En quelques dizaines de pages explicites, les juges montrent à quel point le fameux principe du pollueur-payeur, censé
un mythe républicain. L'application de ce principe «
».
Pollueurs-payés
Le
déséquilibre est criant. Les usagers domestiques règlent l'essentiel de
la facture : en 2013, ils ont acquitté 87 % du montant
total
de la redevance, tandis que la part des industriels (en baisse de 15 %)
est descendue à 7 % et celle des agriculteurs stagnait à 6 % en
moyenne. Il s'agit d'une moyenne, la situation est hétérogène entre les
six agences, dont le découpage correspond aux grands bassins fluviaux –
Adour-Garonne,
Artois-
Picardie, Loire-
Bretagne, Rhin-Meuse, Rhône-Méditerranée et
Corse,
Seine-Normandie. En y regardant de plus près, on mesure que leurs
pratiques reflètent nettement l'influence qu'elles subissent de la part
des acteurs socio-économiques dominants dans leur région.
Ainsi, dans le bassin Rhin-Meuse, marqué par diverses pollutions industrielles, la contribution des
entreprises
de ce secteur n'était plus que de 11 % du total en 2013, contre 22 %
six ans plus tôt. Dans le bassin rhodanien, où le prélèvement d'eau est
le plus disputé avec celui d'Adour-Garonne, la redevance payée par les
agriculteurs irrigants est «
très inférieure » à la moyenne,
pointe le rapport. Résultat : l'irrigation ne paie dans cette grande
région que 3 % du montant total des redevances alors qu'elle capte 70 %
des eaux prélevées en surface. Et, à la différence des autres secteurs,
l'agriculture ne rend pas à la nature ce qu'elle a pompé après usage.
Quant à l'agence de la Seine-Normandie, elle avait décidé de
faire peser 92 % de
ses recettes sur les seuls usagers. Le ministère de l'écologie, tutelle des agences, est même intervenu pour faire
redresser légèrement la barre depuis.
Pollution et exemption
La Cour des comptes réserve un passage de choix à la question des pollutions diffuses d'origine agricole qui vaut à la France d'
être sous la menace d'une très grosse amende de la part de la Cour de
justice de l'
Union européenne. En Loire-Bretagne, la part de la redevance collectée auprès des agriculteurs s'élève à 10 %, dont 0,6 % seulement au
titre
des activités d'élevage. En outre, cette contribution-là a chuté de 58 %
en six ans dans le Grand Ouest (et de 84 % en Rhône-Méditerranée) ! Il
faut
rappeler
que les concentrations d'animaux d'élevage produisent de gigantesques
quantités de composés azotés qui, transformés en nitrates, provoquent la
prolifération des algues vertes dans les rivières.
Pourtant, en France, le montant de la redevance payée par les éleveurs «
n'était
que de 3 millions d'euros en 2013 alors que le seul coût du nettoyage
des algues vertes sur le littoral est estimé au minimum à 30 millions
d'euros par an », précisent les magistrats. Et pour
achever
le tableau, il est précisé que si les produits phytosanitaires sont
assujettis à une taxe qui abonde le budget des agences de l'eau, les
engrais azotés, eux, en sont exemptés. «
Ce qui est paradoxal », commentent les rapporteurs.
Absence de contrôle
La
Cour est en outre sévère sur la gestion des six établissements publics –
celle-ci est certes différente d'une agence à l'autre, mais elle laisse
à
désirer partout. Ils soulignent la «
transparence insuffisante »
qui accompagne les attributions de subventions. Ils dénoncent l'absence
de contrôles, et parfois des prêts généreux accordés aux pollueurs. Les
magistrats réclament une harmonisation des financements et
l’instauration de règles afin de
limiter une distribution trop systématique et des aides pour des projets sur-dimensionnés.
Plus de rigueur permettrait d'
éviter
un fonctionnement sur mesure en faveur de telle collectivité locale,
tel industriel, voire telle autre administration de l'Etat. Ainsi,
pourquoi donc l'établissement de Seine-Normandie a-t-il financé si
largement le Forum mondial de l'eau qui s'est tenu à
Marseille, s'interrogent les juges ? Autre exemple, celui de Rio Tinto : en échange d'un engagement vague à
cesser de
déverser ses résidus de bauxite en Méditerranée, le groupe a obtenu une sacrée ristourne. Il a eu ainsi à
régler une redevance de 2,5 millions d'euros au lieu de 13 millions.
Comment
en est-on arrivé à ces injustices et ces incohérences vis-à-vis des
lois françaises sur l'eau et des directives européennes ? La Cour met
clairement en cause la composition des conseils d'administration des
agences où l'Etat est minoritaire, dont les membres sont élus ou choisis
au sein des comités de bassin. La France est très fière de ces
assemblées, communément appelées
« parlements de l'eau », où différents collèges sont censés
représenter tous les utilisateurs de l'eau.
Conflits d’intérêts
La Cour des comptes voit surtout dans cette organisation la source de nombreux «
conflits d'intérêts
». De fait, la démocratie n'y est que de façade : les principaux
pollueurs y occupent une large place. Ici ce sont les industriels qui se
sont emparés d'un maximum des sièges dévolus aux « usagers », là ce
sont des agriculteurs qui accaparent les mandats, soit en tant
qu’exploitant, soit en tant que représentant de l'
industrie
agroalimentaire, pour peu qu'il soit membre d'une coopérative agricole,
soit en tant qu'élu local... En outre, comme ce sont les chambres
d'agriculture qui désignent ceux qui siégeront aux comités de bassin,
c'est le syndicat majoritaire, la Fédération nationale des syndicats
d'exploitants agricoles, qui dispose de fait «
d'un quasi-monopole de représentation », souligne le rapport
Les
représentants issus de ces comités décident ensuite au sein de
commissions d'attribution, de financer un barrage pour l'irrigation,
comme sur
le fameux site de Sivens, dans le Tarn, ou bien de
construire une nouvelle station d'épuration nécessaire au futur Center Parcs de Roybon, dans l'Isère, pour
prendre des exemples dans l’actualité.
Profitant du renouvellement de ces assemblées en juin, la
ministre de l'écologie, Ségolène Royal, avait imposé un – petit –
rééquilibrage au profit des associations de
défense
des consommateurs et de la protection de la nature, qui occupent un
strapontin dans ces instances, ainsi que pour l'agriculture biologique.
Avant même la publication du rapport de la Cour des comptes, Ségolène
Royal a fait
savoir, mardi, qu'elle demanderait à l'
avenir la publication des aides attribuées, et promis un décret instituant «
de nouvelles règles avant l'été » afin de
prévenir les conflits d'intérêts.
En
savoir plus sur
http://www.lemonde.fr/ressources-naturelles/article/2015/02/11/la-cour-des-compte-etrille-la-gestion-des-agences-de-l-eau_4574335_1652731.html#EgMcMuiJRljVR5lY.99