressent", indique l'étude.
Ces changements profonds ne se traduiront pas seulement par la disparition d'espèces ou d'habitats mais impacteront des écosystèmes fournissant des services vitaux à des centaines de millions de personnes. "Il faut donc aller plus loin et plus vite, sortir des énergies fossiles et revoir la manière dont nous produisons et nous consommons. Finalement, l'étude que nous présentons aujourd'hui nous interroge sur notre rapport à la Nature, à notre planète : qu'attendons-nous pour cesser de détruire les espèces et les espaces qui la composent, alors que nous savons pertinemment que nous ne pourrons pas vivre sur une planète morte ?", réagit Pascal Canfin, directeur général du WWF France.

Le Giec plus que jamais sommé d'éclairer les politiques sur l'évolution du climat

A l'occasion de son 30ème anniversaire célébré à l'Unesco le 13 mars, Nicolas Hulot a fait l'éloge du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat, instrument de la paix mondiale et lumière face à l'obscurantisme climato-sceptique.
Sous les élégantes arches de béton de la salle plénière de l'Unesco à Paris, devant une salle comble de délégués venus de 195 pays, le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (Giec) fête ses trente ans cette semaine, à l'occasion de sa 47ème session plénière qui se déroule jusqu'au 16 mars. Depuis sa création en 1988 sous l'égide des Nations unies, ses cinq rapports d'évaluation, publiés entre 1990 et 2014, constituent la référence en matière de science du climat. Très attendue, la publication du sixième rapport d'évaluation est prévue en 2021-2022.
Face aux attaques des climato-sceptiques, le Giec reçoit le soutien indéfectible de la communauté internationale, au point de se voir attribuer le Prix Nobel de la Paix en 2007. Le ministre français de la Transition écologique Nicolas Hulot l'a souligné hier soir dans son éloge à ce ''lanceur d'alerte'' : ''Ce n'est pas un rôle facile quand on vient charger l'humanité d'une couche d'inquiétude supplémentaire. Vous avez été malmenés de ce fait, le Giec a souffert de tentatives de déstabilisation. Face à ces attaques des climato-sceptiques, vous avez répondu avec fermeté. A l'heure des fake news, nous vous devons une protection (…). Le bien commun que vous produisez va bien au-delà du réchauffement''.
Une vigie du climat
Au fil des années, les rapports d'évaluation du Giec se sont étoffés et enrichis, selon un processus complexe et unique d'expertise collective qui a fait ses preuves. Le premier rapport, paru en 1990, a permis de détecter un effet de serre additionnel sans équivoque. Le second, en 1996, a discerné l'influence humaine sur le climat. Le troisième, en 2001, a prouvé que la plus grande part du réchauffement provenait des activités humaines des 50 dernières années. Les prévisions de hausse des températures par rapport à l'époque pré-industrielle ont connu une certaine continuité, expose John Mitchell du Met Office du Hadley Centre (Grande-Bretagne).
Et les projections sont de plus en plus fines, le nombre d'institutions scientifiques dans le monde capables de fournir des modèles étant passé de quatre à 21, face à des évolutions incertaines et des rétroactions du climat qui échappent en partie à la prévision. Le système climatique est ''plus sensible que prévu aux impacts humains'', pointe le climatologue suédois Johan Rockström, qui a invité le Giec à se pencher sur le changement de dimension du risque, sur ''des évolutions irréversibles''. Pour le spécialiste de la simulation numérique du climat Hervé Le Treut, ''on est au début d'un processus, le siècle est encore long, comment le système va évoluer dans 30 ans, 40 ans, ce n'est pas facile à appréhender. Le Giec sert à organiser la vigilance face à ce qui peut devenir dangereux, à donner un sens à ce qui se passe''.
Avec plus de 3.000 candidatures pour le rapport 2014 et quelque 53.517 commentaires sur la préparation de son premier volume, le Giec mobilise la communauté scientifique mondiale. ''Ce succès a permis de renouveler les experts'', note Jean Jouzel, climatologue et glaciologue : ''Plus de jeunes, plus de femmes et plus de représentants des pays émergents, l'Afrique restant malheureusement sous-représentée. 831 rédacteurs principaux ont été sélectionnés pour la 5ème édition''.
Un travail gigantesque
Il s'agit d'un travail gigantesque, assuré sur une base volontaire par les scientifiques contributeurs issus de centaines de laboratoires de recherche, et coordonné par l'organe exécutif du Giec, composé de 36 membres. Le budget annuel du Giec s'élève à six millions d'euros et la France y contribue généreusement, à hauteur d'un million d'euros par an jusqu'en 2022.
Avec peu de moyens, le Giec fait face à une attente croissante de la part du monde politique et de l'opinion publique. ''Le climat n'est pas une option, il conditionne tout ce qui a de l'importance pour nous. Or, nous ne sommes pas dans la trajectoire'', a souligné hier Nicolas Hulot, pointant ainsi la dimension non seulement scientifique, mais sociétale de la question du climat, ''ce tueur en série'' qui fait désormais partie des ingrédients géopolitiques du monde, ''enjeu de stabilité, enjeu de paix''.
Vers des rapports tous les cinq ans
Inscrit dans les décisions prises dans le cadre de la COP 21, le rapport spécial du Giec sur le réchauffement planétaire de 1,5°C est très attendu pour novembre 2018 en vue du Dialogue de facilitation préconisé par l'Accord de Paris. ''Il s'agit d'un document très important qui va permettre de savoir où nous en sommes et comment orienter les sociétés vers l'objectif de stabiliser la hausse des températures à 1,5°C'', a expliqué Laurence Tubiana, qui a contribué à l'élaboration de cet accord universel sur le climat. A la demande de la communauté internationale, le Giec prépare deux autres rapports spéciaux, sur les terres émergées, et sur l'océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique.
Le Giec n'a pas fini d'être sollicité. L'Accord de Paris instaure la mise en place d'un bilan global (global stocktake), établi tous les cinq ans, afin de valider sur des bases scientifiques les trajectoires climatiques de l'ensemble des pays engagés. ''La communauté scientifique doit s'impliquer dans l'Accord de Paris'', a insisté Laurence Tubiana. A ses côtés, Laurent Fabius, qui a piloté la COP 21, estime qu' "il aurait été impossible de parvenir au succès de l'Accord de Paris sans le Giec'' et en appelle à une harmonisation plus nette de ses travaux avec l'agenda politique.
Les scientifiques devront-ils produire une évaluation tous les cinq ans ? Pour la paléo-climatologue Valérie Masson-Delmotte, qui co-préside à la fois le groupe de travail n°1 du sixième cycle d'évaluation (2016-2023) et le rapport spécial sur le réchauffement planétaire de 1,5°C, le Giec est déjà en flux tendu : ''Garder la possibilité de faire des rapports spéciaux sur des sujets d'intérêt tout en produisant des rapports sur un socle à cinq ans, c'est vraiment très court. Il faut au moins un an pour poser le cadrage, définir le sommaire. Le rapport sur les 1,5°C compte 85 auteurs qui doivent répondre à quelque 25.000 commentaires. La matière scientifique, c'est comme de la glaise.''

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