Actu-environnement.com : Quelles sont
les pressions environnementales qui jouent sur la santé et comment
peuvent-elles modifier les risques de transmission de maladie ?
François Renaud : Le premier grand phénomène est l'augmentation démographique.
La population a énormément augmenté depuis 1955 où il y avait environ
2,5 milliards d'individus à aujourd'hui avec sept milliards. Les
prévisions pour 2050 tablent sur 9 milliards de personnes. Pour nourrir cette population,
nous devrons produire des protéines végétales et animales de masse. Et
pour cela, il faudra disposer de terres cultivables et donc défricher.
Ce qui va rompre l'équilibre présent, réduire la diversité biologique
et, au final, impacter la santé de l'homme. Ainsi, dans la forêt
amazonienne, le risque de piqûres dans les zones défrichées a augmenté
d'un facteur 3.000. Autre exemple : les vecteurs, qui normalement se
nourrissent grâce aux singes présents dans la canopée en Guyane
française, vont s'orienter vers les orpailleurs au sol, désormais plus nombreux.
Il faut une prise de conscience générale
des problèmes économiques et de gestion - car il y a énormément de
gaspillage. La santé des hommes à un certain point de la planète dépend
de celle d'autres à un autre point. Tout est lié.
AE : En quoi le réchauffement des océans peut-il jouer sur l'émergence de pathogènes ?
FR : Il joue de manière indirecte. Le réchauffement des océans
entraîne la fonte des glaces et cette dernière va provoquer une
augmentation du niveau des mers. Ce qui va modifier les systèmes de courantologie connus aujourd'hui et perturber les écosystèmes.
La terre se réchauffe depuis plusieurs
milliers d'années. Le problème aujourd'hui est la rapidité avec laquelle
la température augmente. En effet, lorsque le processus est lent, la
diversité présente dans l'écosystème a le temps de s'adapter
au fil des générations. Par contre, si le phénomène s'accélère, ce sera
davantage les bactéries et les organismes à cycles courts de
régénération qui auront des réponses face à cette modification et
pourront au final mieux s'adapter.
AE : Quels sont les liens entre
l'augmentation des résistances aux antibiotiques et les modes de vies
dans les sociétés développées ?
FR : La résistance peut résulter des antibiotiques
mais également de la pollution du milieu. Vouloir éradiquer les
pathogènes a conduit à sélectionner ceux qui échappent à l'attaque
moléculaire des hommes. L‘utilisation massive d'antibiotiques a ainsi
généré des multirésistances. Les zones très industrialisées ou dans
lesquelles sont déversées des rejets polluants sont également propices
au développement de l'antibiorésistance.
Par exemple, lors de l'exploitation de mines, d'une part, nous
concentrons le minerai et, d'autre part, nous utilisons des produits
chimiques pour l'extraire. Ces conditions perturbent l'écosystème et
sélectionnent les bactéries résistantes à ces produits. Leurs mécanismes
de défense peuvent notamment passer par un système qui coupe la
molécule toxique ou une pompe qui rejette la molécule qui pourrait la
tuer. Ces stratégies générales peuvent fonctionner pour différentes
molécules. Par exemple, si la bactérie dispose d'un dispositif pour
rejeter le nickel, ce dernier pourrait également marcher avec la
pénicilline, elle deviendrait alors résistante à cet antibiotique.
AE : Quelle place accordée aujourd'hui à l'écologie de la santé ?
FR : Aujourd'hui, la recherche dans ce domaine est totalement sous-évaluée. L'espérance de vie en bonne santé passera par la santé des écosystèmes.
Comprendre le milieu qui nous entoure ne pourra pas se faire sans de la
recherche purement fondamentale. Comment fonctionne un écosystème ?
Quels sont les risques de transfert ? Quels sont les systèmes
sentinelles animaux qui peuvent nous renseigner sur les risques pour les
populations humaines ? Tout cela est essentiel.
Les appels à projets en écologie de la santé, comme par exemple sur l'antibiorésistance,
négligent beaucoup trop les axes de recherche fondamentale. C'est
pourtant dans la compréhension de l'évolution des écosystèmes que nous
pourrons faire des prédictions solides sur les actions à mener pour
éviter les catastrophes. Et non en privilégiant des projets qui pourront
aboutir à des contrats juteux avec l'industrie pharmaceutique.